CAA Toulouse, 02/05/2023, n°22TL21987
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée Cuartero a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montpellier de condamner, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, la communauté de communes Lodévois et Larzac à lui verser, à titre de provision, la somme de 123 092,86 euros en exécution du décompte général et définitif notifié le 7 mai 2018 ou, à titre subsidiaire, au titre des travaux supplémentaires exécutés.
Par ordonnance n° 2101184 du 30 août 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des pièces, enregistrées les 16, 19 et 21 septembre 2022, la société Cuartero, représenté par Me Gély, demande au juge des référés de la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance du 30 août 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) de condamner la communauté de communes Lodévois et Larzac à lui verser une provision, à titre principal, de 123 092,86 euros, assortie des intérêts moratoires à compter du 13 mars 2020 et, à titre subsidiaire, de 57 756,63 euros, assortie des intérêts moratoires à compter du 2 février 2022 ;
3°) de mettre à la charge de la communauté de communes Lodévois et Larzac une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le premier juge n'a pas qualifié les éléments qu'elle a envoyés au maître d'œuvre et au maître d'ouvrage le 30 janvier 2020 comme constituant un projet de décompte général au sens de l'article 13.4.3 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de travaux ;
- une réception tacite est intervenue le 9 février 2018 ; en conséquence, elle a adressé le 4 mai 2018 tant au maître d'œuvre qu'au maître d'ouvrage un projet de décompte général et définitif mais aucun décompte général ne lui a ensuite été notifié dans un délai de 30 jours, de sorte qu'elle a de nouveau notifié son projet de décompte général, conformément à l'article 13.4.4 du cahier des clauses administratives générales ; en l'absence de réponse sous 10 jours, un décompte général et définitif tacite est né au plus tard le 13 février 2020 ;
- la communauté de communes intimée n'a pas contesté en première instance devoir a minima la somme de 42 398,65 euros TTC, correspondant au solde du marché ;
- elle a également réalisé des travaux supplémentaires qui présentaient un caractère indispensable pour la réalisation dans les règles de l'art de l'ouvrage, ce que n'a pas non plus contesté la communauté de communes, sauf en ce qui concerne les travaux afférents au devis n° 8921, soit un montant de 10 546,20 euros ;
- l'application de la clause de révision des prix aboutit à une somme de 10 511,80 euros s'ajoutant au solde du marché et aux travaux supplémentaires ;
- par ailleurs et contrairement à ce que la communauté de communes a soutenu en première instance, elle ne doit aucune pénalité de retard ;
- enfin, les intérêts de retard sont dus à compter du 7 mai 2018, date de la première notification du décompte général et définitif et subsidiairement à compter du 13 mars 2020, date de sa dernière relance ;
- en tout état de cause, la somme de 57 756,63 euros doit lui être versée, puisque la communauté de communes a signé le décompte final établi par le maître d'œuvre pour cette somme le 2 février 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- l'arrêté du 8 septembre 2009, modifié par l'arrêté du 3 mars 2014, portant approbation du cahier des clauses administratives générales relatif aux marchés publics de travaux ;
-le code de justice administrative.
Le président de la cour a désigné M. A B en application du livre V du code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. Par acte d'engagement du 15 janvier 2015, la communauté de communes Lodévois et Larzac a attribué à la société Cuartero le lot n° 11 " cloisons, doublages, faux plafonds " dans le cadre du marché public d'extension et de restructuration de restauration du musée de Lodève. La société précitée, estimant pouvoir se prévaloir d'un décompte général et définitif, intervenu tacitement, a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montpellier de condamner la communauté de Communes du Lodévois et Larzac à lui payer, à titre de provision, la somme de 123 092,86 euros.
2. La société Cuartero relève appel de l'ordonnance du 30 août 2022 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
3. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable () ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au juge des référés, dans le cadre de cette procédure qu'elles instituent, de rechercher si, en l'état du dossier qui lui est soumis, l'obligation du débiteur éventuel de la provision est ou n'est pas sérieusement contestable sans avoir à trancher ni de questions de droit se rapportant au bien-fondé de cette obligation ni de questions de fait soulevant des difficultés sérieuses et qui ne pourraient être tranchées que par le juge du fond éventuellement saisi.
