TA Bastia, 04/08/2023, n°2300865

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 18 juillet 2023 et le 2 août 2023, la société méditerranéenne de travaux et d'enrobés, représentée par Me Cabanes, demande au juge des référés statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) d'annuler la procédure de passation du marché public engagée par la collectivité de Corse au stade de l'examen des offres, en vue de l'attribution d'un marché de travaux portant sur la création d'une piste cyclable entre l'Amirauté et le fond de baie de la commune d'Ajaccio ;

2°) d'ordonner, si la collectivité de Corse entend conclure le contrat, la reprise de la procédure dans des conditions conformes aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur ;

3°) de mettre à la charge de la collectivité de Corse la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la collectivité de Corse ne pouvait écarter son offre comme étant incomplète car la production de l'autorisation préfectorale d'exploitation de la centrale d'enrobés à chaud n'est pas exigible au stade de l'offre, mais seulement de la candidature ;

- la pièce manquante est dépourvue de toute utilité pour l'examen des offres, car elle a déjà été produite dans le cadre d'une consultation précédente et présente un caractère public.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 juillet 2023, la collectivité de Corse, représentée par Me Muscatelli, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 3 000 euros soit mis à la charge de la société méditerranéenne de travaux et d'enrobés au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 29 juillet 2023 et le 31 juillet 2023, la SAS Terrassements corses Terraco, représentée par Me Pietra, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 5 000 euros soit mis à la charge de la société méditerranéenne de travaux et d'enrobés au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi qu'une somme au titre des dépens.

Elle soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. Martin, premier conseiller, pour statuer sur les demandes de référé, en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Martin, juge des référés,

- les observations de Me Michaud, substituant Me Cabanes, représentant la société méditerranéenne de travaux et d'enrobés ;

- les observations de Me Goubet, substituant Me Muscatelli, représentant la collectivité de Corse, qui soutient que le dossier de candidature de la société requérante n'a pas été examiné dès lors que son offre était irrégulière.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Une note en délibéré présentée par la SAS Terrassements corses Terraco a été enregistrée le 3 août 2023.

Une note en délibéré présentée par la collectivité de Corse a été enregistrée le 4 août 2023.

Une note en délibéré présentée par société méditerranéenne de travaux et d'enrobés a été enregistrée le 4 août 2023.

Considérant ce qui suit :

1. Par avis d'appel public à concurrence du 10 mars 2023, la collectivité de Corse a engagé une procédure adaptée de passation d'un marché public de travaux relatif à la création d'une piste cyclable entre l'Amirauté et le fond de baie de la commune d'Ajaccio. Deux candidats ont soumissionné pour le lot n° 2 relatif aux enrobés : la société méditerranéenne de travaux et d'enrobés et la SAS Terrassements corses Terraco. Par un courrier du 10 juillet 2023, la collectivité de Corse a informé la société méditerranéenne de travaux et d'enrobés que son offre avait été rejetée au profit du groupement de la SAS Terrassements corses Terraco et de la SARL Pompeani. La société méditerranéenne de travaux et d'enrobés demande au juge des référés, sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la procédure de passation du marché public.

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation (). ". Aux termes du I de l'article L. 551-2 du même code : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. ".

3. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-5 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auxquels ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

4. D'une part, aux termes de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières (). ". Aux termes de l'article L. 2152-2 du même code : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète () ". Selon l'article R. 2132-1 du même code : " Les documents de la consultation sont l'ensemble des documents fournis par l'acheteur ou auxquels il se réfère afin de définir son besoin et de décrire les modalités de la procédure de passation, y compris l'avis d'appel à la concurrence. Les informations fournies sont suffisamment précises pour permettre aux opérateurs économiques de déterminer la nature et l'étendue du besoin et de décider de demander ou non à participer à la procédure. ".

5. Il résulte de ces dispositions que le règlement de la consultation d'un marché est obligatoire dans toutes ses mentions. L'administration ne peut en conséquence attribuer le marché à un candidat qui ne respecterait pas une des prescriptions imposées par le règlement, sauf si cette exigence se révèle manifestement dépourvue de toute utilité pour l'examen des candidatures ou des offres, notamment parce que les éléments demandés ont un caractère public.

