CE, 03/05/2023, n°438248
Vu la procédure suivante :
M. B A a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté en date du 26 avril 2017 par lequel le président du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis a prononcé sa révocation à compter du 15 mai 2017 et d'enjoindre au département de la Seine-Saint-Denis de prononcer sa réintégration. Par un jugement n° 1705429 du 22 janvier 2018, le tribunal administratif de Montreuil a annulé cet arrêté et enjoint au département de la Seine-Saint-Denis de le réintégrer à compter du 15 mai 2017 et de reconstituer sa carrière dans le délai de trois mois à compter de la notification du jugement.
Par un arrêt n°18VE01075 du 4 décembre 2019, la cour administrative d'appel de Versailles a, sur appel du département de la Seine-Saint-Denis, annulé ce jugement et rejeté la demande présentée par M. A devant le tribunal administratif de Montreuil.
Par un pourvoi, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 4 février, 4 mai, 7 septembre et 10 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du département de la Seine-Saint-Denis ;
3°) de mettre à la charge du département de la Seine-Saint-Denis une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Patrick Pailloux, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de M. B A et à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat du département de la Seine-Saint-Denis ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de la découverte de fraudes aux prestations sociales versées par le département de la Seine-Saint-Denis, le président du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis a engagé une procédure disciplinaire à l'encontre de M. A et a, par un arrêté du 26 avril 2017, prononcé sa révocation. Par un jugement du 22 janvier 2018, le tribunal administratif de Montreuil a annulé l'arrêté du 26 avril 2017 et enjoint au département de la Seine-Saint-Denis de réintégrer M. A à compter du 15 mai 2017 et de reconstituer sa carrière. M. A se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 4 décembre 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a annulé ce jugement et rejeté la demande qu'il avait présentée devant le tribunal administratif.
2. Lorsque l'administration estime que des faits, antérieurs à la nomination d'un fonctionnaire mais portés ultérieurement à sa connaissance, révèlent, par leur nature et en dépit de leur ancienneté, une incompatibilité avec le maintien de l'intéressé dans la fonction publique, il lui revient, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, d'en tirer les conséquences en engageant une procédure disciplinaire en vue de procéder, à raison de cette incompatibilité, à la révocation de ce fonctionnaire.
3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'arrêté du 26 avril 2017 prononçant la révocation de M. A est fondé sur des motifs tirés, d'une part, de ses antécédents judiciaires, regardés comme incompatibles avec l'exercice par l'intéressé de ses fonctions, et, d'autre part, de la consultation à trois reprises, en mars et avril 2014, d'un dossier ne relevant pas de son champ d'intervention et relatif au bénéfice de prestations sociales dont a frauduleusement bénéficié une de ses connaissances.
4. Par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel de Versailles a jugé que s'il n'était pas établi par le département que M. A aurait procédé irrégulièrement à la consultation du dossier d'un bénéficiaire par fraude d'une allocation versée par le département et que ces faits ne pouvaient en conséquence pas être retenus pour justifier la sanction prise à son encontre, il ressortait toutefois des pièces du dossier que le président du département aurait pris la même décision s'il n'avait retenu que les antécédents judiciaires de M. A. Si c'est sans erreur de droit que la cour administrative d'appel a retenu que des faits à l'origine de condamnations judiciaires d'un agent public, antérieurs à son recrutement, pouvaient, le cas échéant, ainsi qu'il a été dit au point 2, constituer le fondement de poursuites disciplinaires, la cour n'a pas suffisamment motivé sa décision en se bornant à relever l'existence d'antécédents judiciaires de M. A, sans caractériser les faits à l'origine des condamnations de ce dernier et sans apprécier si ces faits, compte tenu de leur nature et de leur ancienneté, étaient de nature à conduire à la révocation de l'intéressé. Par suite, M. A est fondé, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
Sur l'exception de non-lieu à statuer et la fin de non-recevoir soulevées par M. A :
6. Aux termes de l'article 91 alors de la loi du 26 janvier 1984 dans sa version applicable au présent litige : " Les fonctionnaires qui ont fait l'objet d'une sanction des deuxième, troisième et quatrième groupes peuvent introduire un recours auprès du conseil de discipline départemental ou interdépartemental dans les cas et conditions fixées par un décret en Conseil d'Etat. L'autorité territoriale ne peut prononcer de sanction plus sévère que celle proposée par le conseil de discipline de recours ". L'avis émis en application de ces dispositions par le conseil de discipline de recours, s'il peut, le cas échéant, contraindre l'administration à rapporter, d'office ou à la demande de l'agent, la sanction initiale, est sans influence sur la légalité de cette sanction, qui doit être appréciée à la date à laquelle celle-ci a été prise. Les conclusions de M. A tendant à ce que soit prononcé un non-lieu à statuer sur l'appel formé par le département dans le présent litige du fait de l'intervention d'un avis du conseil de discipline de recours d'Ile-de-France le 20 octobre 2017 ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées. La fin de non-recevoir soulevée pour le même motif par M. A doit également être écartée.