4. D'une part, aux termes de l'article 41 du cahier des clauses administratives générales : " 41.1. Le titulaire avise, à la fois, le maître de l'ouvrage et le maître d'œuvre, par écrit, de la date à laquelle il estime que les travaux ont été achevés ou le seront. / Le maître d'œuvre procède, le titulaire ayant été convoqué, aux opérations préalables à la réception des ouvrages dans un délai qui est de vingt jours à compter de la date de réception de l'avis mentionné ci-dessus ou de la date indiquée dans cet avis pour l'achèvement des travaux, si cette dernière date est postérieure. 41.2 Les opérations préalables à la décision de réception () font l'objet d'un procès-verbal dressé sur-le-champ par le maître d'œuvre et signé par lui et par le titulaire. Si le titulaire refuse de signer le procès-verbal, il en est fait mention. Un exemplaire est remis au titulaire. / Dans le délai de cinq jours suivant la date du procès-verbal, le maître d'œuvre fait connaître au titulaire s'il a ou non proposé au représentant du pouvoir adjudicateur de prononcer la réception des ouvrages et, dans l'affirmative, la date d'achèvement des travaux qu'il a proposé de retenir, ainsi que les réserves dont il a éventuellement proposé d'assortir la réception. / Dans le cas où le maître d'œuvre ne respecte pas le délai de cinq jours mentionné à l'alinéa précédent, le titulaire peut transmettre un exemplaire du procès-verbal au représentant du pouvoir adjudicateur, afin de lui permettre de prononcer la réception des travaux, le cas échéant () 41.3. Au vu du procès-verbal des opérations préalables à la réception et des propositions du maître d'œuvre, le maître de l'ouvrage décide si la réception est ou non prononcée ou si elle est prononcée avec réserves. S'il prononce la réception, il fixe la date qu'il retient pour l'achèvement des travaux. La décision ainsi prise est notifiée au titulaire dans les trente jours suivant la date du procès-verbal. / La réception prend effet à la date fixée pour l'achèvement des travaux. Sauf le cas prévu à l'article 41.1.3, à défaut de décision du maître de l'ouvrage notifiée dans le délai précisé ci-dessus, les propositions du maître d'œuvre s'imposent au maître de l'ouvrage et au titulaire ".
5. D'autre part, aux termes de l'article 13.3.1 du cahier des clauses administratives générales des marchés de travaux, dans sa version applicable au marché : " Après l'achèvement des travaux, le titulaire établit le projet de décompte final, concurremment avec le projet de décompte mensuel afférent au dernier mois d'exécution des prestations ou à la place de ce dernier. () ". Aux termes de l'article 13.3.2 du même texte : " Le titulaire transmet son projet de décompte final, simultanément au maître d'œuvre et au représentant du pouvoir adjudicateur, par tout moyen permettant de donner une date certaine, dans un délai de trente jours à compter de la date de notification de la décision de réception des travaux telle qu'elle est prévue à l'article 41.3 ou, en l'absence d'une telle notification, à la fin de l'un des délais de trente jours fixés aux articles 41.1.3 et 41.3. () ". Aux termes de l'article 13.4.2 : " Le projet de décompte général est signé par le représentant du pouvoir adjudicateur et devient alors le décompte général. Le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le décompte général à la plus tardive des deux dates ci-après : - trente jours à compter de la réception par le maître d'œuvre de la demande de paiement finale transmise par le titulaire ; - trente jours à compter de la réception par le représentant du pouvoir adjudicateur de la demande de paiement finale transmise par le titulaire. () ". Et, aux termes de l'article 13.4.3 : " Dans un délai de trente jours compté à partir de la date à laquelle ce décompte général lui a été notifié, le titulaire envoie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'œuvre, ce décompte revêtu de sa signature, avec ou sans réserves, ou fait connaître les motifs pour lesquels il refuse de le signer. () ". Enfin, aux termes de l'article 13.4.4 : " Si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire le décompte général dans les délais stipulés à l'article 13.4.2, le titulaire notifie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'œuvre, un projet de décompte général signé, composé : - du projet de décompte final tel que transmis en application de l'article 13.3.1 ; - du projet d'état du solde hors révision de prix définitive, établi à partir du projet de décompte final et du dernier projet de décompte mensuel, faisant ressortir les éléments définis à l'article 13.2.1 pour les acomptes mensuels ; - du projet de récapitulation des acomptes mensuels et du solde hors révision de prix définitive. Dans un délai de dix jours à compter de la réception de ces documents, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie le décompte général au titulaire. Le décompte général et définitif est alors établi dans les conditions fixées à l'article 13.4.3. Si, dans ce délai de dix jours, le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas notifié au titulaire le décompte général, le projet de décompte général transmis par le titulaire devient le décompte général et définitif. () Le décompte général et définitif lie définitivement les parties ".
