TA Nantes, 23/08/2023, n°2311324
Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 1er août 2023, le préfet de Maine-et-Loire demande au juge des référés, sur le fondement des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, de suspendre l'exécution de la délibération du 27 mars 2023 du conseil municipal de Beaufort-en-Anjou portant retrait partiel d'une délibération adoptée le 28 novembre 2022 et autorisant le maire à négocier pour dénoncer un bail consenti sur le fondement de cette dernière délibération.
Il soutient que :
- le conseil municipal s'est prévalu, pour justifier de la nécessité de retirer partiellement la délibération du 28 novembre 2022, du non-respect de l'article L. 2222-7 du code général de la propriété des personnes publiques alors que cet article, qui régit seulement les biens du domaine privé mobilier de l'Etat, n'est pas applicable en l'espèce ;
- de même, si le conseil municipal s'est prévalu de ce que les conseillers municipaux ayant participé au vote de la délibération du 28 novembre 2022 n'avaient pu se prononcer en toute connaissance de cause, du fait d'un déficit d'information, il ressort des mentions de cette délibération qu'elle a été adoptée à l'unanimité ;
- enfin, la circonstance, invoquée dans la délibération litigieuse du 27 mars 2023, que la délibération du 28 novembre 2022 n'ait pas été précédée de la mise en œuvre d'une procédure de sélection pour le choix du preneur du bail commercial des locaux de l'ancienne coopérative de chanvre ne saurait justifier le retrait partiel de cette dernière délibération, les actes de gestion du domaine privé des personnes publiques n'étant pas soumis aux règles de la commande publique ;
- la résiliation du bail commercial, signé le 20 janvier 2023 par le maire de Beaufort-en-Anjou et le représentant de la société Driftland en exécution de la délibération du 28 novembre 2022, ne pourrait intervenir que par consentement mutuel entre les parties, en vertu de l'article 1193 du code civil ;
- ainsi, la délibération du 28 novembre 2022 partiellement retirée n'était pas illégale ; en décidant ce retrait, le conseil municipal a méconnu les dispositions de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 août 2023, la commune de Beaufort-en-Anjou, représentée par Me Hugel, conclut, à titre principal, au renvoi de l'audience à une date ultérieure au 21 août 2023, à titre subsidiaire, au rejet du déféré du préfet de Maine-et-Loire et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement à son profit d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la délibération du 28 novembre 2022 a été adoptée par seulement 19 élus présents ou représentés, treize conseillers municipaux, représentant plus d'un tiers des membres du conseil municipal, ayant démissionné le 3 novembre 2022 ;
- la délibération du 27 mars 2023 ne peut être regardée comme étant entachée d'erreur de droit en ce qu'elle a entendu mettre un terme à une location conclue à vil prix ;
- la délibération du 28 novembre 2022 ayant eu pour finalité de satisfaire l'intérêt du preneur au détriment des intérêts de la commune, c'est à bon droit que le conseil municipal a décidé, par la délibération du 27 mars 2023, de la retirer et de dénoncer, à défaut de meilleur accord, le bail signé avec la société Driftland ;
- la délibération du 28 novembre 2022, sibylline et lacunaire, a été adoptée sans que le conseil municipal ait été informé des conditions et engagements qui résulteraient du bail commercial ultérieur, ainsi que le mentionne la délibération déférée du 27 mars 2023 ;
- la mise en location du local commercial aurait dû être précédée d'une mise en concurrence et d'une publicité préalable conformément aux dispositions de la directive " services " ; en tout état de cause, ce n'est pas cet élément qui a motivé le retrait partiel de la délibération illégale du 28 novembre 2022 ; le conseil municipal a entendu souligner que la commune s'était engagée à des conditions manifestement désavantageuses et exorbitantes ; dans ces conditions, le retrait opéré par la délibération du 27 mars 2023 est parfaitement justifié ;
- elle n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration ;
- la société Driftland n'ayant pas acquitté le paiement de ses loyers, elle entend solliciter du juge judiciaire la résiliation judiciaire du bail commercial de sorte que la portée de la délibération attaquée est particulièrement limitée.
Vu les pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné M. Martin, vice-président, pour statuer sur les demandes en référé en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 17 août 2023 à 10h00 :
- le rapport de M. Martin, juge des référés ;
- ainsi que les explications de M. B, maire de Beaufort-en-Anjou, et de M. C, son premier adjoint.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
Une note en délibéré, enregistrée le 22 août 2023, a été présentée par le préfet de Maine-et-Loire.
