TA Poitiers, 07/02/2023, n°2101563
Vu la procédure suivante :
I. Par une requête n° 2101563 et un mémoire enregistrés les 14 juin 2021 et 17 janvier 2023, la société à responsabilité limitée à associé unique (SARLU) Institut du bien-être et du bien vieillir, représentée par la SCP KPL Avocats, demande au tribunal :
1°) de juger fondée la contestation de la validité de la décision en date du 10 mai 2021 par laquelle le maire de la commune de Royan a décidé de résilier la convention d'occupation de son centre de balnéothérapie ;
2°) d'ordonner la reprise des relations contractuelles dans un délai de 7 jours à compter du jugement à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Royan la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable dès lors que le courrier du 10 mai 2021 a bien pour effet de prononcer la résiliation de la convention ;
- la décision de résiliation est entachée d'une erreur de droit dès lors que la commune l'a privée du bénéfice des dispositions du 2° et du 7° de l'article 6 de l'ordonnance n°2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d'adaptation des règles de passation, de procédure ou d'exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n'en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de Covid 19, en ne tenant pas compte de la dégradation de sa situation financière liée aux restrictions sanitaires et en limitant la portée du dispositif de suspension des paiements à la seule période du premier état d'urgence sanitaire augmentée de deux mois ;
- la décision de résiliation est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors, d'une part, que c'est la commune elle-même qui, en n'assurant pas l'entretien de la pompe à eau de mer alimentant le centre de balnéothérapie, ne lui a pas permis d'exploiter ces installations dans des conditions conformes à leur destination, d'autre part, que l'exploitation a dû être interrompue pendant 10 mois du fait de la situation sanitaire et, enfin, que la commune n'a pas pris les mesures de police nécessaires pour faire cesser les troubles que subit l'établissement ;
- la reprise des relations contractuelles demandée ne portera pas atteinte à l'intérêt général ou aux droits d'un titulaire d'un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 janvier 2023, la commune de Royan, représentée par son maire en exercice et Me Bernard-Chatelot, conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de la SARLU Institut du bien-être et du bien vieillir la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la requête est irrecevable dès lors que les conclusions sont dirigées contre une mise en demeure préalable et non contre la décision de résiliation qui date du 17 juin 2021 ;
- les moyens soulevés par la SARLU Institut du bien-être et du bien vieillir ne sont pas fondés.
II. Par une requête n°2101697 et un mémoire enregistrés les 1er juillet 2021 et 17 janvier 2023, la SARLU Institut du bien-être et du bien vieillir, représentée par la SCP KPL Avocats, demande au tribunal :
1°) de juger fondée la contestation de la validité de la décision en date du 17 juin 2021 par laquelle le maire de la commune de Royan a décidé de résilier la convention d'occupation de son centre de balnéothérapie ;
2°) d'ordonner la reprise des relations contractuelles entre les parties dans un délai de 7 jours à compter du jugement à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Royan la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision du 17 juin 2021 portant résiliation de la convention d'occupation du domaine public est intervenue prématurément dès lors qu'elle n'a reçu le courrier de mise en demeure préalable que le 25 mai 2021 et qu'en conséquence, la résiliation ne pouvait être prononcée avant le 26 juin 2021 ;
- la décision de résiliation est entachée d'une erreur de droit dès lors que la commune l'a privée du bénéfice des dispositions du 2° et du 7° de l'article 6 de l'ordonnance n°2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d'adaptation des règles de passation, de procédure ou d'exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n'en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de Covid 19, en ne tenant pas compte de la dégradation de sa situation financière liée aux restrictions sanitaires et en limitant la portée du dispositif de suspension des paiements à la seule période du premier état d'urgence sanitaire augmentée de deux mois ;
- la décision de résiliation est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors, d'une part, que c'est la commune elle-même qui, en n'assurant pas l'entretien de la pompe à eau de mer alimentant le centre de balnéothérapie, ne lui a pas permis d'exploiter ces installations dans des conditions conformes à leur destination, d'autre part, que l'exploitation a dû être interrompue pendant 10 mois du fait de la situation sanitaire et, enfin, que la commune n'a pas pris les mesures de police nécessaires pour faire cesser les troubles que subit l'établissement ;
- la reprise des relations contractuelles ne porterait pas atteinte à l'intérêt général ou aux droits d'un titulaire d'un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 janvier 2023, la commune de Royan, représentée par son maire en exercice et Me Bernard-Chatelot, conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de la SARLU Institut du bien-être et du bien vieillir la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par la SARLU Institut du bien-être et du bien vieillir ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- l'ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d'adaptation des règles de passation, de procédure ou d'exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n'en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de covid-19 ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pipart, rapporteur,
- les conclusions de Mme Boutet, rapporteure publique,
- et les observations de Me Kolenc représentant la SARLU Institut du bien-être et du bien vieillir, et de Me Bernard-Chatelot, représentant la commune de Royan.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes n° 2101563 et 2101697 présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un même jugement.
