TA de Marseille, 21/09/2023, n° 2104454


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 15 et 31 mai 2021, Mme A B doit être regardée comme demandant au tribunal :

1°) d'annuler la délibération du 19 février 2020 par laquelle le conseil municipal d'Eyguières a autorisé la vente de l'immeuble situé sur la parcelle cadastrée section AB n° 328p ;

2°) par voie de conséquence, d'annuler la cession de cet immeuble ;

3°) de mettre à la charge de la commune d'Eyguières les dépens.

Elle soutient que :

- elle a intérêt pour agir contre la délibération en litige, en sa qualité de conseillère municipale ;

- la délibération attaquée a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière, faute d'avoir été précédée de la communication de l'avis du pôle d'évaluation domaniale de la direction générale des finances publiques et méconnaît les dispositions des articles L. 2121-13 et suivants et L. 2122-21 et suivants du code général des collectivités territoriales ;

- le bien a été cédé à un prix inférieur à sa valeur, en méconnaissance du principe dégagé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 26 juin 1986 ;

- le choix de l'agence immobilière chargée de la vente sans publicité ni mise en concurrence méconnait la directive 2004/18/CE du 31 mars 2004 et les dispositions de l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 et du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mai 2023, la commune d'Eyguières, représenté par Me Gonand, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 400 euros soit mise à la charge de la requérante en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la contestation du contrat ressort de la compétence du juge judiciaire ;

- la requérante ne justifie pas de son intérêt pour agir d'une part dès lors qu'elle a voté pour le projet en cause, et d'autre part, faute de démontrer qu'une atteinte a été portée au statut de l'assemblée délibérante ou aux prérogatives de ses membres ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 16 juin 2023, la société civile immobilière La famille C, représentée par son gérant en exercice, doit être regardée comme concluant au rejet de la requête.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code général de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Niquet,

- les conclusions de M. Boidé, rapporteur public,

- et les observations de Mme B, ainsi que celles de Me Gonand pour la commune d'Eyguières et celles de M. C pour la SCI La famille C.

Considérant ce qui suit :

1. Conseillère municipale de la commune d'Eyguières, Mme B demande au tribunal d'annuler la délibération du 15 décembre 2020 par laquelle le conseil municipal a autorisé son maire à procéder à la vente d'une partie de l'immeuble cadastré section AB n° 328p au prix de 130 000 euros, soit 120 000 euros " net vendeur ", à désigner un notaire et a décidé que les frais relatifs à la vente étaient à la charge de M. C, acquéreur du bien.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

2. Si, dans sa requête, Mme B expose former un " recours en contestation de la validité du contrat portant vente d'une partie de l'immeuble cadastré à Eyguières sous la référence AB 328p ", il ressort des termes mêmes de ses conclusions que son recours tend à l'annulation de la délibération du 15 décembre 2020 par laquelle le conseil municipal d'Eyguières a autorisé la cession de l'immeuble en cause. Dans ces conditions, et alors que la juridiction administrative est compétente pour connaître d'un recours en annulation dirigé contre une délibération du conseil municipal décidant la cession d'un bien appartenant au domaine privé de la commune, l'exception d'incompétence soulevée par la commune d'Eyguières doit être écartée.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2121-13 du code général des collectivités territoriales : " Tout membre du conseil municipal a le droit, dans le cadre de sa fonction, d'être informé des affaires de la commune qui font l'objet d'une délibération ". Aux termes de l'article L. 2121-12 du même code : " Dans les communes de 3 500 habitants et plus, une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du conseil municipal () ". Et aux termes de l'article L. 2241-1 de ce code : " () Toute cession d'immeubles ou de droits réels immobiliers par une commune de plus de 2 000 habitants donne lieu à délibération motivée du conseil municipal portant sur les conditions de la vente et ses caractéristiques essentielles. Le conseil municipal délibère au vu de l'avis de l'autorité compétente de l'Etat. Cet avis est réputé donné à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la saisine de cette autorité ".

4. S'il résulte des dispositions précitées du code général des collectivités territoriales que la teneur de l'avis du service des domaines doit, préalablement à la séance du conseil municipal durant laquelle la délibération relative à la décision de cession doit être prise, être portée utilement à la connaissance de ses membres, notamment par la note de synthèse jointe à la convocation qui leur est adressée, ces mêmes dispositions n'imposent pas que le document lui-même établi par le service des domaines soit remis aux membres du conseil municipal avant la séance sous peine d'irrégularité de la procédure d'adoption de cette délibération. Si la requérante soutient qu'elle n'a pas obtenu l'estimation préalablement réalisée, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle en ait fait la demande préalablement à la séance du conseil municipal lors de laquelle la délibération en litige a pourtant été votée à l'unanimité, en ce compris la voix de l'intéressée qui avait donné procuration.

