CE, 08/12/2022, n°464035

Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux mémoires enregistrés les 13 mai, 12 août et 10 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association française du gaz naturel pour véhicules (AFGN) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-1492 du 17 novembre 2021 relatif aux critères définissant les autobus et autocars à faibles émissions ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2009/33/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 ;

- la directive 2014/94/UE du Parlement européen et du Conseil ;

- la directive (UE) 2018/2001 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 ;

- la directive (UE) 2019/1161 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 ;

- le règlement (CE) n° 595/2009 du 18 juin 2009 ;

- le règlement (UE) 2018/858 du 30 mai 2018 ;

- le code de l'énergie ;

- le code de l'environnement ;

- le décret n° 2020-456 du 21 avril 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Amélie Fort-Besnard, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Philippe Ranquet, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

Sur le cadre juridique :

1. La directive 2009/33/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 vise à contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et de la consommation d'énergie en soutenant l'introduction sur le marché de véhicules propres et économes en énergie à travers l'achat public. A cet effet, dans sa version initiale, elle imposait aux Etats membres de veiller à ce que, à compter du 4 décembre 2010, les pouvoirs adjudicateurs, les entités adjudicatrices et les opérateurs de services publics de transports de voyageurs tiennent compte, lorsqu'ils achetaient des véhicules de transports routiers, des incidences énergétiques et environnementales de ces véhicules pendant toute leur durée de vie, en fixant des spécifications techniques relatives à leurs performances énergétiques et environnementales, ou en intégrant ces incidences parmi les critères d'attribution des marchés. Ces objectifs ont été transposés en droit interne par l'article 12 de la loi du 5 janvier 2011 portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne et par le décret du 5 mai 2011 relatif à la prise en compte des incidences énergétiques et environnementales des véhicules à moteur dans les procédures de la commande publique.

2. La loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a inséré dans le code de l'environnement des dispositions, qui figuraient alors au troisième alinéa de l'article L. 224-8 de ce code, fixant la proportion de véhicules à faibles émissions, définis en référence à des critères fixés par décret selon les usages de ces véhicules, les territoires dans lesquels ils circulent et les capacités locales d'approvisionnement en sources d'énergie, que l'Etat, ses établissements publics, les collectivités territoriales et leurs groupements, lorsqu'ils gèrent directement ou indirectement un parc de plus de vingt autobus et autocars pour assurer des services de transport public de personnes réguliers ou à la demande, doivent acquérir ou utiliser lors du renouvellement de ce parc. Ces véhicules doivent représenter au minimum 50 % du renouvellement de ce parc à partir du 1er janvier 2020, et dès le 1er janvier 2018 pour certains services gérés par la Régie autonome des transports parisiens, puis la totalité à compter du 1er janvier 2025.

3. Les dispositions des articles D. 224-15-2 à D. 224-15-7 du code de l'environnement créés par le décret du 11 janvier 2017 ont défini les critères caractérisant les autobus et les autocars à faibles émissions en fonction, d'une part, de leur motorisation et du carburant utilisé, en distinguant à cet égard dans leur version initiale deux groupes de véhicules, d'autre part, des zones dans lesquelles leur itinéraire s'inscrivait majoritairement. Le groupe 1 comprenait les véhicules électriques ou utilisant un carburant gazeux dont une fraction de 20 %, puis à compter de 2025 de 30 %, était d'origine renouvelable, et le groupe 2 comprenait notamment les véhicules hybrides et les autres véhicules utilisant un carburant gazeux. A Paris et dans les communes limitrophes, ainsi que dans certaines communes des agglomérations de plus de 250 000 habitants, seuls les véhicules du groupe 1 et les véhicules hybrides fonctionnant uniquement en mode électrique sur ces territoires étaient considérés comme des véhicules à faibles émissions, sous réserve de dispositions transitoires concernant certains véhicules du groupe 2.

