CAA Paris, 22/03/2023, n°23PA00543

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 décembre 2022 et 24 janvier 2023, la société par actions simplifiées (SAS) Paul Dischamp, représentée par Me Jean-Marc Poisson, avocat, a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montreuil, statuant sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (France AgriMer) à lui payer une provision d'un montant à parfaire de 65 234,16 euros dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard et de mettre à la charge de France AgriMer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Par une ordonnance n° 2217850, en date du 27 janvier 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil a rejeté la requête de la SAS Paul Dischamp.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 8 février 2023, présentée par Me Jean-Marc Poisson, la SAS Paul Dischamp demande à la Cour :

1) d'annuler l'ordonnance n° 2217850 en date du 27 janvier 2023 du tribunal administratif de Montreuil ;

2) de condamner, France AgriMer à lui payer à titre de provision la somme de

65 234,16 €, somme à parfaire au jour de l'ordonnance ;

3) de faire injonction à France AgriMer de payer cette somme dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

4) de condamner France AgriMer à lui payer la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er mars 2023, l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (France AgriMer) conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la société requérante à lui verser la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par les moyens que l'ordonnance attaquée est suffisamment motivée, que la créance que fait valoir la SAS Paul Dischamp est sérieusement contestable eu égard à la manœuvre à laquelle elle s'est livrée, au retard avec lequel elle a régularisé sa demande de paiement et à la possibilité de mettre en œuvre la clause pénale prévue par l'article 9.7 du cahier des clauses administratives particulières.

Par un mémoire en réplique, enregistré le 15 mars 2023, la SAS Paul Dischamp persiste dans ses conclusions par les mêmes moyens que sa requête et par des moyens contraires à ceux de France AgriMer.

Par un mémoire complémentaire, enregistré le 20 mars 2023, France AgriMer, reprend les conclusions et moyens de ses précédentes observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné M. Bouleau, président honoraire, pour statuer sur les appels formés devant la Cour contre les ordonnances des juges des référés.

Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : "Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation est non sérieusement contestable" ;

Dans le cadre d'un marché public portant sur la fourniture et la livraison de produits alimentaires destinés à des associations caritatives, l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (France AgriMer) a attribué à la société Paul Dischamp, par un acte d'engagement notifié le 26 mars 2021, le lot n° 926, portant sur la fourniture d'escalopes de poulet surgelées à destination de la fédération française des banques alimentaires (FFBA). France AgriMer a refusé de faire droit à la demande de paiement, pour un montant de 65 234,16 euros TTC, présentée à ce titre par la société Paul Dischamp, motif expressément pris d'une fraude commise par cette société.

S'il est constant que des erreurs ont été commises par les services de la SAS Paul Dischamp dans l'établissement de la demande adressée à France AgriMer pour avoir paiement de la somme en cause, il ne saurait se déduire de ces erreurs une intention frauduleuse dès lors que, de fait, la livraison des produits a bien eu lieu conformément aux stipulations du marché et que cette supposée manœuvre frauduleuse apparait ainsi dépourvu d'objet frauduleux. Il s'ensuit que la fraude alléguée par France AgriMer, et dont la preuve incombait à cet établissement public, ne peut être tenue pour établie. Dans ces conditions, France AgriMer n'était pas fondé à refuser à la SAS Paul Dischamp le paiement de la somme de 65 234,16 euros pour le motif retenu.

Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier, et il n'est pas contesté par France AgriMer que, alors que, comme dit ci-dessus, la livraison des produits avait été effectivement réalisée conformément aux stipulations du marché en cause, la demande de paiement a été régularisée le 2 mai 2022. A compter de cette date, le paiement à la SAS Paul Dischamp des sommes dues en application dudit marché pouvait donc intervenir.

Toutefois, France AgriMer fait valoir dans ses écritures contentieuses que, dès lors que la demande de paiement ne pouvait être regardée comme complète au sens de l'article 7.2.2 du cahier des clauses administratives particulières, pouvait être infligée au titulaire du marché la sanction prévue par l'article 9.7 de ce cahier qui prévoit que : " Toute demande de paiement déposée après le 31 janvier 2022 pourra faire l'objet d'une pénalité [P] dont le montant maximum est calculé comme suit : P = ((Prix HT par tonne ou millier de litre figurant sur l'acte d'engagement x quantités concernées par le non-respect de la date limite de réception) x (nombre de jours calendaires de retard) x 1% / Cette pénalité est applicable sans mise en demeure à compter du lendemain de la date limite de réception des demandes de paiement fixée à l'article 7.2.2 du présent document "

L'application de cette clause pénale soulève des difficultés sérieuses tenant à la possibilité d'en user en l'espèce, eu égard notamment à la nature de l'erreur commise dans la demande de paiement et à la date à laquelle cette erreur a été relevée comme à la possibilité de l'invoquer en cours de procédure contentieuse alors que le motif de rejet avait un tout autre fondement, à la fixation du quantum de la pénalité, voire à la licéité d'une telle clause compte tenu de la disproportion de ses effets (qui peuvent aller très rapidement jusqu'à l'annulation de la créance contractuelle) au regard de la faute, de nature purement administrative et ne remettant pas en cause la prestation réalisée, qui pourrait en provoquer la mise en œuvre à la discrétion de France AgriMer. Ces difficultés ont pour effet que la créance de la SAS Paul Dischamp ne peut être tenue comme non sérieusement contestable au sens des dispositions précitées de l'article R. 541-1 du code de justice administrative que déduction faite des pénalités qui pourraient le cas échéant lui être infligées.

Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler l'ordonnance attaquée et de condamner France AgriMer à verser à la SAS Paul Dischamp, à titre de provision, une somme de 9500 euros.

Il n'y a pas lieu, en l'état, d'assortir cette condamnation d'une astreinte.

Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner France AgriMer à verser à la SAS Paul Dischamp la somme de 3000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de rejeter, en revanche, les conclusions présentées à ce titre par ledit établissement public.

ORDONNE :

Article 1ere : L'ordonnance n° 2217850 en date du 27 janvier 2023 du tribunal administratif de Montreuil est annulée.

Article 2 : L'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (France AgriMer) est condamné à verser à la SAS Paul Dischamp la somme de 9500 euros à titre de provision.

Article 3 : L'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (France AgriMer) versera à la SAS Paul Dischamp la somme de 3000 euros au titre de de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées à ce titre par l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (France AgriMer) sont rejetées.

Article 4: La présente ordonnance sera notifiée à la SAS Paul Dischamp et à l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (France AgriMer).

Fait à Paris, le 22 mars 2023.

Le juge des référés,

M. A

La République mande et ordonne au préfet de Seine-Saint-Denis, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.