CAA Marseille, 10/07/2023, n°23MA00801

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée Uretek France a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler ou, subsidiairement, de résilier le marché passé entre la commune de Vitrolles et la société Freyssinet France et ayant pour objet la réalisation de travaux de renforcement des sols du groupe scolaire Lucie-Aubrac.

Par une ordonnance n° 2107919 du 1er février 2023, le président de la 3ème chambre du tribunal administratif a prononcé un non-lieu à statuer sur cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 3 avril 2023, et un mémoire enregistré le 28 juin 2023, la société Uretek France, représentée par Me Hourcabie, demande à la Cour :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) d'annuler le marché public de travaux conclu entre la commune de Vitrolles et la société Freyssinet ;

3°) de mettre à la charge de la commune la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'exécution du marché ne privait pas d'objet sa demande d'annulation ;

- l'ordonnance est insuffisamment motivée ;

- l'offre de la société attributaire était irrégulière ;

- la commune a irrégulièrement " neutralisé " le critère de la valeur technique, comme en atteste le fait que les deux candidates ont reçu une note identique.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 mai 2023, et un second mémoire, enregistré le 30 juin 2023 et non communiqué, la commune de Vitrolles, représentée par Me Ladouari, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la société Uretek France.

Elle soutient que les moyens présentés à l'appui de la requête d'appel sont infondés.

Par une lettre du 22 juin 2023, la Cour a informé les parties de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible de se fonder sur un moyen d'ordre public tiré de ce qu'il ne pouvait être statué sur la demande de première instance de la société Uretek par voie d'ordonnance.

Par un mémoire, enregistré le 26 juin 2023, la société par actions simplifiée Freyssinet France, représentée par la SCP UGGC Avocats, conclut au rejet de la requête d'appel et à ce qu'une somme de 8 500 euros soit mise à la charge de la société Uretek France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens présentés à l'appui de la requête d'appel sont infondés et inopérants.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné M. Renaud Thielé, président assesseur de la 6ème chambre pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Renaud Thielé, rapporteur,

- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,

- et les observations de Me Hourcabie, pour la société Uretek France, et de Me Extremet, pour la commune de Vitrolles.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel à la concurrence publié le 21 avril 2021, la commune de Vitrolles (Bouches-du-Rhône) a lancé une procédure de passation en vue de l'attribution d'un marché public ayant pour objet la réalisation de travaux de renforcement des sols du groupe scolaire Lucie-Aubrac. Par courrier du 24 juin 2021, la commune a informé la société Uretek France du rejet de son offre et de l'attribution du marché à la société Freyssinet. Par une ordonnance du 1er février 2023, dont la société Uretek France relève appel, le président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Marseille a décidé qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les demandes d'annulation et de résiliation du contrat présentées par la société.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. La circonstance que le contrat attaqué a été entièrement exécuté ne rend pas sans objet les conclusions en annulation de ce marché, dès lors que cette annulation a pour effet d'entraîner la disparition du contrat avec un effet rétroactif. Dès lors qu'il y avait toujours lieu de statuer sur ces conclusions, le président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Marseille ne pouvait statuer sur la requête de la société Uretek par voie d'ordonnance. Dès lors, et sans qu'il soit besoin de statuer sur le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'ordonnance attaquée, la société Uretek France est fondée à soutenir que celle-ci est irrégulière et à en demander l'annulation.

3. Il y a lieu pour la Cour d'évoquer l'affaire et de statuer immédiatement.

Sur l'action en contestation de validité du contrat :

En ce qui concerne la demande de résiliation :

4. Ainsi que la société Uretek France ne le conteste pas, le contrat contesté est entièrement exécuté. Cette demande est donc devenue sans objet.

En ce qui concerne la demande d'annulation :

S'agissant du cadre juridique :

5. Tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat. Ils ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Saisi par un tiers, dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.

S'agissant des vices invoqués :

6. En premier lieu, à supposer même que l'offre de la société Freyssinet soit irrégulière, faute pour celle-ci de s'être prévalu de l'avis technique du Conseil scientifique et technique du bâtiment sur le procédé de consolidation de sol exigé par l'article 01.1.17 du cahier des clauses techniques particulières, cette irrégularité ne suffit pas en l'espèce à caractériser une intention de la commune de Vitrolles de favoriser la société Freyssinet, intention qui n'est d'ailleurs pas alléguée. Cette irrégularité n'est donc, en tout état de cause, pas de nature à justifier l'annulation du contrat.

7. En second lieu, en soutenant que la commune de Vitrolles a " neutralisé le critère de la valeur technique ", la société Uretek France critique, en réalité, l'appréciation par la commune des mérites respectifs de son offre et de celle de la société Freyssinet, dont elle soutient qu'elle aurait dû avoir une note inférieure compte tenu de son inexpérience de la mise en œuvre de la technique de confortement. Toutefois, par ces seules allégations, non autrement étayées, la société Uretek France n'établit pas que la commune de Vitrolles aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des mérites comparés des offres.

8. Il résulte de ce qui précède que la demande de la société Uretek France tendant à l'annulation du marché public conclu entre la commune de Vitrolles et la société Freyssinet doit être rejetée, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées au même titre par la commune de Vitrolles.

D É C I D E :

Article 1er : L'ordonnance n° 2107919 du 1er février 2023 du président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Marseille est annulée.

Article 2 : Il n'y a plus lieu de statuer sur la demande de la société Uretek France tendant à la résiliation du marché public conclu entre la commune de Vitrolles et la société Freyssinet.

Article 3 : Le surplus des demandes et conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Uretek France, à la commune de Vitrolles et à la société Freyssinet France.

Délibéré après l'audience du 3 juillet 2023, où siégeaient :

- M. Renaud Thielé, président assesseur, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Isabelle Gougot, première conseillère,

- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 juillet 2023. 2