4. La directive (UE) 2019/1161 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 a modifié la directive 2009/33/CE en y insérant des dispositions fixant des objectifs quantitatifs pour le renouvellement des flottes de véhicules des acheteurs publics, au regard de catégories de véhicules qu'elle définit. Aux termes de l'article 5 de la directive 2009/33/CE modifiée par la directive (UE) 2019/1161 : "Les États membres veillent à ce que l'obtention par voie de marchés publics de véhicules et de services visés à l'article 3 réponde aux objectifs minimaux en matière de marchés publics fixés () dans le tableau 4 de l'annexe pour les véhicules utilitaires lourds propres. Ces objectifs sont exprimés en pourcentages minimaux de véhicules propres dans le nombre total de véhicules de transport routier couverts par la somme de tous les contrats visés à l'article 3, attribués entre le 2 août 2021 et le 31 décembre 2025 pour la première période de référence, et entre le 1er janvier 2026 et le 31 décembre 2030 pour la deuxième période de référence". En ce qui concerne les autobus (véhicules de catégorie M3), ce tableau fixe le pourcentage minimal de véhicules propres pour la France à 43% du nombre total de véhicules couverts par les contrats attribués entre le 2 août 2021 au 31 décembre 2025, puis à 61 % pour la période du 1er janvier 2026 au 31 décembre 2030, étant précisé que "la moitié de l'objectif minimal concernant la part d'autobus propre doit être atteinte au moyen d'autobus à émission nulle au sens de l'article 4, point 5)".

5. Selon le b) du point 4 de l'article 4 de la directive 2009/33/CE, les véhicules de catégorie M3 au sens du règlement (UE) 2018/858 du 30 mai 2018 relatif à la réception et à la surveillance du marché des véhicules à moteur et de leurs remorques, ainsi que des systèmes, composants et entités techniques distinctes destinés à ces véhicules - c'est-à-dire les véhicule à moteur comprenant plus de huit places assises en plus de celle du conducteur et ayant une masse maximale supérieure à 5 tonnes - sont des véhicules propres au sens de cette directive lorsqu'ils utilisent un carburant alternatif au sens de l'article 2 de la directive 2014/94/UE, sous certaines réserves concernant les biocarburants, les carburants de synthèse et les carburants paraffiniques. Ces carburants alternatifs comprennent l'électricité, l'hydrogène, un combustible liquide ou gazeux produit à partir de la biomasse, un carburant de synthèse ou paraffinique, du gaz naturel, y compris le biométhane, sous forme gazeuse ou liquéfié et le gaz de pétrole liquéfié.

6. Aux termes du point 5 de l'article 4 de la directive 2009/33/CE : " un véhicule utilitaire lourd à émission nulle [est] un véhicule propre au sens du point 4) b) () sans moteur à combustion interne, ou équipé d'un moteur à combustion interne dont les émissions de CO2 sont inférieures à 1 g/kWh, telles que déterminées conformément au règlement (CE) n° 595/2009 du Parlement européen et du Conseil et à ses mesures d'exécution, ou inférieures à 1 g/km, telles que déterminées conformément au règlement (CE) no 715/2007 du Parlement européen et du Conseil et à ses mesures d'exécution ()". Le règlement n° 595/2009 relatif à la réception des véhicules à moteur et des moteurs au regard des émissions des véhicules utilitaires lourds (Euro VI) et à l'accès aux informations sur la réparation et l'entretien des véhicules, applicable aux véhicules de catégorie M3, fixe des valeurs limites applicables aux émissions au tuyau d'échappement, aux émissions du carter et aux émissions par évaporation.

7. L'article L. 224-8-2 du code de l'environnement, créé par l'ordonnance n° 2021-1490 du 17 novembre 2021 portant transposition de la directive (UE) 2019/1161 dispose que : "La proportion minimale d'autobus ou d'autocars à faibles émissions qui sont acquis ou utilisés dans le cadre [de marchés publics et contrats de concession, tels que définis par les articles L. 1111-1 et L. 1121-1 du code de la commande publique, et relatifs au transport routier de voyageurs] s'établit, pour une année calendaire, pour l'Etat, pour les collectivités territoriales et leurs groupements ainsi que pour leurs établissements publics, lorsqu'ils gèrent directement ou indirectement un parc de plus de vingt autobus et autocars pour assurer des services de transport public de personnes réguliers ou à la demande, à : / 1° 50 % jusqu'au 31 décembre 2024 ; / 2° 100 % à compter du 1er janvier 2025. / Pour les autobus, la moitié au moins de ces proportions est constituée d'autobus à très faibles émissions. Cette obligation n'est applicable qu'à compter du 1er juillet 2022 pour les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics. Un décret peut prévoir des modulations pour tenir compte notamment de la situation des personnes assujetties à l'obligation et des zones concernées ". Ces dispositions se sont substituées aux dispositions du troisième alinéa de l'article L. 224-8 du code de l'environnement mentionnées au point 2, qui fixaient les mêmes échéances et les mêmes proportions minimales pour les véhicules à faible émission. Elles y ont ajouté une obligation relative à la proportion minimale de véhicules à très faible émissions, qui correspondent aux véhicules à émission nulle au sens de la directive 2009/33/CE.

