TA de Guadeloupe, 21 décembre 2023, n°2301443


REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

 

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 23 novembre et le 16 décembre 2023, la société ETPO, représentée par Me Letellier, demande au juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L.551-1 du code de justice administrative :

1°) avant-dire droit, enjoindre à la Région Guadeloupe de lui communiquer sans délai les détails des notes attribuées, les explications littérales accompagnant ces notes et les caractéristiques et avantages de la proposition retenue ;

2°) annuler la décision de rejet de son offre du 14 novembre 2023 ;

3°) annuler la procédure de publicité et de mise en concurrence lancée par la Région Guadeloupe pour la conclusion d'un marché de travaux portant sur la " Route nationale 2 - Déviation de la Boucan au droit de la Boucan - Terrassement, ouvrage d'art et ouvrages hydrauliques " concernant le lot n° 2 ;

4°) condamner la Région Guadeloupe à lui verser une somme de 10 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la Région Guadeloupe a méconnu les dispositions des articles R.2181-3 et R.2181-4 du code de la commande publique en omettant de lui indiquer les notes attribuées aux candidats et les explications y afférentes, en dépit d'un courrier du 20 novembre 2023, resté sans réponse ;

- la procédure n'a pas été achevée le 24 septembre 2022 tel que prévu dans le règlement de consultation, sans que la Région Guadeloupe n'informe les candidats d'une prolongation du délai ;

- l'article L.2181-1 a été méconnu dans la mesure où il s'est écoulé un délai anormalement long entre la réunion de la CAO qui a désigné l'attributaire du lot n° 2 et la notification de la décision, ce qui l'a nécessairement potentiellement lésée ;

- la procédure de passation du marché a méconnu les règles de transparence en ce qu'elle a été viciée par de nombreuses adaptations en cours de route affectant sa lisibilité et, d'autre part, en raison de quatre versions différentes du BPU et du DQE, sans oublier les reports de dates et autres péripéties imputables à la Région Guadeloupe.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 11 et le 18 décembre 2023, la Région Guadeloupe, représentée par Me Lafay, conclut au rejet de la requête. Elle demande, en outre, que la société ETPO, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, soit condamnée à lui verser la somme de 5 000 euros. Elle fait valoir que :

- le moyen tiré du défaut de motivation du rejet de l'offre est sans objet puisque toutes les informations demandées par la société requérante figurent déjà dans le courrier de rejet de son offre ;

- le moyen tiré du dépassement du délai de validité des offres manque en fait comme le montrent les pièces du dossier ;

- aucune lésion n'est démontrée par la société requérante ;

- le principe de transparence a été respecté.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 11 et le 18 décembre 2023, la société GTA, représentée par Me Benjamin, conclut au rejet de la requête. Elle demande, en outre, que la société ETPO, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, soit condamnée à lui verser la somme de 10 000 euros. Elle fait valoir que :

- le défaut de motivation manque en fait ;

- le délai de validité n'était pas expiré ;

- la société requérante n'établit aucune lésion ;

- aucun manquement n'est à relever concernant le principe de transparence.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de la visio-audience.

Au cours de l'audience publique tenue en présence de Mme Lubino, greffière d'audience, M. Gouès a lu son rapport et entendu les observations de :

- Me Letellier, en visio-audience, représentant la société ETPO,

- Me Lafay, en visio-audience, représentant la Région Guadeloupe,

- Me Benjamin, en présentiel, représentant la société GTA.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis de publicité envoyé à la publication le 26 mars 2021, la Région Guadeloupe a lancé une consultation en vue de l'attribution du marché de travaux RN2 - Déviation de la Boucan au droit de la Boucan, alloti comme suit : Lot n°1 - Travaux de terrassement (P48 à P196 et P207 à P216), assainissement, bassins n°1, 2 et 3 - Lot n°2 - Viaduc et OH1 164 - Lot n°3 - PI2 de Jaula, OH 220, OH 280, OH 330. Cette procédure de passation a été organisée relativement à l'appel d'offres ouvert. Le groupement constitué des sociétés GTA, Sotradom, Baudin Chateauneuf, Freyssinet et Balineau a soumissionné au lot n°2, dont il a été déclaré attributaire. Le groupement ETPO, ETPO Guadeloupe, Emile Gaddarkhan et Fils, B et A C était informé du rejet de son offre et de son classement en 3ème position. La société ETPO, demande, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, l'annulation de la procédure du marché en cause.

