TA Clermont-F, 09/08/2024, n°2401699
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 23 juillet 2024, et un mémoire enregistré le 6 août 2024, la société UP COOP, représentée par la SELARL BLT Droit Public, Me Lalanne, demande au juge des référés, sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :
1°) d'annuler la décision de Clermont Auvergne Métropole en date du 15 juillet 2024 rejetant son offre dans le cadre du marché ayant pour objet la fourniture et livraison de titres restaurant dématérialisés, et attribuant le marché à la société SWILE ;
2°) d'enjoindre à Clermont Auvergne Métropole, si elle entend poursuivre la procédure d'attribution de ce marché, de reprendre la procédure de publicité et de mise en concurrence n°2023CM-SRV214 au stade de l'analyse des offres à moins que l'irrégularité retenue ne justifie, eu égard à sa portée et au stade de la procédure à laquelle elle se rapporte, l'annulation totale de la procédure de publicité et de mise en concurrence.
Elle soutient que :
- l'attribution du marché repose notamment sur un sous-critère n° 4 " Nombre de commerces locaux acceptant la carte à l'échelle du département ", au titre du critère " Valeur technique ", qui n'est pas un critère pertinent car chaque société dispose du même nombre de commerces agréés par la commission nationale des titres-restaurant (CNTR) ; le règlement de consultation n'évoque que le nombre de commerces " acceptant la carte " et non le nombre de " commerces affiliés auprès des sociétés émettrices de titres-restaurants " ;
- d'un point de vue technique, les deux sociétés concurrentes utilisant la même technologie via le réseau Mastercard, l'écart dans le nombre de commerces ne se justifie pas ; le nombre de commerces déclaré par la société SWILE n'est pas vérifiable ; le pouvoir adjudicateur aurait dû exiger des justificatifs sur ce critère ; le nombre de commerces agréés par la CNTR dans le Puy-de-Dôme étant de 2196, le chiffre déclaré par la société SWILE (3323) n'est pas cohérent ;
- le pouvoir adjudicateur a modifié illégalement ce sous-critère de départage en " Nombre de commerces acceptant la carte sur le territoire métropolitain " ;
- l'offre de la société UP COOP a été dénaturée du fait de ces irrégularités ;
- elle justifie d'un intérêt directement lésé, dès lors que la différence de notation avec la société attributaire n'est que de 0,47 points et qu'elle a obtenu la note de 3/5 contre 5/5 pour sa concurrente sur le sous-critère n° 4 précité.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 juillet 2024, Clermont-Auvergne Métropole, représentée par la SELARL DMMJB AVOCATS, Me Bonnicel-Bonnefoi, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2500 euros soit mise à la charge de la requérante sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
La présidente du tribunal administratif a désigné Mme Luyckx, en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique qui s'est tenue le 8 août 2024, à 10h00, en présence de Mme Chevalier, greffière d'audience :
- le rapport de Mme Luyckx, premier conseiller ;
- les observations de Me Bitar, pour la société UP COOP, qui reprend ses écritures, et qui confirme que la liste produite en annexe à son mémoire complémentaire concerne ses clients affiliés ;
- les observations de Me Lambert pour Clermont-Auvergne Métropole, qui en réponse au dernier mémoire de la requérante, indique que le règlement de la consultation doit être interprété comme demandant de renseigner le nombre de commerces affiliés aux sociétés délivrant les titres-restaurant, et que ce nombre n'est pas nécessairement le même que celui des commerces agréés par la CNTR, dès lors que chaque commerce peut décider de s'affilier aux société de son choix ; que néanmoins, le nombre supérieur d'établissements revendiqué par la société SWILE s'explique par les tarifs avantageux qu'elle pratique auprès des commerçants et l'acceptation de tous les commerces agréés sans nécessité d'une affiliation ; la société SWILE avait produit en annexe de son mémoire technique la liste des commerces acceptant sa carte, permettant de vérifier cette information, même si cette condition n'était pas nécessaire ; la technique de terminal de paiement est sans incidence.
L'instruction a été différée au 9 août 2024 à 9h.
Vu le mémoire enregistré le 8 août 2024 à 18h58 pour Clermont-Ferrand Auvergne Métropole ;
Vu le mémoire enregistré le 9 août 2024 à 8h33 pour la société UP COOP.
