TA Polynésie f, 25/04/2023, n°2200424

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 4 octobre 2022 et 17 février et 2 mars 2023, M. A C, représenté par Me Gourdon, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de condamner la Polynésie française " et son établissement public Grands projets de Polynésie " au paiement de la somme de 35 000 000 de F CFP, majorée des intérêts de droit à compter de la date de la première demande d'indemnisation formée le 25 août 2022 auprès du directeur général de l'établissement public " Grands projets de Polynésie ", avec capitalisation des intérêts échus à compter de cette même formalité ;

2°) de condamner la Polynésie française aux entiers dépens, en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ;

3°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 350 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- son recours est recevable tant du point de vue du délai que de l'intérêt pour agir ;

- l'intervention de l'ordre des architectes de Polynésie française, qu'il a appelé en la cause, est recevable ;

- il a subi un préjudice certain causé par le fait de la Polynésie française, qui s'est affranchie de son obligation légale de ne sélectionner qu'un groupement représenté par un architecte polynésien ; il a subi un préjudice indemnisable de 2 millions de F CFP au titre des frais qu'il a dû engager pour soumissionner et de 33 millions de F CFP au titre de son manque à gagner, compte tenu des honoraires qui lui auraient été normalement versés pour la réalisation de l'objet du marché public en cause d'un montant de 413 531 882 F CFP ; le concours en litige a été attribué à un groupement non représenté par un architecte ;

- c'est manifestement le non-respect de la réglementation en vigueur et, en conséquence, son classement au deuxième rang, alors qu'il aurait dû être préféré au lauréat, qui sont la cause de son préjudice ; il existe donc un lien direct et certain entre le fait commis par la Polynésie française et son préjudice ;

- il produit la réponse de la directrice des affaires juridiques et de la formation de la direction générale collégiale du conseil national de l'ordre des architectes dans le but d'éclairer les débats.

Par un mémoire en défense enregistré le 28 décembre 2022, l'établissement public "Grands projets de Polynésie", représenté par la Selarl Jurispol, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de M. C la somme de 300 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir, d'une part, que l'intervention de l'ordre des architectes de Polynésie française est irrecevable, que les demandes formées par le requérant sont également irrecevables dès lors que le contrat n'est pas produit et qu'aucune demande n'est présentée dans cette instance à l'égard de l'établissement public " Grands projets de Polynésie ", et, d'autre part, que les moyens de la requête ne sont pas fondés dès lors particulièrement qu'il n'existe pas de monopole des architectes inscrits à l'ordre de Polynésie française pour travailler sur des programmes prévus sur le territoire polynésien, et qu'en invoquant seulement une perte alléguée de chiffre d'affaires, le requérant ne rapporte nullement la preuve de l'existence d'un préjudice indemnisable.

Par un mémoire enregistré le 7 février 2023, l'Ordre des architectes de Polynésie française, représentée par Me Guedikian, a fait valoir des observations relatives au recours de M. C et conclut à ce qu'il soit mis à la charge de " toute partie succombante " dans la présente instance, la somme de 171 000 F CFP à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les architectes inscrits à l'ordre des architectes de Polynésie française bénéficient d'un monopole territorial excluant le recours à un architecte inscrit dans une autre "circonscription" que celle de la Polynésie française. Pour exercer en Polynésie française, il faut être inscrit au tableau de l'ordre des architectes de la "circonscription" de Polynésie française. Réciproquement, il est impossible pour un architecte inscrit à l'ordre des architectes de Polynésie française, qui ne serait inscrit dans aucun ordre régional en métropole, de présenter une demande de permis de construire en tout lieu du territoire national. L'ordre des architectes de Polynésie française invite le tribunal à statuer sur les mérites de la réclamation présentée par le requérant et à rappeler dans sa décision à intervenir la nature du périmètre territorial reconnu au monopole des architectes exerçant en Polynésie française.

Par un mémoire enregistré le 21 février 2023, la Polynésie française conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir, d'une part, que la requête est irrecevable à défaut de liaison du contentieux à son égard et, d'autre part, que les moyens de la requête ne sont en tout état de cause pas fondés.

Les parties ont été informées par un courrier du 2 mars 2023, matériellement rectifié par une lettre du 22 mars 2023, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions à fin d'indemnisation dirigées contre l'établissement public " Grands projets de Polynésie " dès lors que ces conclusions, présentées le 17 février 2023, soit plus de deux mois après l'introduction de la requête, constituent une demande nouvelle irrecevable.