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, ou la délégation d'un service public. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". Aux termes de son article L. 551-3 : " Le président du tribunal administratif ou son délégué statue en premier et dernier ressort en la forme des référés ".

3. En premier lieu, la société ETPO déclare, dans ses dernières écritures, retirer le moyen tiré du défaut de motivation de la décision attaquée.

4. En second lieu, aux termes de l'article L2181-1 du code de la commande publique : " Dès qu'il a fait son choix, l'acheteur le communique aux candidats et aux soumissionnaires dont la candidature ou l'offre n'a pas été retenue, dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat. ".

5. En l'espèce, la société ETPO soutient que le délai qui s'est écoulé entre la réunion de la commission d'appel d'offres (CAO), révélé par le procès-verbal de cette réunion daté du 12 août 2022 et la date de la notification à la société ETPO de la décision de la CAO l'évinçant, à savoir le 14 novembre 2023, soit plus de 15 mois plus tard, est anormalement long et a induit une lésion potentielle. En défense, si la Région Guadeloupe reconnaît que ce délai est long comparativement à d'autres procédures similaires, d'une part, elle fait valoir que la société ETPO n'a pas été lésée pour autant puisqu'au final, elle a terminée troisième selon le classement établi par la CAO et que la procédure concernant le lot n° 1 a été annulée et reprise à zéro, alors que ce lot détermine la date de début des travaux du lot n° 2 et, d'autre part, explique la longueur anormale de ce délai par la survenance de tempêtes à l'automne 2022 et en raison de la cyber-attaque qu'elle a subie en novembre 2022 dont les conséquences se sont étendues jusqu'en mars 2023.

6. Cependant, si les arguments avancés par la Région peuvent avoir eu pour conséquence de ralentir ses services en charge de la commande publique, toutefois, compte tenu de la longueur du délai de 15 mois rappelé ci-dessus, ils ne peuvent, à eux seuls en expliquer potentiellement qu'une partie. De plus, selon les termes précités de l'article L2181-1 du code de la commande publique, l'expression " dès que " implique nécessairement une réponse qui ne saurait dépasser un délai raisonnable, que les 15 mois en question ne peuvent représenter. Enfin, si la Région soutient que la société ETPO n'a pratiquement rien fait pour connaître le sort de sa candidature pendant ces 15 mois, toutefois, il résulte de l'instruction qu'elle a par deux fois demandé à la Région où en était la procédure de désignation de l'attributaire du lot n° 2, soit le 17 novembre 2022 et le 27 janvier 2023, dans des termes non équivoques. Par conséquent, il en résulte que la Région a commis un manquement en ne communiquant sa décision concernant l'attributaire du lot n° 2 que 15 mois après la réunion de la CAO. Il en résulte nécessairement pour la société ETPO une lésion potentielle, dans la mesure où, même classée troisième, elle a été placée dans un état d'incertitude sur une longue période.

7. Il résulte de ce qui précède qu'en retenant l'offre de la société GTA la Région Guadeloupe a méconnu les dispositions précitées du code de la commande publique. Dès lors la société ETPO est fondée à demander l'annulation de la procédure de passation du marché public engagée par la région.

8. Enfin, dans les circonstances de l'espèce et en application de l'article L.761 du code de justice administrative, la Région Guadeloupe est condamnée à verser à la société ETPO la somme de 1 500 euros. En revanche, sur le même fondement, les conclusions de la Région Guadeloupe et de la société GTA doivent être rejetées.

O R D O N N E :

Article 1er : La procédure engagée par la Région Guadeloupe en vue de la passation du marché portant sur des travaux sur la " Route nationale 2 - Déviation de la Boucan au droit de la Boucan - Terrassement, ouvrage d'art et ouvrages hydrauliques " concernant le lot n° 2, est annulée.

Article 2 : La Région Guadeloupe est condamnée à verser la somme de 1 500 euros à la société ETPO, en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions de la Région Guadeloupe et de la société GTA visant à la condamnation de la société ETPO, en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société ETPO, à la Région Guadeloupe et à la société GTA.

Fait à Basse-Terre le 21 décembre 2023.

Le juge des référés,

Signé :

S. GOUÈS

La République mande et ordonne au préfet de Guadeloupe en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme

La greffière en chef

Signé :

M-L CORNEILLE