Considérant ce qui suit :
1. Suivant un avis d'appel public à la concurrence publié le 8 mars 2024, Clermont-Auvergne Métropole a lancé une consultation en vue de l'attribution d'un marché public ayant pour objet la fourniture et la livraison de titres-restaurant dématérialisés sous la forme d'une procédure d'appel d'offres ouvert en application des articles R 2124-1, R 2161-2 à R 2161-5 du code de la commande publique. Trois entreprises ont présenté une offre, dont la société UP COOP. Par courrier notifié le 15 juillet 2024 sur la plateforme de dématérialisation Safetender, la collectivité informait cette société que son offre n'avait pas été retenue, lui précisant qu'elle avait été classée en deuxième position avec un total de points de 93,56, et que le marché était attribué à la société SWILE, ayant obtenu une note globale de 94,03 points. La société UP COOP demande au juge du référé précontractuel d'annuler et de reprendre la procédure de passation du contrat, à tout le moins au stade de l'analyse des offres.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :
2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services () / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. ". Selon l'article L. 551-2 du même code : " I.- Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations () ". Et aux termes de l'article L. 551-10 de ce code : " Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 () sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat () et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué () ".
3. En vertu des dispositions précitées de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements de l'autorité concédante à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente. D'autre part, il n'appartient pas au juge du référé précontractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par le pouvoir adjudicateur, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un contrat, de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Il lui appartient, en revanche, lorsqu'il est saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le pouvoir adjudicateur n'a pas dénaturé le contenu d'une offre en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l'attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d'égalité de traitement des candidats.
4. En premier lieu, il ressort du règlement de la consultation qu'au titre de la valeur technique des offres, celles-ci devaient être jugées notamment sur le sous-critère n° 4 : " nombre de commerces locaux acceptant la carte à l'échelle du département ", noté 5/100, selon la formule de notation suivante : " note = (nombre de commerces de l'offre analysée / nombre de commerces de l'offre la plus haute) x 5 ". L'offre de la société SWILE a été classée devant celle de la société UP COOP sur ce sous-critère, dès lors que l'offre de la société UP COOP a indiqué un nombre de 2080 commerces acceptant son propre titre " carte UpDéjeuner " à l'échelle du département du Puy-de-Dôme, contre un nombre de 3323 commerces à la même échelle pour la " carte SWILE " de son concurrent. Il résulte de l'instruction que ce sous-critère a été déterminant dans le classement en rang 1 de la société SWILE.
5. Il résulte de l'instruction que le sous-critère du nombre de commerces locaux acceptant la carte à l'échelle du département défini par le règlement de la consultation se distingue en principe de la notion d'établissements agréés par la CNTR pour recevoir les titres-restaurant, dès lors que les titres dématérialisés proposés par chaque société ne sont pas nécessairement acceptés par tous ces établissements, lesquels doivent éventuellement verser une commission pour que le titre puisse être utilisé dans leur établissement. La requérante a d'ailleurs pu interpréter la demande sans difficulté puisqu'elle a effectivement renseigné ce sous-critère sur la base du nombre de ses commerçants affiliés. Il résulte des indications non contestées apportées en défense par Clermont-Auvergne Métropole, qu'à la différence de la société UP COOP, la société SWILE a fait le choix de rendre accessible sa solution de paiement à tous les commerces agréés, même sans perception d'une commission, ce qui conduit à ce que cette dernière propose le taux de couverture le plus élevé. Il n'en résulte pas que ce sous-critère soit dénué de pertinence pour l'analyse des offres, ni ait conduit à une analyse erronée, chaque société étant responsable de sa politique commerciale. Par ailleurs, il résulte également de l'instruction que le pouvoir adjudicateur disposait des justificatifs suffisants pour classer l'offre de la société SWILE devant la société UP COOP sur ce sous-critère, dès lors que l'attributaire avait annexé la liste des commerces acceptant sa carte à son mémoire technique.
6. En deuxième lieu, il ne résulte pas davantage de l'instruction que le pouvoir adjudicateur ait modifié ce sous-critère lors de l'analyse des offres, alors même que le courrier rejetant l'offre de la société UP COOP mentionnait ce critère, de manière erronée et sans conséquences, comme étant basé sur le nombre de commerces acceptant la carte " sur le territoire métropolitain ".
7. En troisième lieu, il résulte de ce qui précède que la société UP COOP n'est pas fondée à soutenir que son offre a été dénaturée pour le même motif.
8. Dès lors, elle ne démontre pas l'existence de manquements susceptibles de l'avoir lésée dans la procédure de marché en cause. Il s'ensuit que les conclusions de la société UP COOP doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société UP COOP une somme de 1500 euros au profit de Clermont-Auvergne Métropole en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
Article 1er : La requête de la société UP COOP est rejetée.
Article 2 : La société UP COOP versera une somme de 1500 euros au profit de Clermont-Auvergne Métropole en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société UP COOP, à Clermont-Auvergne Métropole et à la société SWILE.
Fait à Clermont-Ferrand, le 9 août 2024.
La juge des référés,
N. LUYCKX
La République mande et ordonne au préfet du Puy-de-Dôme en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.