CAA Toulouse, 21/03/2023, n°21TL01546
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Axa France Iard a notamment demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner in solidum, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, d'une part, les sociétés Établissement Cancé, Puig-Pujol et associés architecture, BET Sacet, et Eiffage Énergie Thermie Méditerranée venant aux droits de la société Chrystal à lui verser les sommes de 70 000 euros et 15 097,50 euros en réparation des désordres résultant des infiltrations d'air et de bruit par grands vents dans les chambres du centre hospitalier Francis Vals à Port-La-Nouvelle.
Par un jugement n° 1802504 du 16 décembre 2020, le tribunal administratif de Montpellier a condamné à l'article 5 de ce jugement les sociétés A, BET Sacet, Puig-Pujol et associés architecture, Eiffage Énergie Thermie Méditerranée et Établissement Cancé à verser in solidum à la société Axa France Iard la somme de 82 581,25 euros hors taxes, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 29 mai 2018 et de la capitalisation de ces intérêts.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 avril 2021, au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis le 11 avril 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, la société Eiffage Énergie Systèmes, représentée par la SCP Cascio-Ortal-Dommée-Marc, doit être regardée comme demandant à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 16 décembre 2020 en tant qu'il n'a pas condamné M. A, et les sociétés Cancé, Puig-Pujol et associés, Sacet et Socotec à la garantir à hauteur de 93,34 % ;
2°) de condamner les sociétés A, BET Sacet, Puig-Pujol et associés Établissement Cancé et Socotec à la garantir de la somme de 82 581,25 euros hors taxes à hauteur de 93,34 %.
Elle soutient que :
- la société Axa France Iard a demandé que le partage de responsabilité entre les divers constructeurs se fasse sur la base du rapport d'expertise ; or, ce rapport prévoit que les infiltrations d'air et de bruit par grand vent à l'origine des nuisances sonores sont imputables à l'inadaptation des blocs coffres à hauteur de 33,34 % et que sa part de responsabilité dans cette cause s'élève à 20 % ; s'agissant de ce désordre évalué à 82 581,25 euros par les premiers juges, sa condamnation devait donc être limitée à 20 % de 33,34 %, soit à 6,66 % du montant du préjudice évalué à 82 581,25 euros, correspondant à la somme de 5 506,51 euros ;
- par voie de conséquence, les sociétés condamnées in solidum au titre des infiltrations d'air et de bruit par grand vent à l'origine des nuisances sonores à verser à la société Axa France Iard la somme de 82 581,25 euros hors taxes, doivent la garantir à hauteur de 93,34 % de cette somme.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er juin 2021, la société Axa France Iard, représentée par Me Rieu, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce qu'il soit mis à la charge de la société Eiffage Énergie Systèmes une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- à titre principal, l'appel interjeté est tardif ;
- à titre subsidiaire, sur le fond, elle n'a pas demandé aux premiers juges de reprendre le partage de responsabilité proposé par l'expert judiciaire mais la condamnation in solidum de la société Eiffage dès lorsqu'elle a concouru, ce qu'elle ne conteste pas, avec les autres responsables identifiés par l'expert à l'apparition des désordres de nature décennale d'infiltration d'air et de bruits par grands vents ; sa condamnation ne peut donc être limitée à 5 506,51 euros.