2. Par une convention d'occupation du domaine public conclue le 25 janvier 2016 avec la commune de Royan et son avenant n° 1 du 21 avril 2016, la société à responsabilité limitée à associé unique (SARLU) Institut marin du bien-être et du bien vieillir a été autorisée à exploiter pour une durée de vingt ans à compter du 15 mars 2016 l'immeuble communal sis 1 place Foch dans cette commune, à usage de centre de balnéothérapie. Cette convention mettait notamment à la charge du cocontractant de la commune le versement d'une redevance annuelle ainsi que le remboursement à la commune de la taxe foncière afférente à ces installations. Par un courrier du 10 mai 2021, le maire de Royan, constatant l'absence de paiement de ces redevances et taxes pour les années 2019 et 2020 malgré plusieurs rappels, a mis en demeure son cocontractant de régulariser sa situation dans le délai d'un mois, faute de quoi il procéderait la résiliation de cette convention. Par un courrier en date du 17 juin 2021, le maire a résilié cette convention sans indemnité à la date du 15 juin 2021. La SARLU Institut marin du bien-être et du bien vieillir conteste la validité du courrier du 10 mai 2021 et de la décision du 17 juin 2021 et demande la reprise des relations contractuelles.
Sur les fins de non-recevoir opposées par la commune :
3. Le courrier du 10 mai 2021 qui se borne à mettre en demeure la SARLU Institut marin du bien-être et du bien vieillir de procéder au paiement des redevances et remboursements de taxes mis à sa charge par la convention d'occupation dans un délai d'un mois, doit être regardé comme une mesure d'exécution du contrat et non comme une résiliation. Le juge du contrat n'a donc pas le pouvoir d'en prononcer l'annulation. Il y a, dès lors, lieu d'accueillir la fin de non-recevoir opposée par la commune de Royan tirée de l'irrecevabilité des conclusions de la requête n° 2101563 contestant la validité de ce courrier.
Sur les conclusions contestant la validité de la décision du 17 juin 2021 et tendant à la reprise des relations contractuelles :
4. Le juge du contrat, saisi par une partie d'un litige relatif à une mesure d'exécution d'un contrat, peut seulement, en principe, rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité. Toutefois, une partie à un contrat administratif peut, eu égard à la portée d'une telle mesure d'exécution, former devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles. Il appartient également au juge de ce contrat de rechercher si les faits reprochés au co-contractant ont constitué des manquements suffisamment graves pour justifier la mesure prise et, dans la négative, d'annuler cette décision.
En ce qui concerne le caractère prématuré de la résiliation :
5. Comme il a été dit au point 1, la commune de Royan a adressé à la SARLU Institut marin du bien-être et du bien vieillir une mise en demeure préalable à la résiliation de la convention d'occupation du domaine public le 10 mai 2021. Si la commune établit que cette mise en demeure a fait l'objet d'une première présentation à son destinataire le 12 mai 2021, il résulte de l'instruction que le courrier correspondant n'a été distribué que le 25 juin 2021. Par suite, le délai au terme duquel la commune pouvait procéder à la résiliation de la convention expirait le 25 juillet 2021. La décision attaquée est donc prématurée et en conséquence irrégulière.
