CAA Toulouse, 21/05/2024, n°23TL01197


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'établissement public de coopération culturelle du Pont du Gard a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nîmes, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner la société anonyme SMACL Assurances à lui verser une provision de 159 879,74 euros hors taxes.

Par ordonnance n° 2202893 du 9 mai 2023, la juge des référés du tribunal administratif de Nîmes a condamné la société SMACL Assurances à verser à l'établissement public de coopération culturelle du Pont du Gard une provision de 64 555 euros et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 mai et 5 septembre 2023, la société SMACL Assurances, représentée par Me Inquimbert, demande au juge des référés de la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance n° 2202893 du 9 mai 2023 de la juge des référés du tribunal administratif de Nîmes ;

2°) de rejeter la demande de provision de l'établissement public de coopération culturelle du Pont du Gard ;

3°) de mettre à la charge de l'établissement public de coopération culturelle du Pont du Gard une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que la première juge a fait partiellement droit à la demande de provision de l'intimé, en raison de ce que la créance dont se prévaut ce dernier est sérieusement contestable ;

- en effet, l'article 3 des conditions générales et particulières du marché d'assurance en cause stipulent que la garantie de l'assureur ne porte que sur les dommages subis par les bâtiments dont la personne morale souscriptrice était propriétaire, ce qui n'était pas le cas de l'immeuble qui a subi un incendie d'origine criminelle, de plus, le contrat ne comporte aucune assurance pour compte conforme à l'article L. 112-1 du code des assurances ;

- à cet égard et contrairement à ce qu'a estimé la première juge, la conclusion d'un bail emphytéotique ne transfère pas la qualité de propriétaire du bien au locataire ;

- par ailleurs et à supposer même que la garantie de l'assureur soit applicable à un bien seulement occupé par le souscripteur, en vertu du cahier des clauses particulières du marché d'assurance concerné, le bâtiment sinistré était de nature commerciale et inscrit à l'inventaire, ce qui l'excluait du champ de la garantie aux termes de ce cahier, de plus, il n'était nullement occupé par l'intimé au moment du sinistre ;

- les estimations des dépenses avancées par l'établissement public de coopération culturelle n'ont pas été établies de manière contradictoire, en méconnaissance des stipulations de l'article 9.2.1 des conditions générales du contrat concerné.

Par un mémoire, enregistré le 5 juillet 2023, l'établissement public de coopération culturelle du Pont du Gard, représenté par Me Corazza, conclut au rejet de la requête, par la voie de l'appel incident, à la réformation de l'ordonnance attaquée en ce qu'elle n'a pas fait droit à la totalité de sa demande, et à ce qu'il soit mis à la charge de l'appelante la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de la justice administrative.

Il soutient que :

- le dossier de consultation des entreprises afférent au marché d'assurances en cause précisait que la garantie des dommages devait concerner les bâtiments acquis ou occupés par lui et que l'ensemble des bâtiments listés appartenaient au département et étaient mis à sa disposition ;

- de plus, le cahier des clauses particulières déroge aux conditions générales du contrat objet du marché et stipule que la garantie porte, notamment, sur tout immeuble acquis ou occupé par l'assuré ; la liste des biens à garantir comprenait le bâtiment dit A " ;

- le cahier des clauses particulières prime sur les conditions générales, ainsi que le prévoit l'annexe 1 de l'acte d'engagement ;

- il n'a jamais entendu souscrire une assurance pour le compte du département mais pour le sien propre, ce qu'il était parfaitement en droit de faire en raison de ce qu'il était titulaire d'un bail emphytéotique ;

- le bâtiment en question était, en tout état de cause, occupé par l'assuré ;

- la seule circonstance que l'évaluation d'un dommage n'ait pas été établie contradictoirement ne suffit pas à la faire regarder comme sérieusement contestable ;

