TA Poitiers, 12/02/2024, n°2102337


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 10 septembre 2021, 23 novembre 2022, et 10 mai 2023, le département de la Charente et son assureur la MS Amlin Insurance SE, représentés par la SELARL Savinien, demandent au tribunal, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) de condamner la SAS Etanchéité du Sud-Ouest à verser au département de la Charente la somme de 10 000 euros et à son assureur la MS Amlin Insurance SE la somme de 51 215,60 euros en réparation des désordres affectant le collège Louis Pasteur à Chasseneuil-sur-Bonnieure ;

2°) de condamner la SAS Etanchéité Sud-Ouest à leur verser une somme de 5 000 euros chacun en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, outre les entiers dépens.

Ils soutiennent que :

-la responsabilité contractuelle de la SAS Etanchéité du Sud-Ouest est engagée du fait des désordres résultant des infiltrations d'eaux de pluie qui se sont produites les 22 et 23 juillet 2017, lors de la mise à nue de la toiture sans protection provisoire ;

-les préjudices indemnisables comprennent non seulement le montant des travaux provisoires de recouvrement des sols amiantés effectués à l'automne 2017, mais aussi le montant des travaux de remplacement de ces sols effectués à l'été 2018 ;

-un abattement pour vétusté ne se justifie pas dès lors que la remise à neuf est le seul moyen de rétablir le bien dans son usage normal ;

-l'assureur MS Amlin Insurance SE est subrogé dans les droits de son assuré pour un montant de 51 215,60 euros ;

-le département a conservé à sa charge une franchise de 10 000 euros.

Par des mémoires en défense enregistrés les 13 octobre 2022 et 29 décembre 2022, la SAS Etanchéité du Sud-Ouest, représentée par Me Lecler-Chaperon, conclut à ce que la somme à verser au département de la Charente et à son assureur au titre des préjudices subis soit limitée à la somme de 16 593,90 euros TTC, ou à titre subsidiaire à la somme de 24 472,59 euros TTC, et en tout état de cause à ce que soit mis à la charge des requérants la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, outre les entiers dépens.

Elle soutient que :

-elle ne conteste pas l'engagement de sa responsabilité contractuelle du fait du sinistre de dégât des eaux survenu les 22 et 23 juillet 2017 ;

-les dommages indemnisables se limitent aux travaux effectués à l'automne 2017, et ne sauraient comprendre les travaux réalisés à l'été 2018 qui sont liés au remplacement des sols amiantés, sans lien direct avec la faute contractuelle ;

-il y a lieu d'appliquer un coefficient de vétusté dès lors que les travaux ont conduit le département à faire une plus-value.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code des assurances ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Thévenet-Bréchot,

- les conclusions de Mme Bréjeon, rapporteure publique,

- et les observations de Me Boulet, représentant le département de la Charente et son assureur, et de Me Lecler-Chaperon, représentant la SAS Etanchéité du Sud-Ouest.

Considérant ce qui suit :

1. Par acte d'engagement du 23 juin 2017, le département de la Charente a confié la réfection de la toiture du collège Louis Pasteur situé à Chasseneuil-sur-Bonnieure à la SAS Etanchéité du Sud-Ouest. Au cours du week-end du 22-23 juillet 2017, des infiltrations d'eaux de pluie se sont produites au travers de la toiture-terrasse alors mise à nue sans protection provisoire. Par la présente requête, le département de la Charente et son assureur MS Amlin Insurance SE demandent au tribunal de condamner la SAS Etanchéité du Sud-Ouest à leur verser respectivement les sommes de 10 000 euros et 51 215,60 euros au titre des préjudices subis.

Sur la responsabilité

2. D'une part, il résulte de l'instruction, et il n'est pas contesté, que, dans le cadre des travaux de réfection de la toiture du collège Louis Pasteur entrepris à l'été 2017, le sous-traitant de la SAS Etanchéité du Sud-Ouest a déposé les différents éléments du système d'étanchéité du toit-terrasse sans mettre en œuvre de protection provisoire anti-pluie. Au cours du week-end du 22 et 23 juillet 2017, des infiltrations d'eaux de pluie ont eu lieu à travers la toiture-terrasse mise à nue, et a occasionné des dommages, notamment sur les sols et plafonds de plusieurs pièces. Par suite, le département de la Charente est fondé à rechercher la responsabilité contractuelle de la SAS Etanchéité du Sud-Ouest avec laquelle il était lié par acte d'engagement du 23 juin 2017.

3. D'autre part, il résulte de l'instruction, et en particulier du procès-verbal de constat d'huissier du 28 juillet 2017, que des désordres liés aux infiltrations ont notamment affecté les plafonds et sols de plusieurs pièces du rez-de-chaussée (hall d'accès, bureaux administratifs, entrée du self, lingerie-infirmerie, cuisine) et du sous-sol (dégagement d'accès aux réserves, réserves). Ces constats ont été confirmés par un diagnostic réalisé le 3 août 2017 par le bureau d'études Alpes Contrôles. En outre, les échantillons prélevés lors de ce diagnostic se sont révélés positifs à la présence de fibres d'amiante dans les sols du hall d'accueil et de la lingerie. Des travaux de reprise ont été réalisés entre septembre et décembre 2017, comportant notamment un recouvrement des sols amiantés, la réparation du monte-charge, et la rénovation de dalles de faux-plafond. Des travaux de désamiantage et de réfection des sols après désamiantage ont ensuite été réalisés à l'été 2018.