5. Il ressort des pièces du dossier qu'une note de synthèse a été communiquée aux conseillers municipaux afin de les informer de la vente " des étages du bâtiment de l'ancien hôtel de ville situé 2 rue de l'hôpital ", de la superficie totale, objet de la cession, de 128 m², du montant de l'estimation du service d'évaluation immobilière de la direction générale des finances publiques du 17 novembre 2020, à hauteur d'un montant de 144 000 euros, ainsi que du prix de vente proposé de 120 000 euros, augmenté des frais de l'agence immobilière mandatée par la commune à hauteur de 10 000 euros. Cette note de synthèse précisait également que cette vente permettait à la commune " de se libérer de son obligation d'entretien sur une partie d'un bâtiment qui [n'avait] plus d'utilité (), notamment pour des problématiques d'accessibilité ", et que la différence de prix entre l'estimation et le montant de la vente prenait en compte la prise en charge, par l'acquéreur, du montant total du coût de réfection de la toiture. Par suite, les conseillers municipaux ont été utilement informés préalablement à la séance du conseil municipal durant laquelle la délibération relative à la décision de cession doit être prise, répondant aux exigences posées par l'article L. 2121-13 du code général des collectivités territoriales. Le moyen tiré de la violation de ces dispositions doit donc être écarté.

6. En deuxième lieu, la cession par une commune d'un élément de son patrimoine à une personne privée pour un prix inférieur à sa valeur ne saurait être regardée comme méconnaissant le principe selon lequel une collectivité publique ne peut pas céder un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur à une personne poursuivant des fins d'intérêt privé lorsque la cession est justifiée par des motifs d'intérêt général et comporte des contreparties suffisantes.

7. Il ressort des pièces du dossier que, ainsi qu'il a été indiqué, le service des domaines de la direction des finances publiques a estimé, le 17 novembre 2020, la valeur vénale du bien vendu à hauteur de 144 000 euros, tandis que, par la délibération en litige, le conseil municipal a décidé la vente de ce bien à M. C à un prix de 120 000 euros. Il ressort de ces pièces que M. C s'est engagé, ainsi que cela résulte au demeurant également des stipulations de l'acte authentique de cession du bien le 3 mai 2021, à réaliser à ses frais la réfection de la toiture de l'immeuble, dont le coût s'élève, pour une superficie de 105 m² de toiture, à plus de 35 000 euros selon le devis établi par la société Provence Toiture le 28 septembre 2020. Alors que Mme B ne conteste pas l'intérêt général attachant au projet, tenant à la vente d'un bien inutilisé par la commune et nécessitant l'engagement de frais d'entretien, de telles contreparties sont suffisantes pour justifier une différence de 16,67 % entre le prix de vente fixé par le conseil municipal et la valeur estimée par le service des domaines des deux étages supérieurs de l'immeuble sis 2 rue de l'hôpital sur la parcelle cadastrée section AB n° 328p. Par suite, le moyen tiré de ce que la délibération du 15 décembre 2020 serait entachée d'une erreur d'appréciation quant au prix de vente doit être écarté.

8. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 2122-1 du code général de la commande publique : " L'acheteur peut passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables dans les cas fixés par décret en Conseil d'Etat lorsque en raison notamment de l'existence d'une première procédure infructueuse, d'une urgence particulière, de son objet ou de sa valeur estimée, le respect d'une telle procédure est inutile, impossible ou manifestement contraire aux intérêts de l'acheteur ou à un motif d'intérêt général ". Et aux termes de l'article R. 2122-8 du même code : " L'acheteur peut passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables pour répondre à un besoin dont la valeur estimée est inférieure à 40 000 euros hors taxes (). / L'acheteur veille à choisir une offre pertinente, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec un même opérateur économique lorsqu'il existe une pluralité d'offres susceptibles de répondre au besoin ".

9. S'il est constant que le contrat conclu par la commune avec une agence immobilière constitue un marché public, le montant de la rémunération de cette agence immobilière est fixé à 10 000 euros et n'excède ainsi pas le montant de 40 000 euros en deçà duquel le marché peut être conclu sans publicité, ni mise en concurrence. Par suite, et alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier, et qu'il n'est pas davantage soutenu par la requérante que l'offre en question n'aurait pas été pertinente, le moyen tiré du défaut de mise en concurrence préalable de l'agence immobilière chargée de la vente doit, en tout état de cause, être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner sur les fins de non-recevoir opposées par la commune d'Eyguières, ni de se prononcer sur la recevabilité de la requête, Mme B n'est pas fondée à demander l'annulation de la délibération qu'elle conteste.

Sur les dépens :

11. Alors qu'il n'est pas fait état de dépens, les conclusions présentées par Mme B à cet égard doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B le versement à la commune d'Eyguières de la somme de 50 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B est rejetée.

Article 2 : Mme B versera à la commune d'Eyguières la somme de 50 (cinquante) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à Mme A B, à la société civile immobilière Famille C et à la commune d'Eyguières.

Délibéré après l'audience du 7 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Lopa Dufrénot, présidente,

Mme Niquet, première conseillère,

Mme Ollivaux, première conseillère,

Assistés de M. Giraud, greffier.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 septembre 2023.

La rapporteure,

Signé

A. Niquet

La présidente,

Signé

M. Lopa Dufrénot

Le greffier,

Signé

P. Giraud

La République mande et ordonne au préfet des Bouches-du-Rhône en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Le greffier,