Par ordonnance du 2 mars 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 17 mars 2023.

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- le code polynésien des marchés publics ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. F,

- les conclusions de Mme E de Saint-Germain, rapporteure publique,

- les observations de M. B représentant la Polynésie française, celles de Me Quinquis pour l'établissement public " Grands projets de Polynésie " et celles de Me Guedikian pour l'ordre des architectes de Polynésie française.

Une note en délibéré, enregistrée le 30 mars 2023, a été produite par " Grands projets de Polynésie ".

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'attribution n° 11/22/G2P, paru au JOPF du 17 juin 2022, l'établissement public " Grands projets de Polynésie " (G2P) a confié au " Groupement conjoint LUSEO PACIFIC/B3C/Atelier FARA/SSI " le concours de maîtrise d'œuvre " pour la réhabilitation des services de soins de suite, de longs séjours, de la salle de rééducation et création d'une antenne de pharmacie à l'hôpital de Taravao ". Le 17 mai 2022, l'établissement public " Grands projets de Polynésie " a notifié à M. C, architecte DPLG, (" Groupement conjoint Atelier d'Architecture C "), les motifs ayant conduit à écarter son offre, située au deuxième rang de classement de l'ensemble des offres examinées, pour le marché en question. Par l'intermédiaire de son conseil, M. C, a formé, le 19 août 2022, un recours indemnitaire préalable auprès du directeur général de l'établissement public " Grands projets de Polynésie ", sollicitant le versement d'une somme totale de 35 millions de F CFP au titre de ses préjudices, qui a été rejeté par un courrier du 29 août 2022. Par la présente requête et dans le dernier état de ses écritures, M. C demande la condamnation de G2P et de la Polynésie française au paiement de la somme précitée de 35 000 000 de F CFP.

Sur la fin de non-recevoir opposée en défense par l'établissement public " Grands projets de Polynésie " :

2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle () ".

3. Il est constant que la demande indemnitaire préalable formée par M. C, le 19 août 2022, réceptionnée le 25 août suivant, tendant au versement d'une somme totale de 35 000 000 FCFP, a été adressée à l'établissement public " Grands projets de Polynésie " et non à la Polynésie française, personne morale de droit public distincte, dont la seule condamnation est sollicitée dans la requête introductive d'instance. Dès lors, en l'absence de demande préalable formée auprès de la Polynésie française, ainsi que le font valoir l'établissement public " Grands projets de Polynésie " et la Polynésie française en défense, le contentieux n'est pas lié à l'encontre de cette dernière. Si, dans le dernier état de ses écritures, le requérant sollicite également la condamnation de l'établissement public " Grands projets de Polynésie ", les conclusions présentées en ce sens dans son mémoire en réplique enregistré le 17 février 2023, soit après l'expiration du délai de recours contentieux de deux mois ayant couru, au plus tard, à compter de la date d'enregistrement de la requête, constituent ainsi une demande nouvelle et sont irrecevables. Dans ces conditions, la requête présentée par M. C est irrecevable et ne peut qu'être rejetée.

4. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens de la requête, celle-ci étant irrecevable, elle doit être rejetée en ce comprises les conclusions présentées au titre des articles R. 761-1 et L. 761-1 du code de justice administrative.

5. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de M. C la somme de 150 000 F CFP à verser à l'établissement public " Grands projets de Polynésie " au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu de faire application de ces mêmes dispositions invoquées par l'ordre des architectes de Polynésie française qui, en sa seule qualité d'observateur, n'a pas la qualité de partie à l'instance.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. C est rejetée.

Article 2 : M. C versera à l'établissement public " Grands projets de Polynésie " la somme de 150 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions de l'ordre des architectes de Polynésie française présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. A C, à la Polynésie française, à l'établissement public " Grands projets de Polynésie " et à l'ordre des architectes de Polynésie française.

Délibéré après l'audience du 28 mars 2023, à laquelle siégeaient :

M. Devillers, président,

M. Graboy-Grobesco, premier conseiller,

M. Boumendjel, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 avril 2023.

Le rapporteur,

A. F

Le président,

P. Devillers La greffière,

D. Germain

La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

Un greffier,

N°2200424