Par trois mémoires en défense, enregistrés le 23 juillet 2021 et les 23 mars et 18 mai 2022, la société Sacet, représentée par la société d'avocats Verbateam, conclut :
1°) à titre principal, au rejet de la requête présentée par la société Eiffage Énergie Systèmes ;
2°) à titre subsidiaire, à ce que les sociétés Établissement Cancé, A, et Puig-Pujol et associés architecture la garantissent de toute condamnation éventuelle ;
3°) à ce qu'il soit mis à la charge de la société Eiffage Énergie Systèmes une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la requête qui est tardive, est irrecevable ;
- s'agissant des infiltrations d'air et de bruit par grand vent, elle a été condamnée à verser solidairement avec, outre la société appelante, les sociétés Établissement Cancé, A, et Puig-Pujol et associés architecture la somme de 82 581,25 euros hors taxes ; elle est garantie par ces autres sociétés de toute condamnation supérieure à 2 752,70 euros hors taxes correspondant à 10 % des 33,34 % au titre de l'inadaptation des coffres ; elle n'est désormais plus débitrice d'aucune créance à l'égard d'aucune des parties ;
- elle ne saurait être condamnée à garantir toute autre partie, et notamment pas la société Établissement Cancé dès lors que les premiers juges ont jugé qu'elle était garantie par la société appelante et les sociétés Établissement Cancé, A, et Puig-Pujol et associés architecture de toute condamnation supérieure à 2 752,70 euros hors taxes.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 mars 2022, la société Établissement Cancé, représentée par la société d'avocats de Angelis, conclut :
1°) à titre principal, au rejet de la requête présentée par la société Eiffage Énergie Systèmes ;
2°) à titre subsidiaire, à ce que les sociétés Sacet, A, Puig-Pujol et associés architecture et Socotec la garantissent de toute condamnation prononcée à son encontre ;
3°) à ce qu'il soit mis à la charge de la société Eiffage Énergie Systèmes ou de tout autre succombant une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la condamnation de la société appelante ne peut être limitée à la somme de 5 501,51 euros, il convient d'y ajouter également sa part au titre des frais d'expertise et des intérêts capitalisés ;
- si la cour entrait en voie de condamnation à son encontre, elle demande à être relevée et garantie par les autres sociétés Sacet, A, et Puig-Pujol et associés architecture et Socotec selon les pourcentages d'imputabilité retenus par le rapport d'expertise.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 mars 2022, les sociétés A et Puig-Pujol et associés architecture, représentées par Me Sagnes, concluent :
1°) à ce que le jugement attaqué soit confirmé ;
2°) à ce que, s'agissant des désordres affectant la balnéothérapie, les condamnations prononcées à leur encontre soient limitées à la somme de 62 558,26 euros toutes taxes comprises et à ce qu'elles soient garanties par les sociétés Alayrac, Socotec, Caro d'Oc, Sogea Sud et Narbonnaise de Plâtrerie de toutes condamnations qui excèderaient leurs parts de responsabilité dans les proportions proposées par l'expert judiciaire ;
3°) à ce que, s'agissant des infiltrations d'eau par les menuiseries extérieures situées aux 1er et au 2ème étage en façade Est, les condamnations prononcées à leur encontre soient limitées à la somme de 2 908,59 euros toutes taxes comprises et à ce qu'elles soient garanties par les sociétés Socotec, Établissement Cancé et Wicona de toutes condamnations qui excèderaient leurs parts de responsabilité dans les proportions proposées par l'expert judiciaire ;
4°) à ce que, s'agissant des infiltrations d'eau par les quatre portes fenêtres, les condamnations prononcées à leur encontre soient limitées à la somme de 222,14 euros toutes taxes comprises et à ce qu'elles soient garanties par les sociétés Socotec, Établissement Cancé et Wicona de toutes condamnations qui excèderaient leurs parts de responsabilité dans les proportions proposées par l'expert judiciaire ;
5°) au rejet, s'agissant des infiltrations d'eau par les quatre châssis d'amenée d'air frais, des condamnations prononcées à leur encontre et à ce qu'elles soient garanties par la société Établissement Cancé de toutes condamnations prononcées à leur encontre ;
