TA Versailles, 01/03/2023, n°2301080

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 8 février 2023, et un mémoire, enregistré le 21 février 2023, la société Guinier Génie Electrique, représentée par Me Roumens, demande au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler la décision du maire d'Evry-Courcouronnes du 30 janvier 2023 rejetant son offre pour le lot n° 15 " électricité courant forts et faibles SSI " dans le cadre du marché relatif aux travaux de construction de l'école Horizon ;

2°) d'annuler toute la procédure de passation du lot n° 15 en application de l'article L. 551-2 du code de justice administrative ;

3°) d'enjoindre au maire d'Evry-Courcouronnes de reprendre la procédure de passation du lot n° 15 en examinant son offre ;

4°) de mettre à la charge de la commune d'Evry-Courcouronnes la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision de rejet de son offre est insuffisamment motivée, en méconnaissance des dispositions des articles R. 2181-3 et R. 2181-4 du code de la commande publique, précisant que le maire s'est contenté d'affirmer que son offre présenterait des variantes, sans aucunement faire état de la moindre justification et du moindre motif et sans préciser la manière dont les critères de sélection étaient appliqués aux offres, de quelle manière celles-ci étaient comparées, les caractéristiques et avantages de l'offre retenue ainsi que les notes obtenues par les candidats, ajoutant qu'elle a présenté une demande tendant à ce que ces motifs lui soient communiqués, notamment le rapport d'analyse des offres, estimant que l'atteinte aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptible de la léser en l'empêchant de contester utilement le rejet de son offre est constituée ;

- les termes du cahier des clauses techniques particulières (CCTP), en particulier l'article 2.2, méconnaissent le principe de neutralité des spécifications techniques, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 2111-7 du code de la commande publique, dans la mesure où ces spécifications ne sont pas justifiées par l'objet du contrat, n'étant pas conformes, pour certaines d'entre elles, à la réglementation environnementale, dite RE2020, entrée en vigueur le 1er janvier 2022 et s'appliquant en l'espèce, et ne constituent pas non plus l'unique moyen de décrire de manière suffisamment précise et intelligible l'objet du marché, ajoutant que le CCTP ne se réfère à aucun moment à la notion d'équivalent, estimant que, par la rédaction du CCTP, le pouvoir adjudicateur a porté atteinte au principe d'égalité entre les candidats ;

- son offre ne comportait pas de variante technique, à savoir une modification des spécifications techniques prévues dans la solution de base décrite dans les documents de la consultation, estimant que toute solution technique différente ne constitue pas une variante ;

- son offre respecte les exigences minimales fixées par le CCTP, notamment en termes de performances et de consommation énergétique, estimant que le règlement de la consultation ne mentionne pas les modalités de présentation des variantes, ni les précisions afférentes aux exigences minimales, et que l'article 2.2 ne prévoit que vaguement la possibilité pour les entreprises de proposer des matériels de caractéristiques, de performances et d'esthétiques équivalentes, en restant dans l'esprit du projet.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 16 février 2023 et 22 février 2023, la commune d'Evry-Courcouronnes conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- le moyen tiré de l'irrégularité du courrier de rejet de l'offre de la société requérante est inopérant, en l'absence d'élément établissement l'existence d'un intérêt lésé, la société ayant eu la possibilité de solliciter des renseignements complémentaires ;

- ce moyen est infondé, dès lors que, l'offre de la société requérante ayant été jugée irrégulière, les mentions alléguées par celle-ci n'avaient pas à figurer dans le courrier, estimant qu'en tout état de cause, un éventuel défaut d'information aurait uniquement pour conséquence une injonction de procéder à la communication des motifs ;

- l'offre de la société requérante était irrégulière, dès lors que les documents de la consultation n'imposaient pas le dépôt d'une offre de base pour la présentation d'une variante, qu'une offre variante pouvait être présentée régulièrement sans offre de base, que toutefois, en application des dispositions de l'article R. 2151-10 du code de la commande publique, l'acheteur était tenu de mentionner les exigences minimales que les variantes devaient respecter, ce qui est le cas en l'espèce à l'article 2.2 et à l'article 9.7 du CCTP du lot en cause, estimant qu'il en résulte que l'offre de la société requérante ne respectait pas les exigences minimales fixées dans les documents de la consultation, ajoutant qu'elle ne peut utilement invoquer le fait que le CCTP prévoyait irrégulièrement des références à des marques, dès lors que la mention " équivalent " était bien prévue.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