- contrairement à ce qu'a estimé la première juge, il est en droit d'obtenir la prise en compte du coût du diagnostic " amiante et plomb ", soit 805 euros hors taxes, une facture étant produite, ainsi que de la somme de 94 579,55 euros hors taxes, correspondant aux prix d'achat d'origine des mobiliers identifiés comme endommagés et tels qu'ils ressortent de sa comptabilité.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Vu la décision du 1er septembre 2022 par laquelle le président de la cour a désigné M. Éric Rey-Bèthbéder, président de la 3ème chambre, pour statuer sur les demandes en référé en application des dispositions de l'article L. 555-1 du code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Par acte des 5 et 27 mai 2015, le département du Gard a donné à bail emphytéotique à l'établissement public de coopération culturelle du Pont du Gard un ensemble immobilier comprenant notamment un immeuble anciennement à usage d'hôtel-restaurant désigné sous l'appellation " Vieux Moulin ". L'établissement public de coopération culturelle précité est assuré auprès de la société SMACL Assurances au terme d'un marché public d'assurances conclu le 27 août 2020 sur 4 lots dont le lot " Dommages aux biens ". Dans la nuit du 20 au 21 avril 2021, le bâtiment dit A " a été sinistré par un incendie d'origine criminelle ayant notamment endommagé la toiture de l'immeuble. Le 22 avril 2021, l'établissement public de coopération culturelle du Pont du Gard a déclaré ce sinistre à la SMACL assurances. Par courrier du 17 juin 2021, celle-ci lui a notifié son refus d'intervention au titre de la garantie dommages en l'état de la réalisation d'un risque sur un bien n'appartenant pas à son assuré et ressortant de la seule garantie du propriétaire, en l'occurrence le département du Gard.

2. La société SMACL assurances relève appel de l'ordonnance du 9 mai 2023 par laquelle la juge des référés du tribunal administratif de Nîmes l'a condamnée à verser à l'établissement public de coopération culturelle du Pont du Gard une provision de 64 555 euros. Par la voie de l'appel incident, ce dernier demande la réformation de cette ordonnance en ce qu'elle n'a pas fait droit à la totalité de sa demande.

Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :

3. D'une part, aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au juge des référés, dans le cadre de cette procédure qu'elles instituent, de rechercher si, en l'état du dossier qui lui est soumis, l'obligation du débiteur éventuel de la provision est ou n'est pas sérieusement contestable sans avoir à trancher ni de questions de droit se rapportant au bien-fondé de cette obligation ni de questions de fait soulevant des difficultés sérieuses et qui ne pourraient être tranchées que par le juge du fond éventuellement saisi. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui parait revêtir un caractère de certitude suffisant.

4. D'autre part, l'article L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable au présent litige, dispose que : " Un bien immobilier appartenant à une collectivité territoriale peut faire l'objet d'un bail emphytéotique prévu à l'article L. 451-1 du code rural et de la pêche maritime en vue de la réalisation d'une opération d'intérêt général relevant de sa compétence (). Ce bail emphytéotique est dénommé bail emphytéotique administratif. / Un tel bail peut être conclu même si le bien sur lequel il porte, en raison notamment de l'affectation du bien résultant soit du bail ou d'une convention non détachable de ce bail, soit des conditions de la gestion du bien ou du contrôle par la personne publique de cette gestion, constitue une dépendance du domaine public, sous réserve que cette dépendance demeure hors du champ d'application de la contravention de voirie () ".

5. Si, comme exposé au point 1, le département du Gard a conclu un bail emphytéotique administratif, en 2015, avec l'établissement public de coopération culturelle intimé portant sur un ensemble immobilier comprenant le bâtiment dénommé le " Vieux Moulin " dont il est propriétaire depuis 2012, ce contrat ne prévoyait aucune construction nouvelle devant être édifiée par l'emphytéote, qui ne serait entrée dans le patrimoine du bailleur qu'à l'expiration du bail, mais seulement l'engagement de sa part d' " entretenir, améliorer, valoriser et faire fructifier les biens, en contrepartie de quoi aucun loyer ne sera exigé ". Certes, le même bail stipule également que " toutes les améliorations, augmentations, installations et constructions nouvelles " réalisées par le preneur reviendront au bailleur lors de la cessation du bail, toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que le sinistre intervenu dans la nuit du 20 au 21 avril 2021 aurait endommagé un autre bien que celui appartenant au département lors de la conclusion de ce bail. En conséquence et comme le soutient l'appelante, c'est à tort que la première juge a estimé que le département du Gard n'était pas propriétaire du bâtiment dénommé le " Vieux Moulin " lors de ce sinistre.