6. Il n'est cependant pas établi, ni même allégué, que la société requérante, qui avait clairement manifesté dans sa lettre du 31 mai 2021 adressée au comptable public de la commune, postérieurement à la mise en demeure du 10 mai 2021, sa volonté de ne régler la redevance 2020 et le solde de la redevance 2019 qu'au cours du dernier trimestre 2021 et selon l'échéancier qu'elle avait elle-même décidé, aurait été privée de la possibilité de solder sa dette du fait du raccourcissement d'une dizaine de jours du délai de mise en demeure annoncé dans la lettre reçue le 25 mai 2021.
7. Par suite, l'irrégularité commise par la commune, qui revêt en l'espèce un caractère purement formel, n'est pas d'une gravité suffisante pour entraîner la reprise des relations contractuelles.
En ce qui concerne les difficultés d'exploitation :
8. D'une part, s'il résulte des échanges de courriels versés aux débats par la SARLU Institut marin du bien-être et du bien vieillir que les services techniques de la commune sont intervenus à deux reprises au cours du mois de juillet et de novembre 2019, sur la plage et en mer, afin de réparer le dispositif alimentant le centre de balnéothérapie en eau de mer, il ne résulte pas des attestions de deux prestataires assurant des soins au sein du centre de balnéothérapie, qui font seulement état de dysfonctionnements pendant une période de huit mois, que ces équipements auraient été en panne tout au long de la période allant du mois d'avril au mois de novembre 2019. En toute hypothèse, il n'apparaît pas, en l'absence de tout élément comptable permettant d'appréhender la structure du chiffre d'affaires de la requérante, que de telles pannes seraient, seules, à l'origine de la baisse importante de ce chiffre d'affaires au titre de l'exercice clos le 31 mars 2020. Il ne résulte d'aucune des pièces du dossier que la commune n'aurait pas effectué toutes les diligences nécessaires pour réparer ces installations. La société requérante n'a d'ailleurs jamais fait état, auprès de la commune, d'une quelconque urgence liée à un arrêt total et durable du dispositif de pompage d'eau de mer.
9. D'autre part, si la SARLU Institut marin du bien-être et du bien vieillir prétend avoir rencontré des difficultés d'exploitation du fait de nuisances sonores et olfactives ainsi que de la pollution du bassin de décantation d'eau de mer imputables à des tiers, elle n'établit pas que ces difficultés, qui n'étaient pas imprévisibles au moment de la signature de la convention et sur l'impact desquelles elle n'apporte d'ailleurs aucune précision, auraient entrainé un bouleversement de l'économie de cette convention. La société requérante ne peut pas davantage invoquer utilement, en la matière, la responsabilité quasi-délictuelle qui découlerait d'une faute commise par la commune de Royan dans l'exercice de ses pouvoirs de police.
10. Par suite, cette collectivité n'a commis aucune faute contractuelle, ni méconnu sa responsabilité contractuelle sans faute en estimant que les dettes accumulées par la SARLU Institut marin du bien-être et du bien vieillir étaient de nature à justifier la résiliation de la convention dont celle-ci était titulaire.