La présidente du tribunal administratif de Versailles a désigné M. Bélot, premier conseiller, pour statuer sur les référés précontractuels en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus, au cours de l'audience publique tenue le 22 février 2023 à 15 heures, en présence de Mme Gilbert, greffière d'audience :

- le rapport de M. Bélot, juge des référés,

- les observations de Me Roumens et Me Kemesso, représentant la société Guinier Génie Electrique, qui concluent aux mêmes fins par les mêmes moyens et précisent, en outre, que, s'agissant des exigences minimales, il n'était pas possible d'imposer des normes relevant des modalités d'exécution du marché alors que celui-ci n'est pas encore signé, que les pièces justificatives n° 7 et 8 démontrent qu'il n'y a pas de variante et, en tout état de cause, qu'une telle variante était adaptée au lot, que les termes de l'article 2.2 du CCTP sont en contradiction avec les dispositions de l'article R. 2111-7 du code de la commande publique, dès lors qu'ils font référence à des marques précises dans des conditions non prévues par ces dispositions ;

- les observations de M. A, représentant la commune d'Evry-Courcouronnes, qui concluent aux mêmes fins par les mêmes moyens et précise, en outre, qu'en cas de doute sur l'interprétation des exigences du CCTP, la société requérante pouvait demander des informations complémentaires, son inertie entraînant l'absence de lésion, que la variante n'est pas qu'une solution technique mais peut relever de la performance, qu'une telle variante n'est pas interdite en l'absence d'offre de base mais doit alors respecter les exigences minimales, figurant en l'espèce à l'article 9.7, ce qui n'est pas le cas pour la société requérante.

L'instruction a été close à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 10 juillet 2022, la commune d'Evry-Courcouronnes a lancé une consultation pour la passation d'un marché public de travaux relatifs à la construction de l'école " Horizon ". Le marché était réparti en dix-neuf lots, dont le lot n°15 " Electricité courants forts et faibles SSI ". Pour la passation de ce marché, selon la procédure d'appel d'offres ouvert, la date limite de remise des offres était fixée au 21 novembre 2022. Les offres des candidats devaient être appréciées selon les trois critères du prix, à hauteur de 60 %, de la valeur technique, à hauteur de 35 %, composé des quatre sous-critères des moyens humains et matériels mis en œuvre pour la réalisation des travaux, pour 30 %, de la méthodologie de travaux proposée pour la gestion des difficultés du chantier, pour 25 %, des mesures en faveur de l'environnement et de la sécurité sur le chantier, pour 20 %, et des matériaux et produits employés, pour 25%, et du respect du planning, à hauteur de 5 %. Par un courrier du 30 janvier 2023, le maire d'Evry-Courcouronnes a informé la société Guinier Génie Electrique du rejet de son offre comme irrégulière.

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique () ". Aux termes de l'article L. 551-2 du même code : " I.-Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations ". Aux termes de l'article L. 551-10 de ce code : " Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué () ".

3. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge du référé précontractuel de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

4. D'une part, aux termes de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : "L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées". Aux termes de l'article L. 2152-2 du même code : "Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ". Aux termes de l'article R. 2152-1 de ce code : "Dans les procédures adaptées sans négociation et les procédures d'appel d'offres, les offres irrégulières, inappropriées ou inacceptables sont éliminées".

5. D'autre part, aux termes de l'article R. 2151-8 du code de la commande publique : "Les acheteurs peuvent autoriser la présentation de variantes dans les conditions suivantes : / 1° Pour les marchés passés selon une procédure formalisée : / a) Lorsque le marché est passé par un pouvoir adjudicateur, les variantes sont interdites sauf mention contraire dans l'avis de marché ou dans l'invitation à confirmer l'intérêt ()". Aux termes de l'article R. 2151-10 du même code : "Lorsque l'acheteur autorise ou exige la présentation de variantes, il mentionne dans les documents de la consultation les exigences minimales que les variantes doivent respecter ainsi que toute condition particulière de leur présentation".