Considérant ce qui suit :
1. Par une délibération du 28 novembre 2022, le conseil municipal de Beaufort-en-Anjou a notamment, d'une part, validé l'installation par la société Driftland d'un complexe de loisirs comportant un karting électrique et connecté, un bowling et un snack bar dans " les locaux du Chanvre " (1 000 m2 pour l'espace bowling , 700 m2 pour l'espace karting) " dès que le local sera déclaré ERP " et, d'autre part, autorisé le maire à signer avec la société Driftland un bail commercial avec un loyer progressif (1 000 euros mensuel débutant dès la pleine jouissance des locaux par la commune et se terminant dès que les travaux de mise en conformité desdits locaux en ERP seront terminés, puis un loyer de 40 000 euros annuel) et à engager toutes les formalités à intervenir et signer les documents en découlant. Le 20 janvier 2023, le bail commercial mentionné dans la délibération du 28 novembre 2022 a été signé par le maire de Beaufort-en-Anjou et le gérant de la société Driftland. Le 22 janvier 2023, des élections municipales ont été organisées à Beaufort-en-Anjou à la suite de la démission, le 3 novembre 2022, de treize élus de l'opposition. La liste d'opposition au maire sortant ayant remporté ces élections, un nouveau maire a été élu. Par une délibération du 27 mars 2023, le conseil municipal nouvellement élu a, d'une part, procédé au retrait de la délibération du 28 novembre 2022, en tant qu'elle validait l'installation d'un complexe de loisirs dans des locaux dont la commune est propriétaire et qu'elle autorisait le maire à signer un bail commercial avec la société Driftland, d'autre part, autorisé le maire à entreprendre les négociations avec la société Driftland en vue de la dénonciation du bail, enfin, en cas d'échec des négociations, autorisé le maire à dénoncer le bail commercial par voie judiciaire au titre d'une action en nullité. Par la présente requête, le préfet de Maine-et-Loire demande au juge des référés, sur le fondement des dispositions précitées du troisième alinéa de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, la suspension de l'exécution de la délibération du 27 mars 2023.
Sur les conclusions à fin de suspension :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, auquel renvoie l'article L. 554-1 du code de justice administrative : " Le représentant de l'Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 2131-2 qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission. / () / Le représentant de l'Etat peut assortir son recours d'une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si l'un des moyens invoqués paraît, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'acte attaqué. Il est statué dans un délai d'un mois. () ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision ".
4. Enfin, l'article L. 2121-10 du code général des collectivités territoriales prévoit notamment que toute convocation est faite par le maire et doit indiquer les questions portées à l'ordre du jour du conseil municipal. Par ailleurs, selon l'article L. 2121-12 du même code, une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du conseil municipal, dans les communes de 3 500 habitants et plus. Enfin, l'article L. 2121-13 du même code dispose que tout membre du conseil municipal a le droit, dans le cadre de sa fonction, d'être informé des affaires de la commune qui font l'objet d'une délibération.
5. Il résulte de ces dernières dispositions, de nature législative, que la note explicative de synthèse que le maire d'une commune de plus de 3 500 habitants est tenu d'adresser aux conseillers municipaux avant la réunion du conseil municipal ne saurait se limiter, même assortie de quelques considérations générales, à un simple rappel de la question figurant à l'ordre du jour mais doit permettre aux intéressés d'appréhender le contexte ainsi que de comprendre les motifs de fait et de droit des mesures envisagées et de mesurer les implications de leurs décisions. Le défaut d'envoi de cette note ou son insuffisance entache d'irrégularité les délibérations prises si ce vice a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.
6. Ainsi que le soutiennent les parties, la délibération du 28 novembre 2022 du conseil municipal de Beaufort-en-Anjou, en tant qu'elle a autorisé le maire à signer un bail commercial avec la société Driftland, a créé des droits au profit de cette dernière. Cette délibération ne pouvait, dès lors, être retirée que dans les conditions prévues par les dispositions, citées au point 3, de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration, l'une de ces conditions tenant à son illégalité.
7. Le préfet de Maine-et-Loire soutient qu'aucun des motifs retenus par le conseil municipal dans sa délibération du 27 mars 2023, pour justifier le retrait de la délibération du 28 novembre 2022, ne permet d'établir l'illégalité de cette dernière délibération.
8. Au nombre de ces motifs figure celui tiré de ce qu'un défaut d'information des élus ne leur a pas permis d'adopter la délibération du 28 novembre 2022 en toute connaissance de cause, le projet de bail n'ayant pas été annexé à la délibération. Pour écarter ce motif, le préfet de Maine-et-Loire relève que la délibération a été adoptée à l'unanimité des membres du conseil municipal présents ou représentés. Il déduit de cette circonstance qu'aucun des membres présents à la séance ne s'est abstenu au motif que le maire ne les aurait pas suffisamment informés sur ce dossier. Toutefois, compte tenu des circonstances, rappelées ci-dessus, dans lesquelles est intervenu ce vote, son caractère unanime ne suffit pas à établir que l'information fournie aux élus a satisfait aux exigences des dispositions de l'article L. 2121-13 du code général des collectivités territoriales, la commune de Beaufort-en-Anjou soutenant pour sa part sans être contredite que les conseillers municipaux n'avaient pas été informés de ce que le bail commercial stipulait, dans son article 9.14, qu'en cas d'expropriation totale ou partielle pour cause d'utilité publique des locaux donnés à bail, le bailleur serait redevable d'une indemnité de 250 000 euros auquel s'ajouterait la prise en charge des frais de déménagement sur présentation de justificatifs. Ce motif tiré du défaut d'information préalable des élus municipaux suffit à établir le caractère illégal de la délibération du 28 novembre 2022.
9. Il résulte de ce qui précède qu'en l'état de l'instruction, aucun des moyens invoqués par le préfet de Maine-et-Loire n'est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la délibération attaquée du 27 mars 2023.
Sur les frais de l'instance :
10. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme à verser à la commune de Beaufort-en-Anjou en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
Article 1er : La requête du préfet de Maine-et-Loire est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Beaufort-en-Anjou tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au préfet de Maine-et-Loire et à la commune de Beaufort-en-Anjou.
Fait à Nantes, le 23 août 2023.
Le juge des référés,
L. Martin
La greffière,
M. A La République mande et ordonne au préfet de Maine-et-Loire en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,