TA de Marseille, 03 novembre 2023, n° 2309597

 

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

 

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 13 et 30 octobre 2023, la société Reyflex, représentée par la société d'avocats Cornet, Vincent, Segurel, demande au juge des référés :

1°) sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'enjoindre à la chambre régionale d'agriculture Provence-Alpes-Côte d'Azur de lui communiquer les motifs des notes obtenues par les candidats sur chaque critère et sous-critère et les prix proposés par les sociétés attributaires, d'annuler la décision du 29 septembre 2023 par laquelle la chambre régionale d'agriculture Provence-Alpes-Côte d'Azur a rejeté ses offres, d'annuler la procédure de passation des lots n° 1, 4 et 5 du marché en cause, d'enjoindre à la chambre régionale d'agriculture de reprendre la procédure au stade de la publication de l'avis d'appel public à la concurrence ;

2°) de mettre à la charge de la chambre régionale d'agriculture Provence-Alpes-Côte d'Azur la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les motifs de rejet de son offre, du choix de l'attributaire et les caractéristiques et avantages de l'offre retenue ne lui ont pas été communiqués, en méconnaissance des articles R. 2181-3 et R. 2181-4 du code de la commande publique ;

- la recevabilité des candidatures et la recevabilité des offres n'ont pas été analysées, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique ;

- la présentation du mémoire technique imposée par le règlement de la consultation ne permettait pas d'indiquer l'ensemble des éléments d'appréciation des critères cités par ce même règlement et comportait des éléments d'appréciation non prévus par ces mêmes critères, ce qui a créé une contradiction entre les critères tels qu'inscrits au règlement de consultation et les rubriques impératives pour l'appréciation de ces critères ;

- les éléments d'appréciation cités par le règlement de la consultation constituaient de fait des sous-critères pondérés dont la pondération n'a pas été portée à la connaissance du candidat ;

- le barème de 1 à 4 devant être appliqué à chaque critère n'a pas été respecté ;

- les notes ont été appliquées de manière arbitraire ;

- ses offres ont été dénaturées.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 octobre 2023, la chambre régionale d'agriculture Provence-Alpes-Côte d'Azur sollicite le rejet de la requête et demande qu'il soit mis à la charge de la société requérante la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés et que la société requérante ne justifie pas d'un intérêt lésé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. Gonneau, vice-président, pour statuer sur les demandes de référés.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique du 31 octobre 2023 tenue en présence de Mme Romelli, greffière d'audience, M. Gonneau a lu son rapport et a entendu les observations de Me Jakob , représentant la société Reyflex qui a conclu aux mêmes fins que ses mémoires par les mêmes moyens, et de Me Angot, représentant la chambre régionale d'agriculture Provence-Alpes-Côte d'Azur qui a maintenu les termes de son mémoire en défense, en ajoutant que les notes obtenues étaient le résultat de la moyenne des notes attribuées par chacun des sept membres de la commission d'appel d'offres.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

La chambre régionale d'agriculture Provence-Alpes-Côte d'Azur a présenté une note en délibéré enregistrée le 31 octobre 2023.

Considérant ce qui suit :

1. La chambre régionale d'agriculture Provence-Alpes-Côte d'Azur a soumis à la concurrence un marché de fournitures de matériel d'identification des animaux d'élevages, divisé en sept lots. La société Reyflex demande à titre principal l'annulation de la décision du 29 septembre 2023 par laquelle le président de la chambre régionale d'agriculture Provence-Alpes-Côte d'Azur l'a informée du rejet de ses offres au titre des lots n° 1, 4 et 5 et l'annulation de la procédure de passation de ces lots.

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. () ". Aux termes de l'article L. 551-2 du même code : " I.- Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations () ".