6. Cependant, ainsi que le prévoient les stipulations de l'annexe n° 1 à l'acte d'engagement relatif au marché public d'assurances conclu entre l'appelante et l'intimé, le cahier des charges propre à ce marché prime sur les conditions générales " assurances dommages aux biens ". Or, ce cahier déroge à ces conditions générales et stipule que la garantie porte, notamment, sur tout immeuble acquis ou occupé par l'assuré et inscrit sur la liste des biens à garantir, qui comprenait le bâtiment dit A ", pour l'essentiel, soit 1 104 m² sur 1 157 m², sans affectation précise. Par suite, l'appelante n'est pas fondée à soutenir que le sinistre qui a endommagé ce bâtiment n'entrerait pas dans le champ de la garantie souscrite par l'établissement public de coopération culturelle du Pont du Gard, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que ce sinistre a été causé par une personne physique qui avait forcé l'entrée de ce bâtiment pour l'occuper durant une brève période.

7. En ce qui concerne le montant de la provision, l'établissement public de coopération culturelle produit, pour la première fois en appel, une facture, de 805 euros hors taxes, s'agissant des frais de diagnostic amiante et plomb. Eu égard, par ailleurs, aux justificatifs déjà apportés en première instance relativement aux honoraires d'expert, pour la somme de 2 762 euros HT, aux frais d'huissier de justice, pour la somme de 360 euros, à la réalisation des travaux de mise en sécurité A ", pour la somme de 61 433,19 euros HT, et en l'absence d'autres éléments que ceux déjà produits devant la première juge s'agissant de la valeur de remplacement à neuf des biens meubles situés dans le bâtiment, qui ne consistent qu'en des estimations émanant du seul intimé, le montant total de la créance non sérieusement contestable dont peut se prévaloir ce dernier s'établit à la somme totale de 65 360 euros.

8. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que la société SMACL Assurances n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par l'ordonnance attaquée, la juge des référés du tribunal administratif de Nîmes l'a condamnée à verser une provision de 64 555 euros à l'établissement public de coopération culturelle du Pont du Gard et, d'autre part, que ce dernier est seulement fondé à demander à ce que le montant de cette condamnation soit porté à la somme de 65 360 euros.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'établissement public de coopération culturelle du Pont du Gard, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante. En revanche, il y a lieu, en application de ces mêmes dispositions, de mettre à la charge de la société SMACL Assurances une somme de 1 500 euros.

ORDONNE :

Article 1er : La requête n° 23TL01197 de la société SMACL Assurances est rejetée.

Article 2 : La société SMACL Assurances versera à titre provisionnel à l'établissement public de coopération culturelle du Pont du Gard une somme de 65 360 euros.

Article 3 : L'ordonnance de la juge des référés du tribunal administratif de Nîmes du 9 mai 2023 est réformée en ce qu'elle a de contraire à l'article 2 ci-dessus.

Article 4 : La société SMACL Assurances versera à titre provisionnel à l'établissement public de coopération culturelle du Pont du Gard une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de l'établissement public de coopération culturelle du Pont du Gard est rejeté.

Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée à la société anonyme SMACL Assurances et à l'établissement public de coopération culturelle du Pont du Gard. Copie en sera adressée au département du Gard.

Fait à Toulouse, le 21 mai 2024.

Le juge d'appel des référés,

Éric Rey-Bèthbéder

La République mande et ordonne au préfet du Gard, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

No 23TL01197