En ce qui concerne l'erreur de droit :
11. Aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 25 mars 2020 visée ci-dessus : " Sauf mention contraire, les dispositions de la présente ordonnance sont applicables aux contrats soumis au code de la commande publique ainsi qu'aux contrats publics qui n'en relèvent pas, en cours ou conclus durant la période courant du 12 mars 2020 jusqu'à la fin de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 susvisée, augmentée d'une durée de deux mois. ". L'article 6 de la même ordonnance dispose que : " En cas de difficultés d'exécution du contrat, les dispositions suivantes s'appliquent, nonobstant toute stipulation contraire, à l'exception des stipulations qui se trouveraient être plus favorables au titulaire du contrat : () 2° Lorsque le titulaire est dans l'impossibilité d'exécuter tout ou partie d'un bon de commande ou d'un contrat, notamment lorsqu'il démontre qu'il ne dispose pas des moyens suffisants ou que leur mobilisation ferait peser sur lui une charge manifestement excessive : a) Le titulaire ne peut pas être sanctionné, ni se voir appliquer les pénalités contractuelles, ni voir sa responsabilité contractuelle engagée pour ce motif. () 7° Lorsque le contrat emporte occupation du domaine public et que les conditions d'exploitation de l'activité de l'occupant sont dégradées dans des proportions manifestement excessives au regard de sa situation financière, le paiement des redevances dues pour l'occupation ou l'utilisation du domaine public est suspendu pour une durée qui ne peut excéder la période mentionnée à l'article 1er. () ".
12. D'une part, si la SARLU Institut marin du bien-être et du bien vieillir soutient que, compte tenu de la baisse de son chiffre d'affaires à 23 556 euros au titre de la période allant du 1er avril 2020 au 31 mars 2021, elle était en droit de bénéficier des dispositions précitées du 2° de l'article 1er de l'ordonnance du 25 mars 2020, elle n'établit pas, en l'absence de toute information sur son résultat comptable et sa situation de trésorerie au titre du même exercice et, en particulier, à défaut de toute indication sur le bénéfice éventuel du fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de Covid-19, qu'elle ne disposait pas des moyens suffisants pour régler ses dettes ou qu'un tel remboursement faisait peser sur elle une charge manifestement excessive.
13. D'autre part, il résulte des dispositions précitées du 7° de l'article 1er de l'ordonnance du 25 mars 2020 que la période de suspension de paiement des redevances liées à l'occupation du domaine public s'entend du 12 mars 2020 au 23 juillet 2020, sans qu'y fassent obstacle les commentaires administratifs de cette ordonnance qui laissent la faculté aux administrations de faire application des autres dispositions de cette ordonnance jusqu'au terme du contrat lorsque celui-ci a été conclu avant le 24 juillet 2020. En toute hypothèse, il n'est pas contesté que, s'agissant de la redevance 2020, la commune a bien prolongé le dispositif transitoire de l'ordonnance n° 2020-319 en décidant, par une délibération municipale du 18 juillet 2020, l'exonération de redevance à 100 % pendant la période de confinement et une réduction tarifaire de 50 % pour les trois mois suivants pour les occupants à jour de leurs redevances et loyers. Il est constant que la SARLU Institut marin du bien-être et du bien vieillir a bien bénéficié, pendant la période protégée, du dispositif prévu par le 7° de l'article 1er de l'ordonnance du 25 mars 2020. Si elle n'a pu profiter du dispositif complémentaire mise en place par la commune, c'est en raison de son refus persistant d'acquitter la redevance et la taxe foncière dont elle était redevable au titre de l'année 2019.
14. Par suite, les moyens tirés des erreurs de droit dont serait entachée la décision de résiliation doivent être écartés.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la SARLU Institut marin du bien-être et du bien vieillir n'est pas fondée à contester la décision de résiliation en date du 17 juin 2021, ni à solliciter la reprise des relations contractuelles.
Sur les frais liés au litige :
16. Dans les circonstances de l'espèce, il n'apparait pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la charge des frais qu'elles ont exposés.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SARLU Institut du bien-être et du bien vieillir est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la commune de Royan tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société à responsabilité limitée à associé unique Institut du bien-être et du bien vieillir et à la commune de Royan.
Délibéré après l'audience du 24 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
M. Campoy, président,
M. Crosnier, premier conseiller,
M. Pipart, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 février 2023.
Le rapporteur,
Signé
R. PIPART Le président,
Signé
L. CAMPOY
La greffière,
Signé
D. GERVIER
La République mande et ordonne au préfet de la Charente Maritime en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour le greffier en chef,
La greffière,
signé
D.GERVIER
2 - 2101697