6°) à ce que, s'agissant des infiltrations d'air et de bruit par grand vent, les condamnations prononcées à leur encontre soient limitées à la somme de 13 196,59 euros toutes taxes comprises et à ce qu'elles soient garanties par les sociétés Sacet, Socotec, Établissement Cancé et Eiffage Énergie Systèmes de toutes condamnations qui excèderaient leurs parts de responsabilité dans les proportions proposées par l'expert judiciaire ;
7°) au rejet dans tous les cas, de toute demande de condamnation in solidum :
8°) à ce qu'il soit mis à la charge solidaire des sociétés Eiffage Énergie Systèmes, Alayrac, Socotec, Caro d'Or, Sogea Sud, Narbonnaise de Plâtrerie, Établissement Cancé et Sacet une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- s'agissant des infiltrations d'air et de bruit par grand vent, l'expert judiciaire a retenu la responsabilité de M. A à hauteur de 15 % pour l'inadaptation du bloc coffre et celle de la société Puig-Pujol et associés architecture à hauteur de 5 % pour le traitement inadapté de l'espace entre bloc coffre de volet roulant et la tôle d'habillage extérieure ; les condamnations prononcées à leur encontre doivent être limitées à la somme de 13 196,59 euros toutes taxes comprises.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 avril 2022, la société Socotec Construction, représentée par Me Bène, conclut :
1°) au rejet de la requête de la société Eiffage Énergie Système ;
2°) à ce qu'il soit mis à la charge de la société Eiffage Énergie Systèmes une somme de 800 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la requête qui est tardive, est irrecevable ;
- les premiers juges ne l'ont pas condamnée in solidum au versement de la somme de 82 581,25 euros hors taxes ; la demande de la société appelante tendant à ce qu'elle la garantisse pour toute condamnation excédant 6,66 % de la somme de 82 581,25 euros hors taxes n'est pas fondée.
Par une ordonnance du 19 janvier 2023, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 2 février 2023 à 12 heures.
En application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées le 27 février 2023 de ce que la cour était susceptible de soulever d'office, d'une part, l'irrecevabilité des conclusions de la société Eiffage Energie Système tendant à condamner les sociétés A, BET Sacet, Puig-Pujol et associés, Établissement Cancé et Socotec à la garantir de la somme de 82 581,25 euros à hauteur de 93,34 %, dès lors que ces conclusions qui ont été présentées pour la première fois en appel ont le caractère d'une demande nouvelle, et d'autre part, l'irrecevabilité des conclusions des sociétés A et Puig-Pujol et associés architecture, afférentes aux désordres décennaux autres que les infiltrations d'air et du bruit par grand vent, seul désordre décennal en litige, qui présentent à juger un litige distinct de l'appel principal.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Karine Beltrami, première conseillère,
- les conclusions de Mme Françoise Perrin, rapporteure publique,
- et les observations de Me Nérot, représentant la société BET Sacet, et de Me Le Treut, représentant la société Établissement Cancé.
Considérant ce qui suit :
1. Le centre hospitalier Francis Vals, à Port-La-Nouvelle (Aude), a fait construire, à compter de 2006, un nouveau bâtiment d'une capacité de 110 lits destiné à accueillir des activités de soins de suite de réadaptation, d'hôpital de jour et un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes. Les travaux ont été réceptionnés le 28 juillet 2008 et les réserves ont été levées le 9 décembre 2008. Des désordres ont été constatés à partir de 2009 portant principalement sur des infiltrations d'air et d'eau par les menuiseries extérieures en façade Ouest et Est et des remontées d'humidité dans le local de balnéothérapie. La société Axa France Iard, subrogée dans les droits du centre hospitalier en sa qualité d'assureur, a recherché la responsabilité décennale des constructeurs. La société Eiffage Énergie Système relève appel de l'article 5 du jugement du tribunal administratif de Montpellier du 16 décembre 2020 l'ayant condamnée solidairement avec les sociétés A, BET Sacet, Puig-Pujol et associés architecture, et Établissement Cancé à verser à la société Axa France Iard la somme de 82 581,25 euros hors taxes, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 29 mai 2018 et de la capitalisation de ces intérêts.
Sur la recevabilité des conclusions des sociétés A et Puig-Pujol et associés architecture :
2. Aux termes de l'article R. 811-2 du code de la justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 à R. 751-4-1. () ".