6. L'avis d'appel public à la concurrence relatif au lot en litige prévoit que les variantes ne sont pas acceptées. Par ailleurs, aux termes du point 2.2 "Principes de remise des offres" du cahier des clauses techniques particulières du lot en litige : " Dans le présent document les équipements sont décrits en faisant référence à des marques et types de matériel bien précis, afin de permettre une remise d'offre claire et la comparaison des offres. / Certaines marques sont également imposées pour correspondre aux exigences du maître d'ouvrage. / Il est demandé aux entrepreneurs de répondre à cette offre de base et s'ils le souhaitent et si elles sont autorisées, de faire séparément des propositions de variantes, accompagnées d'un état justificatif à intégrer au mémoire technique à joindre à l'offre de prix. Ils devront proposer alors des matériels de caractéristiques, de performances et d'esthétiques équivalentes, en restant dans l'esprit du projet. / Ces propositions de variantes devront être détaillées avec mention de toutes les marques et types de matériel ou exécution particulière ainsi que les incidences éventuelles sur les autres corps d'état ".

7. Dans le cas où le pouvoir adjudicateur d'un marché en procédure formalisée n'autorise pas les candidats à présenter des variantes, à savoir des modifications de spécifications prévues dans la solution de base décrite dans les documents de la consultation, les candidats sont tenus de présenter une seule offre qui doit être conforme aux exigences de ces documents.

8. En l'espèce, il résulte de l'instruction, notamment des termes de l'avis d'appel public à la concurrence, que la présentation de variantes pour l'attribution du lot en litige n'était pas autorisée. Il est, par ailleurs, constant que la société requérante n'a pas proposé une offre de base et, de manière séparée, une proposition de variante mais une unique offre proposant un seul type de produit. Il ne peut, dans ces conditions, lui être reproché d'avoir fait preuve d'inertie en ne sollicitant pas d'informations complémentaires sur la portée des termes du cahier des clauses techniques particulières. Par ailleurs, il n'est pas établi ni même allégué, que l'offre de la société requérante était incomplète ou méconnaissait la législation applicable au lot en litige. La commune d'Evry-Courcouronnes ne peut utilement alléguer le non-respect des exigences minimales prévues à l'article R. 2151-10 du code de la commande publique, dès lors que de telles exigences ne doivent être mentionnées dans les documents de la consultation que dans le cas où la présentation de variantes est autorisée et pour l'appréciation de celles-ci. Par suite, en rejetant comme irrégulière l'offre de la société Guinier Génie Electrique au seul motif qu'elle présentait le caractère d'une variante, la commune d'Evry-Courcouronnes a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence, un tel manquement étant susceptible d'avoir lésé la société requérante, dont l'offre n'a pas été examinée en tant qu'offre de base.

9. Il résulte de tout ce qui précède, eu égard à la portée et au stade de la procédure auquel se rapporte le manquement ci-dessus caractérisé, que la société Guinier Génie Electrique est fondée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres manquements invoqués, à demander l'annulation de la décision du 30 janvier 2023, par laquelle le maire d'Evry-Courcouronnes a rejeté son offre, et de la procédure de passation du lot n° 15 à compter de l'examen des offres.

10. Il y a lieu d'enjoindre à la commune d'Evry-Courcouronnes, si elle entend poursuivre l'attribution du lot n° 15, de reprendre la procédure au stade de l'examen des offres, en se conformant à ses obligations de publicité et de mise en concurrence.

11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune d'Evry-Courcouronnes une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société Guinier Génie Electrique et non compris dans les dépens, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E:

Article 1er : La décision du 30 janvier 2023, par laquelle le maire d'Evry-Courcouronnes a rejeté l'offre de la société Guinier Génie Electrique pour le lot n° 15 " électricité courant forts et faibles SSI " dans le cadre du marché relatif aux travaux de construction de l'école Horizon, et la procédure de passation du lot en litige à compter de l'examen des offres sont annulées.

Article 2 : Il est enjoint à la commune d'Evry-Courcouronnes, si elle entend poursuivre l'attribution du lot en litige, de reprendre la procédure de passation au stade de l'examen des offres.

Article 3 : L'Etat versera à la société Guinier Génie Electrique la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Guinier Génie Electrique, à la commune d'Evry-Courcouronnes et à la société Structure Nova Bat.

Fait à Versailles, le 1er mars 2023.

Le juge des référés,

signé

S. Bélot

La République mande et ordonne au préfet de l'Essonne, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.