Sur le litige :

8. Pour l'application des dispositions citées au point 7, le décret attaqué a modifié les dispositions mentionnées au point 3, qui définissent les conditions permettant de considérer les autobus et les autocars comme des véhicules à faibles émissions. D'une part, le 5° de l'article D. 224-15-2, tel qu'issu de ce décret, distingue désormais quatre groupes de véhicules de transport en commun. Parmi ceux-ci, le groupe 1 comprend "les véhicules dont la motorisation est électrique, y compris les véhicules alimentés par une pile à combustible à hydrogène et les trolleybus uniquement mus électriquement, ou véhicules électriques-hybrides utilisant l'hydrogène comme source d'énergie complémentaire à l'électricité". Le groupe 1 bis comprend notamment les "véhicules utilisant un carburant gazeux si une fraction du gaz consommé est d'origine renouvelable, [les] véhicules à motorisation électrique-hybride utilisant un carburant gazeux dont une fraction du gaz consommé est d'origine renouvelable comme source d'énergie complémentaire à l'électricité ()", qui figuraient jusqu'alors dans le groupe 1.

9. D'autre part, le décret attaqué a créé un article D. 224-15-5-1 du code de l'environnement et modifié l'article D. 224-15-6. Aux termes de l'article D. 224-15-5-1 : " Pour l'exécution d'un transport public routier urbain dont l'itinéraire s'inscrit majoritairement dans les territoires de plus de 250 000 habitants des zones A et B, respectivement précisés au II de l'article D. 224-15-3 et aux 1°, 2° et 4° du II de l'article D. 224-15-4, sont considérés comme des autobus à très faibles émissions les véhicules du groupe 1 de catégorie M3 de classe I ou A. Dans ces territoires, la part d'autobus à très faibles émissions parmi les autobus à faibles émissions permettant l'atteinte des objectifs prévus à l'article L. 224-8-2 est d'au minimum 50 % ()". L'article D. 224-15-6 dispose que : "Pour l'exécution d'un transport public routier urbain dont l'itinéraire s'inscrit en zone C, c'est-à-dire dans les territoires autres que ceux des zones A et B () sont considérés comme des autobus à très faibles émissions les véhicules du groupe 1 de catégorie M3 de classe I ou A. / Sont également considérés comme véhicules à très faibles émissions les véhicules de catégorie M2 ou M3 dont la motorisation thermique d'origine a été transformée en motorisation électrique à batterie ou à pile à combustible dans les conditions ayant abouti à la délivrance de l'agrément prévu aux articles R. 321-21 et R. 321-24 du code de la route".

10. Il résulte de la combinaison des dispositions citées aux points 8 et 9 que, parmi les autobus, les véhicules à très faibles émissions ne comprennent que des véhicules dont la motorisation est électrique et des véhicules électriques-hybrides utilisant l'hydrogène comme source d'énergie complémentaire à l'électricité.