Sur la régularité du jugement attaqué :
7. Il ressort des termes du jugement attaqué que le tribunal administratif a suffisamment motivé sa réponse au moyen tiré de l'erreur de fait soulevé par M. A en indiquant que ses antécédents judiciaires ou ses condamnations pénales passées ne ressortaient pas des pièces du dossier qui lui était soumis. Par suite, le moyen invoqué par le département de Seine-Saint-Denis et tiré de l'irrégularité de ce jugement à raison de son insuffisante motivation ne peut qu'être écarté.
Sur la légalité de l'arrêté du 26 avril 2017 :
8. En premier lieu, il n'est pas établi, au vu des pièces versées au dossier, que M. A, à l'encontre duquel par ailleurs aucune charge n'a été retenue à l'issue de l'enquête judiciaire qui avait été diligentée après la découverte de fraudes aux prestations sociales versées par le département, aurait procédé irrégulièrement à la consultation du dossier d'un bénéficiaire par fraude d'une allocation versée par le département. Par suite, M. A est fondé à soutenir que ces faits ne pouvaient être retenus pour justifier la sanction de révocation prononcée à son encontre.
9. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A, né en 1989, a été condamné, par le tribunal correctionnel de Meaux, par jugement du 17 mars 2008, à raison d'un vol avec violence n'ayant pas entraîné d'incapacité de travail, commis au préjudice d'un magasin pour un montant de 485 euros, à une peine de deux ans de prison dont un an avec sursis et qu'il a été condamné par le tribunal correctionnel de Bobigny, par jugement du 29 mars 2012, pour avoir tenté de pénétrer sans autorisation dans un établissement pénitentiaire en s'y présentant avec une pièce d'identité qui n'était pas la sienne, à une peine de trente jours-amende. Ces condamnations, antérieures à son recrutement par le département de la Seine-Saint-Denis à compter du 2 juillet 2012, ont cependant donné lieu, pour la seconde, à une dispense d'inscription au bulletin n°2 du casier judiciaire de l'intéressé et, pour la première, à un effacement de ces mentions par jugement du tribunal de grande instance de Meaux du 15 mai 2012. Eu égard à l'ancienneté des faits ayant justifié la première condamnation de M. A et à leur nature, ayant d'ailleurs conduit l'autorité judiciaire à retenir en 2012 que leur gravité ne justifiait pas ou plus de mention des condamnations correspondantes au bulletin n°2 du casier judiciaire, ces faits à eux seuls, dont l'administration a pris connaissance en 2014, n'affectaient pas le bon fonctionnement ou la réputation du service dans des conditions justifiant la révocation de l'intéressé par l'arrêté attaqué du 26 avril 2017.
10. Il résulte de tout ce qui précède que le département de la Seine-Saint-Denis n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a annulé l'arrêté du 26 avril 2017 et lui a enjoint de réintégrer M. A à compter du 15 mai 2017 et de reconstituer sa carrière dans le délai de trois mois à compter de la notification du jugement.
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département de la Seine-Saint-Denis la somme de 3 000 euros à verser à M. A au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que le département de la Seine-Saint-Denis demande au même titre.
DECIDE :
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Article 1er : L'arrêt du 4 décembre 2019 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé.
Article 2 : Les conclusions d'appel du département de la Seine-Saint-Denis tendant à l'annulation du jugement du 22 janvier 2018 du tribunal administratif de Montreuil, ainsi que celles qu'il a présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 3 : Le département de de la Seine-Saint-Denis versera la somme de 3 000 euros à M. A au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B A et au département de la Seine-Saint-Denis.
Délibéré à l'issue de la séance du 5 avril 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Pierre Collin, M. Stéphane Verclytte, présidents de chambre ; M. Christian Fournier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Patrick Pailloux, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 3 mai 2023.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Patrick Pailloux
La secrétaire :
Signé : Mme Elsa Sarrazin