6. Il résulte de l'instruction qu'à la suite du procès-verbal, dressé le 9 novembre 2017, des opérations préalables à la réception des travaux, la société Projectiles, mandataire du groupement de maîtrise d'œuvre, a proposé, le 18 novembre 2017, au maître de l'ouvrage de prononcer la réception avec réserves à la date du 23 novembre 2017 - et non " sous réserves " - , en précisant que la société Cuartero devait remédier aux imperfections et malfaçons relevées avant le 30 novembre 2017. La société Cuartero a signé le 3 mai 2018 le procès-verbal de réception, préalablement signé, le 18 avril 2018, par le maître d'ouvrage. Elle a notifié son projet de décompte général, comprenant le projet de décompte final, le 4 mai suivant. La communauté de communes du Lodévois et Larzac n'ayant pas notifié le décompte général du marché dans un délai de 30 jours à compter du 4 mai 2018, en application de l'article 13.4.2 du cahier des clauses administratives générales, précité, il appartenait à la société, conformément à l'article 13.4.4 du même cahier des clauses administratives générales, de notifier au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'œuvre, un projet de décompte général signé, composé du projet de décompte final, du projet d'état du solde hors révision de prix définitive et du projet de récapitulation des acomptes mensuels et du solde.
7. Il résulte de l'instruction que la société Cuartero a adressé, le 30 janvier 2020, au représentant du maître d'ouvrage, avec copie au maître d'œuvre, une lettre mettant en demeure celui-ci d'établir un décompte général conforme au projet de décompte déjà transmis au mois de mai 2018. Il résulte également de l'instruction et notamment des dires non démentis ultérieurement de la société appelante, que celle-ci a, une seconde fois, joint à cette lettre son projet de décompte général, lequel comportait, comme il a été déjà dit, le projet de décompte final, mais également le projet d'état du solde hors révision de prix définitive et les acomptes mensuels reçus. En outre, il résulte de l'instruction que cette lettre et le projet de décompte général qui y était joint ont été reçus le 2 février 2020. En conséquence, et en l'absence de notification d'un décompte général par le maître d'ouvrage à la société Cuartero dans un délai de dix jours après cette date, le projet de décompte général établi par cette dernière est devenu le décompte général et définitif, en vertu des dispositions de l'article 13.4.4 du cahier des clauses administratives générales. Dès lors, l'appelante est fondée à se prévaloir de l'existence d'une obligation non sérieusement contestable pour demander la condamnation de la communauté de communes du Lodévois et Larzac à lui verser une provision de 123 092,86 euros au titre des sommes restant dues, fixées par le décompte général et définitif, majorée des intérêts au taux légal à compter du 13 mars 2020.
8. Il résulte de ce qui précède que la société Cuartero est fondée à soutenir que c'est à tort que, par ordonnance du 30 août 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à ce que la communauté de communes du Lodévois et Larzac lui verse une provision de 123 092,86 euros toutes taxes comprises, majorée des intérêts au taux légal à compter du 13 mars 2020. Il y a lieu, par ailleurs, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette communauté de communes la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
ORDONNE :
Article 1er : L'ordonnance du 30 août 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier est annulée.
Article 2 : La communauté de communes du Lodévois et Larzac est condamnée à verser à la société Cuartero une provision de 123 092,86 euros toutes taxes comprises, majorée des intérêts au taux légal à compter du 13 mars 2020.
Article 3 : La communauté de communes du Lodévois et Larzac versera à la société Cuartero une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la communauté de communes du Lodévois et Larzac et à la société par actions simplifiée Cuartero.
Fait à Toulouse, le 2 mai 2023.
Le juge d'appel des référés,
Éric B
La République mande et ordonne au préfet de l'Hérault, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
No 22TL21987