6. D'autre part, l'article R. 2152-7 du code de la commande publique dispose : " Pour attribuer le marché au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, l'acheteur se fonde : 1° Soit sur un critère unique qui peut être : a) Le prix, à condition que le marché ait pour seul objet l'achat de services ou de fournitures standardisés dont la qualité est insusceptible de variation d'un opérateur économique à l'autre ; b) Le coût, déterminé selon une approche globale qui peut être fondée sur le coût du cycle de vie défini à l'article R. 2152-9 ; 2° Soit sur une pluralité de critères non-discriminatoires et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution, parmi lesquels figure le critère du prix ou du coût et un ou plusieurs autres critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux. Il peut s'agir des critères suivants : a) La qualité, y compris la valeur technique () ".

7. Le règlement de consultation du marché définit deux critères d'attribution, dont celui de la valeur technique, appréciée au regard du mémoire technique. A cette fin, les pièces de l'offre se composent notamment, s'agissant du lot n°2, de l'autorisation préfectorale d'exploitation de la centrale d'enrobés à chaud. Contrairement à ce que la société méditerranéenne de travaux et d'enrobés soutient, une telle exigence permet de déterminer les moyens dont disposent les candidats pour exécuter le marché et donc d'évaluer leurs offres au regard des critères retenus. Toutefois, si cette société s'est abstenue de produire une telle pièce à l'appui de son offre, elle a indiqué dans le dossier de candidature que la société SECA, qui a signé une lettre d'engagement auprès d'elle dans le cadre du lot n°2, bénéficiait d'une telle autorisation par l'arrêté préfectoral n° 06-1725 du 12 décembre 2006. Cet arrêté a été publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Corse-du-Sud du mois de décembre 2006 qui est accessible à tous. Dès lors, la pièce demandée présente un caractère public. En outre, la collectivité de Corse ne conteste pas sérieusement avoir examiné le dossier de candidature de la société méditerranéenne de travaux et d'enrobés avant de se prononcer sur le caractère régulier de son offre, le règlement de la consultation ne précisant d'ailleurs pas que l'examen des offres devait précéder celui des candidatures.

8. Il résulte de ce qui précède que la société méditerranéenne de travaux est fondée à demander l'annulation, à compter de l'examen des offres, de la procédure de passation du marché engagée par la collectivité de Corse, en tant qu'il porte sur le lot n° 2 relatif aux enrobés.

Sur les conclusions d'injonction :

9. La présente décision implique qu'il soit enjoint à la collectivité de Corse, si elle entend poursuivre la passation du marché en litige, de reprendre la procédure de passation, au stade de l'examen des offres, en se conformant à ses obligations de publicité et de mise en concurrence.

Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. D'une part, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la collectivité de Corse une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société méditerranéenne de travaux et d'enrobés et non compris dans les dépens. D'autre part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la société méditerranéenne de travaux et d'enrobés, qui n'est pas la partie perdante, verse à la collectivité de Corse et à la SAS Terrassements corses Terraco une quelconque somme au titre des frais qu'elles ont respectivement exposés et non compris dans les dépens.

ORDONNE :

Article 1er : La procédure de passation engagée par la collectivité de Corse, en vue de la conclusion du marché public de travaux relatif à la création d'une piste cyclable entre l'Amirauté et le fond de baie de la commune d'Ajaccio, en tant qu'il porte sur le lot n° 2 relatif aux enrobés, est annulée à compter de l'examen des offres.

Article 2 : Il est enjoint à la collectivité de Corse, si elle entend poursuivre sa procédure de marché, de la reprendre au stade de l'examen des offres, en se conformant à ses obligations de publicité et de mise en concurrence.

Article 3 : La collectivité de Corse versera à la société méditerranéenne de travaux et d'enrobés une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la collectivité de Corse et de la SAS Terrassements corses Terraco présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la société méditerranéenne de travaux et d'enrobés, à la collectivité de Corse, à la SAS Terrassements corses Terraco et à la SARL Pompeani.

Fait à Bastia, le 4 août 2023.

Le juge des référés,

Signé

J. MARTIN

La République mande et ordonne au préfet de la Corse-du-Sud en ce qui le concerne et à tous les commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

Signé

H. NICAISE