3. Aux termes de l'article R. 2181-1 du code de la commande publique : " L'acheteur notifie sans délai à chaque candidat ou soumissionnaire concerné sa décision de rejeter sa candidature ou son offre ". Aux termes de l'article R. 2181-3 du même code : " La notification prévue à l'article R. 2181-1 mentionne les motifs du rejet de la candidature ou de l'offre. Lorsque la notification de rejet intervient après l'attribution du marché, l'acheteur communique en outre : 1° Le nom de l'attributaire ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de son offre () ". Aux termes de l'article R. 2181-4 du même code : " À la demande de tout soumissionnaire ayant fait une offre qui n'a pas été rejetée au motif qu'elle était irrégulière, inacceptable ou inappropriée, l'acheteur communique dans les meilleurs délais et au plus tard quinze jours à compter de la réception de cette demande : () 2° Lorsque le marché a été attribué, les caractéristiques et les avantages de l'offre retenue ".

4. L'information sur les motifs du rejet de son offre dont est destinataire l'entreprise en application des dispositions précitées a, notamment, pour objet de permettre à la société non retenue de contester utilement le rejet qui lui est opposé devant le juge du référé précontractuel saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative. Par suite, l'absence de respect de ces dispositions constitue un manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence.

5. Par un courrier du 29 septembre 2023 la chambre régionale d'agriculture Provence-Alpes-Côte d'Azur a informé la société Reyflex du rejet de ses offres en indiquant que les motifs du choix de l'offre de l'attributaire étaient, au titre du lot n° 1, une " meilleure qualité des services et valeur technique satisfaisante ", au titre du lot n° 2, une " meilleure qualité des services " et au titre du lot n° 3, une " meilleure qualité des services ". Par un courrier du 25 octobre 2023, en réponse à la demande de la société Reyflex de communication des motifs détaillés du rejet de ses offres sur le fondement de l'article R. 2181-4, la chambre régionale d'agriculture Provence-Alpes-Côte d'Azur a indiqué à nouveau les motifs cités ci-dessus et a communiqué à la société les " rapports d'analyse des offres " se résumant à des tableaux indiquant pour chaque candidat ses notes au titre de chacun des trois critères, sans autres précisions. Eu égard notamment à la multiplicité des éléments d'appréciation des critères mentionnés par le règlement de la consultation, ces informations ne sont pas suffisamment précises et détaillées pour permettre à la société Reyflex de connaître les motifs pour lesquels ses offres ont été rejetées et les caractéristiques et avantages de l'offre retenue. Dès lors la chambre régionale d'agriculture Provence-Alpes-Côte d'Azur a méconnu ses obligations de transparence et de mise en concurrence. Par suite la décision du 29 septembre 2023 par laquelle le président de la chambre régionale d'agriculture Provence-Alpes-Côte d'Azur a informé la société Reyflex du rejet de ses offres au titre des lots n° 1, 4 et 5 et la procédure de passation de ces lots doivent être annulés, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête.

6. La présente décision n'implique pas qu'il soit enjoint à la chambre régionale d'agriculture Provence-Alpes-Côte d'Azur de reprendre la procédure de passation, ce qu'il lui est loisible de faire, en tout état de cause.

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Reyflex, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la chambre régionale d'agriculture Provence-Alpes-Côte d'Azur au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la chambre régionale d'agriculture Provence-Alpes-Côte d'Azur le versement d'une somme de 2 500 euros au titre des frais exposés par la société Reyflex et non compris dans les dépens.

O R D O N N E :

Article 1er : La décision du 29 septembre 2023 par laquelle le président de la chambre régionale d'agriculture Provence-Alpes-Côte d'Azur a informé la société Reyflex du rejet de ses offres au titre des lots n° 1, 4 et 5 du marché de fourniture de matériel d'identification d'animaux d'élevage et la procédure de passation de ces lots sont annulées.

Article 2 : la chambre régionale d'agriculture Provence-Alpes-Côte d'Azur versera à la société Reyflex la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Les conclusions présentées par la chambre régionale d'agriculture Provence-Alpes-Côte d'Azur au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Reyflex, à la chambre régionale d'agriculture Provence-Alpes-Côte d'Azur, à la société Datamars et à la société Allflex.

Le juge des référés,

signé

P-Y. GONNEAU

La République mande et ordonne au préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,