3. Il résulte de l'instruction que le jugement attaqué a été notifié respectivement à M. A et à la société Puig-Pujol et associés architecture le 21 décembre 2021. Dès lors, les conclusions présentées le 14 mars 2022 par ces sociétés, postérieurement à l'expiration du délai de recours contentieux, et dans le cadre de la présente instance, ne constituent pas des conclusions d'appel principal mais s'analysent en un appel incident.
4. Par ailleurs, les conclusions de ces sociétés sont afférentes aux désordres décennaux autres que les infiltrations d'air et du bruit par grand vent, seul désordre décennal en litige. Elles présentent par conséquent à juger un litige distinct de l'appel principal et sont, par suite, irrecevables.
Sur l'appel principal de la société Eiffage Énergie Système :
Sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense :
5. L'appelante ne conteste pas que l'inadaptation des coffres dont elle est en partie responsable, le traitement inadapté de l'espace et les transmissions parasites sont à l'origine des infiltrations d'air et du bruit par grand vent responsables des nuisances sonores. Ces trois causes qui sont imputables à la faute de plusieurs intervenants au titre desquels figure la société Eiffage Énergie Systèmes, ont concouru à la réalisation de la totalité de ce désordre décennal. Dès lors que les fautes respectives de l'ensemble de ces intervenants ont contribué à causer le préjudice dans son entièreté, ces personnes pouvaient, à bon droit, être condamnées solidairement à verser à la société Axa France Iard une indemnité d'un montant de 82 581,25 euros hors taxes en réparation de ce chef de préjudice.
6. En ce qui concerne les conclusions d'appel en garantie, la société Eiffage Énergie Système n'a pas demandé, devant les premiers juges, avant la clôture de l'instruction, à être garantie à hauteur de 93,34 % par M. A, et les sociétés Cancé, Puig-Pujol et associés, Sacet et Socotec. Ainsi, les conclusions présentées à cette fin pour la première fois en appel ont le caractère d'une demande nouvelle et sont, par suite, irrecevables.
7. Il résulte de ce qui précède que la société Eiffage Énergie Système n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier l'a condamnée in solidum à verser à la société Axa France Iard la somme de 82 581,25 euros.
Sur l'appel provoqué des sociétés Établissement Cancé, Sacet, A, Puig-Pujol et associés architecture :
8. Les sociétés Établissement Cancé, Sacet, A, Puig-Pujol et associés architecture, qui n'ont pas fait appel du jugement attaqué dans le délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement, ne seraient recevables à demander la limitation de leur condamnation et à appeler en garantie d'autres sociétés intervenantes que si les conclusions de la société Eiffage Énergie Systèmes, appelante principale, étaient partiellement ou totalement accueillies. Par conséquent et compte tenu de ce qui a été dit précédemment sur l'appel principal de cette dernière société, l'appel provoqué des sociétés Établissement Cancé, Sacet, A, Puig-Pujol et associés architecture, est irrecevable.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la société Eiffage Énergie Système le versement à chacune des sociétés Établissement Cancé, Sacet, A, Puig-Pujol et associés architecture la somme de 700 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y pas lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions au bénéfice de la société Socotec France.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Eiffage Énergie Système est rejetée.
Article 2 : La société Eiffage Énergie Système versera à chacune des sociétés Établissement Cancé, Sacet, A, Puig-Pujol et associés architecture la somme de 700 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Eiffage Énergie Systèmes, à la société anonyme Axa France Iard, à la société à responsabilité limitée Sacet, à la société par actions simplifiée Établissement Cancé, à la société à responsabilité limitée A, à la société par actions simplifiée Puig-Pujol et associés architecture et à la société Socotec France.
Délibéré après l'audience du 7 mars 2023 à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Bentolila, président assesseur,
Mme Beltrami, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mars 2023.
La rapporteure,
K. Beltrami
Le président,
É. Rey-Bèthbéder
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au préfet de l'Aude en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.