4. La SAS Etanchéité du Sud-Ouest soutient que seuls les travaux réalisés à l'automne 2017 étaient en lien direct avec la faute commise par son sous-traitant et strictement nécessaires à la réparation du préjudice. Toutefois, il résulte de l'instruction que le dégât des eaux est à l'origine de la dégradation des sols et de la mise à l'air libre de l'amiante. Par suite, alors qu'il était nécessaire de recouvrir les sols amiantés dès le début du mois de début septembre 2017 afin de permettre au collège d'accueillir les élèves à la rentrée sans les exposer aux poussières d'amiante, ces travaux ne revêtaient qu'un caractère provisoire et conservatoire, comme mentionné en objet de la facture de la société DRC du 12 septembre 2017. Les travaux définitifs de remplacement des sols amiantés n'ont pu être réalisés qu'en juillet-août 2018, pendant les grandes vacances scolaires, en l'absence des élèves. Dans ces conditions, ces deux phases de travaux étaient en lien direct avec la faute commise par le sous-traitant de la SAS Etanchéité du Sud-Ouest, et nécessaires à la réparation intégrale du préjudice.

Sur les préjudices :

5. D'une part, il résulte de l'instruction, en particulier des factures et de deux procès-verbaux de constatations et d'évaluation des dommages en date du 7 mars 2018 et du 18 juillet 2019 établis entre le département de la Charente, la SAS Etanchéité du Sud-Ouest et leurs assureurs respectifs, que les travaux de l'automne 2017 peuvent être évalués à 19 098,44 euros TTC, et ceux de l'été 2018 à 38 330,16 euros TTC, soit un total de 57 428,60 euros.

6. D'autre part, si la vétusté d'un bâtiment peut donner lieu, lorsque la responsabilité contractuelle ou décennale des entrepreneurs et architectes est recherchée à l'occasion de désordres survenus sur un bâtiment, à un abattement affectant l'indemnité allouée au titre de la réparation des désordres, il appartient au juge administratif, saisi d'une demande en ce sens, de rechercher si, eu égard aux circonstances de l'espèce, les travaux de reprise sont de nature à apporter une plus-value à l'ouvrage, compte tenu de la nature et des caractéristiques de l'ouvrage ainsi que de l'usage qui en est fait.

7. Il résulte de l'instruction que les deux phases de travaux sont de nature à apporter une plus-value au bâtiment, dès lors notamment qu'une partie des sols a été désamiantée et rénovée. Par suite, la plus-value réalisée doit être déduite du montant de la réparation due au département de la Charente et à son assureur, nonobstant la circonstance que la remise à neuf ait seulement permis de rétablir le bien dans son usage normal, et alors que la SAS Etanchéité du Sud-Ouest n'établit pas que la surface de sols rénovés serait supérieure à la surface endommagée. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'appliquer un coefficient de vétusté de 10%. Le montant du préjudice indemnisable qui doit être mis à la charge de la SAS Etanchéité du Sud-Ouest s'élève par conséquent à 51 685,80 euros.

Sur l'action subrogatoire de la société MS Amlin :

8. L''article L. 121-12 du code des assurances dispose que " L'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur ". Il appartient à l'assureur qui demande à bénéficier de la subrogation prévue par l'article L. 121-12 du code des assurances de justifier par tout moyen du paiement d'une indemnité à son assuré. En outre, l'assureur n'est fondé à se prévaloir de la subrogation légale dans les droits de son assuré que si l'indemnité a été versée en exécution d'un contrat d'assurance. Est fondé à se prévaloir de cette subrogation l'assureur qui, bien que n'ayant pas produit la police d'assurance en exécution de laquelle il a indemnisé l'assuré, a mentionné dans le rapport d'expertise établi à sa demande les éléments concernant cette police et notamment les évènements garantis ainsi que les modalités d'indemnisation en cas de sinistre.

9. Il résulte de l'instruction que la société MS Amlin Insurance SE a versé une indemnité de 51 215,60 euros à son assuré, le département de la Charente, en réparation des dommages causés par le dégât des eaux des 22 et 23 juillet 2017. Après application du coefficient de vétusté de 10% mentionné au point 7, la société MS Amlin Insurance SE est fondée à se prévaloir de la subrogation légale dans les droits de son assuré à hauteur de la somme de 46 094,10 euros, en vertu des dispositions précitées du code des assurances.

Sur la franchise restée à la charge du département de la Charente :

10. Il résulte de l'instruction qu'une somme de 6 213 euros est restée à la charge du département de la Charente. Après application du coefficient de vétusté de 10% mentionné au point 7, celui-ci est fondé à solliciter une somme de 5 592 euros, qui doit être mise à la charge de la SAS Etanchéité du Sud-Ouest.

Sur les frais du litige :

12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la SAS Etanchéité du Sud-Ouest une somme globale de 1 300 euros à verser au département de la Charente et à son assureur la société MS Amlin Insurance SE au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge des requérants, qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance.

DECIDE :

Article 1er : La SAS Etanchéité du Sud-Ouest est condamnée à verser à la société MS Amlin Insurance SE une somme de 46 094,60 euros et au département de la Charente une somme de 5 592 euros.

Article 2 : La SAS Etanchéité du Sud-Ouest versera aux requérants une somme globale de 1 300 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié au département de la Charente, à la société MS Amlin Insurance SE et à la SAS Etanchéité du Sud-Ouest.

Délibéré après l'audience du 25 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

M. Cristille, président,

Mme Thèvenet-Bréchot, première conseillère,

Mme Gibson-Théry, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 février 2024.

La rapporteure,

Signé

A. THEVENET-BRECHOTLe président,

Signé

P. CRISTILLE

La greffière,

Signé

N. COLLET

La République mande et ordonne à la préfète de la Charente en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour le greffier en chef,

La Greffière,

N. COLLET