CAA Paris, 15/05/2023, n°22PA00275

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association pour la fondation de service politique a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'université Sorbonne Université au paiement d'une indemnité de 59 553,04 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 16 avril 2018 et de leur capitalisation.

Par un jugement n° 1816327/4-3 du 19 novembre 2021, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 19 janvier et 3 novembre 2022, l'association pour la fondation de service politique, représentée par Me de Langle, demande à la Cour dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement n° 1816327/4-3 du 19 novembre 2021 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de condamner l'université Sorbonne Université à lui verser la somme de 59 553,04 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 16 avril 2018 et de leur capitalisation, en réparation du préjudice subi ;

3°) de mettre à la charge de l'université Sorbonne Université la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête est recevable ;

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- la seule absence de signature des conditions générales et particulières de la convention de mise à disposition d'espaces en vue d'événements et de manifestations privés de l'université Sorbonne Université ne permet pas de regarder la convention comme n'ayant pas été conclue alors que le consentement des deux parties a été réuni lors de l'acceptation du devis, du renvoi des conditions générales et particulières signées par elle et du règlement de l'acompte réclamé par l'université attestant de la volonté non équivoque des parties de s'engager ;

- en tout état de cause, une offre ferme de contrat, indépendamment de sa qualification de contrat de droit administratif, et qui n'était assortie d'aucune réserve lui été transmise par le courrier du 6 juillet 2016 ;

- l'argument selon lequel elle n'aurait pas rempli les conditions d'exécution du contrat est inopérant ;

- la responsabilité contractuelle de l'université Sorbonne Université est engagée à son égard du fait de la rupture soudaine de la convention, laquelle n'est pas justifiée par l'un des motifs de résiliation prévu par l'article 12 de cette convention ;

- elle a également engagé devant le tribunal la responsabilité délictuelle de l'université ; l'université a en effet commis une faute délictuelle au sens de l'article 1240 du code civil ;

- à titre subsidiaire, en résiliant le contrat sans justification et, en tout état de cause, en dehors des cas de résiliation prévus par ce contrat, l'université a commis un fait dommageable engageant sa responsabilité pour faute ;

- le lien de causalité entre la résiliation de la convention de mise à disposition de l'amphithéâtre très peu de temps avant la conférence initialement prévue le 1er octobre 2016 et les préjudices qu'elle a subis du fait de cette résiliation est direct et certain ;

- elle a subi un préjudice financier s'élevant à 24 053,04 euros ;

- elle a également perdu une chance de récolter des dons ; ce préjudice s'élève à 25 500 euros ;

- elle a subi un préjudice d'image du fait de l'annulation de la conférence prévue qui est évalué à 10 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 18 octobre 2022, l'université Sorbonne Université, représentée par Me Bertrand, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge de l'association pour la fondation de service politique au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- à titre principal, la requête est irrecevable en raison du défaut de production du jugement attaqué, de capacité à agir du président de l'association pour la fondation de service politique pour ester en justice au nom de l'association ainsi que de l'absence de conclusions contestant l'article 1er du jugement ;

- à titre subsidiaire, le moyen tiré de ce que la responsabilité délictuelle de l'université est engagée à l'encontre de l'association, nouveau en appel est, par suite, irrecevable ;

- les autres moyens soulevés par l'association requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A,

- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un courriel du 6 juillet 2016, l'association pour la fondation de service politique (AFSP) a présenté à l'université Sorbonne Université une demande de mise à disposition du grand amphithéâtre du centre universitaire Malesherbes situé 108, boulevard Malesherbes à Paris en vue d'un évènement organisé pour ses donateurs le 1er octobre 2016. Le même jour, l'université Sorbonne Université lui a transmis un devis pour la location de cet amphithéâtre. Le 22 juillet 2016, l'association a signé les conditions générales et les conditions particulières de la convention de mise à disposition d'espaces en vue d'événements et de manifestations privés de l'université Sorbonne Université et a versé un acompte à l'université. Par un courriel du 21 septembre 2016, puis un courrier du 26 septembre suivant, cette dernière a informé l'AFSP de son refus de mettre à disposition l'amphithéâtre pour la tenue de la manifestation prévue le 1er octobre suivant. Par un courrier du 17 avril 2018, reçu le lendemain, l'AFSP a présenté une demande indemnitaire qui a été rejetée le 16 juillet suivant par le président de l'université Sorbonne Université. Par un jugement du 19 novembre 2021, dont l'AFSP relève appel, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'université Sorbonne Université à lui verser une indemnité de 59 553,04 euros en réparation du préjudice qui aurait été causé par la résiliation du contrat de location du grand amphithéâtre du centre universitaire Malesherbes.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort des points 2 et 3 du jugement attaqué que les premiers juges ont énoncé de manière suffisamment précise les motifs pour lesquels ils ont estimé que l'AFSP n'est pas fondée à rechercher la responsabilité de l'université Sorbonne Université sur le fondement de la responsabilité contractuelle en précisant que ce fondement était le seul invoqué devant le tribunal par l'association. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement attaqué doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité de l'université Sorbonne Université :

S'agissant de la responsabilité contractuelle :

3. L'article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques dispose : " Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public ". Aux termes de l'article L. 2121-1 du même code : " Les biens du domaine public sont utilisés conformément à leur affectation à l'utilité publique. Aucun droit d'aucune nature ne peut être consenti s'il fait obstacle au respect de cette affectation ". Aux termes de l'article L. 2122-1 du même code dans sa version applicable à l'espèce : " Nul ne peut, sans disposer d'un titre l'y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 ou l'utiliser dans des limites dépassant le droit d'usage qui appartient à tous ". Aux termes de l'article L. 2125-1 du même code : "Toute occupation ou utilisation du domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 donne lieu au paiement d'une redevance sauf lorsque l'occupation ou l'utilisation concerne l'installation par l'Etat des équipements visant à améliorer la sécurité routière ou nécessaires à la liquidation et au constat des irrégularités de paiement de toute taxe perçue au titre de l'usage du domaine public routier". Il résulte de ces dispositions que nul ne peut, sans disposer d'un titre l'y habilitant, occuper une dépendance du domaine public. Eu égard aux exigences qui découlent tant de l'affectation normale du domaine public que des impératifs de protection et de bonne gestion de ce domaine, l'existence de relations contractuelles en autorisant l'occupation privative ne peut se déduire de sa seule occupation effective, même si celle-ci a été tolérée par l'autorité gestionnaire et a donné lieu au versement de redevances domaniales. En conséquence, une convention d'occupation du domaine public ne peut être tacite et doit revêtir un caractère écrit.

4. Il résulte de l'instruction qu'à la suite de la visite du grand amphithéâtre du centre universitaire Malesherbes le 20 juillet 2016, l'AFSP a signé, le 22 juillet 2016, la convention de mise à disposition d'espaces en vue d'événements et de manifestations privés de l'université Sorbonne Université. Toutefois, dès lors que l'article 10 de cette convention mentionnait qu'elle n'entrerait en vigueur qu'à compter de sa date de signature par les parties, elle ne pouvait être interprétée comme liant ces dernières en l'absence de signature par l'université Sorbonne Université. Dans ces conditions, et même si l'AFSP avait versé au profit de l'université un acompte de 2 745 euros et lui avait adressé le 22 juillet 2016 une attestation d'assurance, la convention de mise à disposition du local ne pouvait être regardée comme ayant été conclue par les parties. Or, une convention d'occupation du domaine public ne pouvant être tacite, ainsi qu'il a été dit au point 3, la circonstance, à la supposer établie, que le consentement des parties ait été réuni lors de l'acceptation du devis, du renvoi de la convention signée par l'AFSP et du versement à l'université de l'acompte ne permet pas de regarder les parties comme étant liées par une convention de mise à disposition d'une dépendance du domaine public de l'université. Par suite, la requérante n'est pas fondée à rechercher la responsabilité de l'université Sorbonne Université sur le fondement de la responsabilité contractuelle du fait du refus opposé le 21 septembre 2016 de lui louer le grand amphithéâtre du centre universitaire Malesherbes.