11. En premier lieu, si, aux termes de son article 1er, la directive 2009/33/CE se donne pour objet et pour objectifs d'obliger " les États membres à veiller à ce que les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices tiennent compte, lors de l'obtention par voie de marchés publics de certains véhicules de transport routier, des incidences énergétiques et environnementales qu'ont ces véhicules tout au long de leur cycle de vie, y compris la consommation d'énergie et les émissions de CO2 et de certains polluants, afin de promouvoir et de stimuler le marché des véhicules propres et économes en énergie et d'augmenter la contribution du secteur des transports aux politiques menées par l'Union dans les domaines de l'environnement, du climat et de l'énergie ", la définition du véhicule utilitaire à émission nulle donnée au point 5 de l'article 4, reproduit ci-dessus, ne se fonde pas sur une appréciation des incidences énergétiques et environnementales de ces véhicules tout au long de leur cycle de vie, mais sur un type de motorisation, sans combustion interne, ou à défaut, dont les émissions de dioxyde de carbone, mesurées essentiellement à l'échappement, doivent être inférieures à 1 g/kWh. Au demeurant, selon le considérant 20 de cette directive, " la prise en compte éventuelle des émissions de CO2 tout au long du cycle de vie et des émissions de CO2 " du puits à la roue " des véhicules devrait être envisagée pour la période postérieure à 2030". Dès lors, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que les dispositions attaquées du 5° de l'article D. 224-15-2 du code de l'environnement méconnaîtraient les objectifs de la directive (UE) 2019/1161, notamment son article 1er, faute de retenir un classement des autobus en fonction de leurs incidences énergétiques et environnementales tout au long de leur cycle de vie.

12. En deuxième lieu, si un autobus équipé d'un moteur à combustion utilisant du biogaz peut être un véhicule propre au sens du point 4 de l'article 4 de la directive 2009/33/CE, il est constant que, compte tenu des caractéristiques de la combustion de ce gaz, et du niveau des émissions de dioxyde de carbone à l'échappement qui en résultent, il ne peut, contrairement à ce que soutient la requérante, être qualifié de véhicule utilitaire lourd à émission nulle en application du point 5 du même article. Dès lors que l'exclusion, par les dispositions attaquées du 5° de l'article D. 224-15-2 du code de l'environnement, des autobus roulant au biogaz de la catégorie des véhicules à très faibles émissions, ou groupe 1, résulte des dispositions de la directive 2009/33/CE dont elles assurent la transposition, l'association requérante ne peut en tout état de cause utilement soutenir qu'elles méconnaîtraient l'objectif de promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de toutes les sources renouvelables de la directive transposée et de la directive (UE) 2018/2001 du 11 décembre 2018. Pour les mêmes raisons, l'association requérante ne peut utilement soutenir que cette exclusion serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation s'agissant, d'une part, du choix des moyens pour atteindre les objectifs minimaux de recours à des autobus à émissions nulles fixés à la France par la directive 2009/33/CE, et, d'autre part, au regard des objectifs de la politique énergétique nationale tels que définis à l'article L. 100-4 du code de l'énergie et déclinés par le décret du 21 avril 2020 relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie.

13. En troisième lieu, l'obligation pour les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices qui gèrent directement ou indirectement un parc de plus de vingt autobus et autocars de recourir, pour assurer des services de transport public de personnes réguliers en ville, à hauteur de 25 % du parc renouvelé jusqu'au 31 décembre 2024 puis 50 % à compter du 1er janvier 2025, à des autobus à très faibles émissions résulte de l'article L. 224-8-2 du code de l'environnement. Les dispositions litigieuses précisent que de tels autobus sont ceux dont la motorisation est électrique ou électrique-hybride utilisant l'hydrogène comme source d'énergie complémentaire à l'électricité. La circonstance que l'impossibilité pour les collectivités territoriales autorités organisatrices de mobilité de recourir à des autobus roulant au biogaz pour satisfaire les obligations résultant de l'article L. 224-8-2 du code de l'environnement aurait pour effet de renchérir le coût du renouvellement de cette part de leurs flottes ne saurait en tout état de cause caractériser une atteinte illégale à la libre administration des collectivités territoriales.

14. En quatrième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance du principe constitutionnel de la liberté d'entreprendre et du principe général du droit de la liberté du commerce et de l'industrie par les dispositions attaquées en tant qu'elles excluent le biogaz des sources d'énergie renouvelables pouvant alimenter les véhicules à très faibles émissions n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de l'association française du gaz naturel doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de l'association française du gaz naturel pour véhicules est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association française du gaz naturel pour véhicules, à la Première ministre et à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

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