TA de Marseille, 28/09/2023, n° 2102196


REPUBLIQUE FRANCAISE 

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS 

Vu la procédure suivante :

Par un jugement n° RG 17/08801 du 7 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Marseille saisi d'une demande de M. Q H, Mme O H, M. E N, Mme M N, M. F B, Mme I J, M. A G, Mme C K, M. S, Mme R, M. L P et Mme D P tendant notamment à faire droit à leur revendication de la propriété de la parcelle cadastrée EE 1, a estimé qu'il lui appartenait de surseoir à statuer sur cette action, compte tenu de l'existence d'une contestation sérieuse sur l'appartenance de la parcelle en cause au domaine public  du département, dans l'attente de la saisine du tribunal administratif par la partie la plus diligente.

Par une requête et un mémoire enregistrés, le 12 mars 2021 et le 31 mars 2023, M. Q H, Mme O H, M. E N, Mme M N, M. F B, Mme I J, M. A G, Mme C K, M. S, Mme R, M. L P et Mme D P, représentés par Me Dumont-Scognamiglio demandent au tribunal :

1°) de dire que la parcelle cadastrée EE n°1 située en bordure de la route départementale 4b, avenue du 7ème régiment des tirailleurs algériens à Allauch (13 190) appartient au domaine privé  du département ;

2°) de mettre à la charge du département une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que : 

- la parcelle litigieuse n'est ni affectée à l'usage direct du public, ni affectée à un service public ;

- en l'absence de tout aménagement spécial en vue de son affectation à un service public et d'affectation à l'usage du public, le département ne démontre pas que la parcelle considérée répondrait aux critères de la domanialité publique antérieurs à l'entrée en vigueur du code général de la propriété des personnes publiques.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 2 novembre 2022 et le 30 juin 2023, le département des Bouches-du-Rhône, représenté par Me Urien, demande que : 

1°) le tribunal déclare, à titre principal, que la parcelle cadastrée section EE n°01 est une dépendance du domaine public  du département et, à titre subsidiaire, que la parcelle litigieuse était une dépendance du domaine public  du département jusqu'au 7 décembre 2012 ; 

2°) une somme de 2 500 euros soit mise à la charge des requérants en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

L'instruction a été close le 25 juillet 2023 par une ordonnance du même jour prise en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Ollivaux, 

- les conclusions de M. Boidé, rapporteur public,

- et les observations de Me Dupont pour les consorts H et autres, ainsi que celles de Me Urien pour le département.

Une note en délibéré présentée pour le département des Bouches-du-Rhône, enregistrée le 15 septembre 2023, n'a pas été communiquée.

Considérant ce qui suit :

1. Les consorts H et autres sont propriétaires de parcelles situées allée du Largado à Allauch (13 190), contiguës de la parcelle cadastrée EE1 située sur une bande de terre figurant entre leurs parcelles et la route départementale (RD) n° 4B correspondant à l'avenue du 7ème régiment des Tirailleurs algériens. La parcelle litigieuse a été cédée le 14 mai 1976 à titre gratuit par le lotisseur des " Moulins d'Allauch " au département des Bouches-du-Rhône. De 1980 à 2013, les requérants ont bénéficié d'autorisations d'occupation temporaire. M. H a fait part au département le 10 avril 2008 de son souhait d'acheter la parcelle EE1. Le département refusant d'accéder à cette demande, les requérants ont saisi le juge judiciaire d'une action en revendication de propriété, sur le fondement des articles 2261 et 2272 du code civil relatifs à la prescription acquisitive. Par un jugement du 7 janvier 2021, la présidente de la 3ème chambre civile - section A du tribunal judiciaire de Marseille estimant que l'appartenance de la parcelle en cause au domaine public  constituait une contestation sérieuse relevant de la compétence du juge administratif, a sursis à statuer sur l'action en revendication de propriété des requérants et a renvoyé aux parties le soin de saisir le tribunal administratif.