5. Pour le même motif que celui énoncé ci-dessus, l'association requérante ne peut utilement soutenir que l'université Sorbonne Université aurait commis une faute en résiliant la convention de mise à disposition du grand amphithéâtre du centre universitaire Malesherbes en dehors des cas de résiliation prévus par cette convention.

S'agissant de la responsabilité extra contractuelle :

6. En premier lieu, lorsque le juge, saisi d'un litige engagé sur le terrain de la responsabilité contractuelle, est conduit à constater, le cas échéant d'office, l'absence ou la nullité du contrat, les parties qui s'estimaient liées par ce contrat peuvent poursuivre le litige qui les oppose en invoquant, y compris pour la première fois en appel, des moyens tirés de l'enrichissement sans cause que l'application du contrat par lequel elles s'estimaient liées a apporté à l'une d'elles ou de la faute consistant, pour l'une d'elles, à avoir induit l'autre partie en erreur sur l'existence de relations contractuelles ou à avoir passé un contrat nul, bien que ces moyens, qui ne sont pas d'ordre public, reposent sur des causes juridiques nouvelles.

7. Il résulte du point précédent que, contrairement à ce que soutient l'université Sorbonne Université, l'AFSP est recevable à invoquer pour la première fois en appel le moyen tiré de la faute qu'aurait commise l'université en lui laissant penser, sans signer la convention, qu'elle pouvait occuper une dépendance du domaine public.

8. Il résulte de l'instruction qu'en réponse au courriel du 6 juillet 2016 de l'AFSP sollicitant la mise à disposition du grand amphithéâtre du centre universitaire Malesherbes, l'université Sorbonne Université lui a adressé le 6 juillet 2016 un devis d'un montant de 4 575 euros ainsi que la convention de mise à disposition d'espaces en vue d'événements et de manifestations privés, non signée par elle ainsi qu'il a déjà été dit. Le 18 juillet 2016, l'université a également émis une facture d'un montant de 4 575 euros. Le 20 juillet suivant, l'AFSP a visité les locaux, puis le 22 juillet 2016, ainsi qu'il a déjà été dit, a signé la convention, a versé un acompte de 2 745 euros et a présenté une attestation d'assurance ainsi qu'il lui avait été demandé par l'université. Toutefois, l'ensemble de ces éléments ne peut être regardé comme ayant induit en erreur l'AFSP sur l'existence de la relation contractuelle avec l'université Sorbonne Université et par voie de conséquence sur la mise à sa disposition du grand amphithéâtre du centre universitaire Malesherbes le 1er octobre 2016, dès lors que la convention indiquait clairement, en son dernier article, qu'elle n'entrerait en vigueur qu'à compter de la date de signature par les parties. Dans ces conditions, l'AFSP ne peut avoir été induite en erreur sur la mise à disposition de l'amphithéâtre le 1er octobre 2016 qui impliquait nécessairement que le représentant de l'université Sorbonne Université signe la convention de mise à disposition et adresse à l'association un des exemplaires de cette convention dûment rempli et signé.

9. En second lieu, la requérante ne peut, à l'appui de ses conclusions tendant à engager la responsabilité pour faute de l'université Sorbonne Université du fait du refus de mettre à sa disposition une dépendance du domaine public, utilement invoquer l'article 1240 du code civil, lequel ne régit que des rapports de droit privé.

10. Il résulte des points 3 à 9 que les conclusions indemnitaires de l'AFSP doivent être rejetées.

11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées par l'université Sorbonne Université, que l'AFSP n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'université Sorbonne Université, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que l'AFSP demande au titre des frais liés à l'instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'AFSP le versement de la somme que l'université Sorbonne Université demande sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de l'association pour la fondation de service politique est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par l'université Sorbonne Université au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'association pour la fondation de service politique et à l'université Sorbonne Université.

Délibéré après l'audience du 11 avril 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Le Goff, président de chambre,

- M. Ho Si Fat, président assesseur,

- Mme Larsonnier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 mai 2023.

La rapporteure,

V. A Le président,

R. LE GOFF

La greffière,

N. COUTY

La République mande et ordonne au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.