Sur le cadre juridique :

2. Aux termes de l'article 49 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret  du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles : " Toute juridiction saisie d'une demande de sa compétence connaît, même s'ils exigent l'interprétation d'un contrat, de tous les moyens de défense à l'exception de ceux qui soulèvent une question relevant de la compétence exclusive d'une autre juridiction. / Lorsque la solution d'un litige dépend d'une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction administrative, la juridiction judiciaire initialement saisie la transmet à la juridiction administrative compétente en application du titre Ier du livre III du code de justice administrative. Elle sursoit à statuer jusqu'à la décision sur la question préjudicielle ".

3. La requête de M. et Mme H et autres doit être regardée comme tendant à ce que le tribunal se prononce, en application de l'article 49 du code de procédure civile, sur l'appartenance de la parcelle cadastrée section EE n° 1 au domaine public  ou privé du département des Bouches-du-Rhône. 

Sur l'appartenance de la parcelle en cause au domaine public  :

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, entré en vigueur le 1er juillet 2006 : " Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public  d'une personne publique () est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public ".

5. D'une part, l'appartenance de la parcelle en cause au domaine public  s'apprécie à la date de la naissance du litige correspondant à celle du refus opposé par le département des Bouches-du-Rhône de faire droit à la demande de M. H de l'acquérir, à tout le moins, à celle de la saisine, le 2 août 2017, du juge judiciaire par les requérants d'une action en revendication de propriété, postérieurement à l'entrée en vigueur du code général de la propriété des personnes publiques. Ainsi, s'appliquent les dispositions de ce code. 

6. D'autre part, il résulte de l'instruction que si, par une délibération  du 22 décembre 1970 et un certificat administratif de cession du 23 avril 1976, le département des Bouches-du-Rhône a acquis, à titre gratuit, la propriété de la parcelle EE n°1 objet du litige, afin d'élargir la route départementale (RD) 4b et d'aménager un carrefour, ce projet d'élargissement de la voirie, ainsi que le soutiennent les requérants, n'a jamais vu le jour. Par ailleurs, cette parcelle a fait l'objet d'un emplacement réservé au plan d'occupation des sols d'Allauch en vue de la réalisation d'un parking, dont les requérants ont été informés par courriers du département des 4 octobre 2012 et 7 décembre 2012. Ce projet n'a pas davantage donné lieu à réalisation. Dès lors, alors même que la parcelle en litige n'a pas fait l'objet d'une décision de déclassement, celle-ci n'est ni affectée à l'usage direct du public, ni affectée au service public, au sens et pour l'application de l'article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques. Par suite, la parcelle cadastrée section EE n°1, située en bordure de la route départementale 4b, avenue du 7ème régiment des tirailleurs algériens à Allauch, appartient au domaine privé  du département des Bouches-du-Rhône.

Sur les frais liés au litige :

7. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département la somme que M. et Mme H et autres demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les dispositions du même article font par ailleurs obstacle à ce que les sommes demandées à ce titre par le département soient mises à la charge de M. et Mme H et autres, qui ne sont pas la partie perdante. 

D E C I D E :

Article 1er : Il est déclaré que la parcelle cadastrée section EE n° 1 appartient au domaine privé  du département des Bouches-du-Rhône.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme H et autres est rejeté.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. Q H, à Mme O H, à M. E N, à Mme M N, à M. F B, à Mme I J, à M. A G, à Mme C K, à M. S, à Mme R, à M. L P, à Mme D P, et au département des Bouches-du-Rhône.

Copie en sera adressée à la présidente de la 3ème chambre civile, section A, du tribunal judiciaire de Marseille.

Délibéré après l'audience du 7 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Lopa Dufrénot, présidente,

Mme Niquet, première conseillère,

Mme Ollivaux, première conseillère,

Assistés de M. Giraud, greffier.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 septembre 2023.

La rapporteure,

signé

J. Ollivaux

La présidente,

signé

M. Lopa Dufrénot

Le greffier,

signé

P. Giraud

La République mande et ordonne au préfet des Bouches-du-Rhône en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Le greffier,