TA Bastia, 10/05/2023, n°2201546
Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 13 décembre 2022, le 19 janvier 2023 et les 24 et 27 février 2023, la communauté de communes Calvi Balagne, représentée par Me Canarelli, demande au juge des référés du tribunal :
1°) de condamner la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Méditerranée, dénommée société Groupama Méditerranée, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, à lui verser, dans le dernier état de ses écritures, la somme de 232 098,73 euros à titre provisionnel ;
2°) de mettre à la charge de la société Groupama Méditerranée la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'existence de l'obligation de son assureur n'est pas sérieusement contestable ;
- le montant de la provision réclamée est justifié ;
- ce montant est inférieur à celui des garanties souscrites ;
- il n'y a pas lieu, dans la présente instance relative à l'application du contrat conclu avec son assureur, de mettre en cause le constructeur et l'assureur de celui-ci.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 30 décembre 2022 et le 3 mars 2023, la société Groupama Méditerranée, représentée par Me Casabianca-Crocce, conclut :
1°) à titre principal au rejet de la requête ;
2°) à titre subsidiaire, à ce que la SAS VO2 et la SA Allianz IARD la garantissent des condamnations susceptibles d'être mises à sa charge ;
3°) à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de la partie perdante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la communauté de communes s'est affranchie du contrat la liant à son assureur en s'abstenant de produire à l'expert amiable les pièces justificatives des dommages nécessaires à une indemnisation amiable ;
- son obligation est sérieusement contestable en l'absence d'expertise pour déterminer l'étendue des dommages et en évaluer le coût ;
- seule une somme de 44 258 euros correspondant aux travaux de sauvegarde préconisés par l'expert d'assurances est justifiée par la production d'une facture ;
- l'obligation de la société VO2, dont la société Allianz IARD est l'assureur, n'est pas sérieusement contestable dès lors qu'elle est responsable au titre de la garantie décennale due par les constructeurs, des dommages causés par la rupture de la conduite qu'elle a installée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 mars 2023, la SAS VO2 et la SA Allianz IARD, représentées par la SCP de Angelis - Semidei - Vuillquez - Habart-Melki - Bardon - de Angelis, concluent au rejet de la requête.
Elles soutiennent que :
- il n'appartient pas à la juridiction administrative de connaître de conclusions indemnitaires dirigées contre la société Allianz IARD ;
- le montant de la provision réclamée n'est pas précisément déterminé ;
- la cause et l'imputabilité de la rupture de canalisation n'ont pas été déterminées de manière contradictoire ;
- l'évaluation des dommages n'a pas été débattue contradictoirement ;
- la réalisation de la mesure d'instruction demandée dans l'instance n° 2300043 est un préalable à l'instance indemnitaire.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des assurances ;
- le code de la commande publique ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. La communauté de communes Calvi Balagne est propriétaire d'un complexe sportif implanté sur le territoire de la commune de Calvi. Un sinistre est survenu dans la nuit du 26 au 27 juin 2022 par rupture d'une vanne d'arrivée d'eau froide située dans un local technique. La société Groupama Méditerranée, assureur de la communauté de communes Calvi Balagne, a désigné un expert qui a procédé à un relevé des dommages causés par l'eau. L'établissement public de coopération intercommunale a adressé, le 3 novembre 2022, une réclamation à son assureur, tendant à ce que lui soit versée dans un délai de quinze jours la somme de 774 692,10 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice qu'elle estime avoir subi. N'ayant reçu aucune réponse, la communauté de communes Calvi Balagne demande au juge des référés du tribunal de condamner la société Groupama Méditerranée, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, à lui verser une provision de 506 103,54 euros dont elle a ensuite modifié le montant à trois reprises pour le ramener à 232 098,73 euros dans le dernier état de ses écritures.
2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : "Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie".
3. Il résulte de ces dispositions que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui parait revêtir un caractère de certitude suffisant.
Sur les conclusions dirigées par la communauté de communes Calvi Balagne contre la société Groupama Méditerranée :
4. La société Groupama Méditerranée est attributaire d'un marché public d'assurance des dommages aux biens mobiliers et immobiliers d'un complexe sportif dont la communauté de communes Calvi Balagne est le maître d'ouvrage. A ce titre, sont assurés les dommages consécutifs aux dégâts des eaux, pour le bâtiment et le contenu général, notamment les matériels et installations générales. Sont ainsi garantis les dommages matériels subis par les biens immobiliers et mobiliers assurés et causés par des fuites d'eau et ruptures accidentelles survenues à l'intérieur de biens immobiliers, provenant de canalisations non enterrées.
5. Il est constant que les dommages sont consécutifs à un dégât des eaux résultant de la rupture accidentelle d'une vanne équipant une canalisation, survenue à l'intérieur du bâtiment accueillant le complexe sportif. En l'absence de cause exonératoire, l'obligation dont la société Groupama Méditerranée est redevable à l'égard de la communauté de communes Calvi Balagne en exécution du contrat d'assurance, au titre des dommages consécutifs aux dégâts des eaux, n'apparaît pas sérieusement contestable en l'état de l'instruction. La circonstance que la communauté de communes n'aurait pas respecté la procédure d'évaluation des dommages aux biens assurés prévue au titre 5 de la partie V des dispositions générales du contrat d'assurance n'est pas de nature à faire regarder l'obligation de l'assureur comme sérieusement contestable.
6. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport établi le 21 novembre 2022 par l'expert commis par la société Groupama Méditerranée que les frais de dépose du parquet des salles de squash, le nettoyage des sols et le nettoyage et déplacement des matériels sont estimés à la somme de 44 258 euros, à laquelle il convient d'ajouter le coût des travaux de remise en état ou du remplacement des biens détériorés du fait du sinistre. Dans l'attente du dépôt du rapport de l'expertise ordonnée par le juge des référés le 9 mai 2023 dans l'instance n° 2300043, qui se prononcera sur les causes, l'étendue et l'évaluation finale des dommages, le montant de la provision résultant de l'obligation de la société Groupama Méditerranée revêt, en l'état de l'instruction, un caractère de certitude suffisant à hauteur de la somme de 125 000 euros.
7. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de condamner la société Groupama Méditerranée à verser à la communauté de communes Calvi Balagne une provision de 125 000 euros.
Sur les conclusions dirigées par la société Groupama Méditerranée contre la SAS VO2 et la SA Allianz IARD :
8. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 121-12 du code des assurances : " L'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur. " Il appartient à l'assureur qui demande à bénéficier de la subrogation prévue par l'article L. 121-12 du code des assurances de justifier par tout moyen du paiement d'une indemnité à son assuré.
9. Le contrat d'assurance conclu entre la SAS VO2 et la SA Allianz IARD est un contrat de droit privé. Les conclusions dirigées par la société Groupama Méditerranée, assureur de la communauté de communes Calvi Balagne, à l'encontre de l'assureur de la SAS VO2, ne ressortissent pas à la compétence de la juridiction administrative.
10. La société Groupama Méditerranée n'établit pas avoir versé à la communauté de communes Calvi Balagne une quelconque indemnité au titre de l'obligation d'assurance des dégâts des eaux résultant du marché public d'assurance des dommages aux biens mobiliers et immobiliers du complexe sportif mentionné au point 4. Faute pour elle de justifier par tout moyen du paiement d'une indemnité à son assurée et, par suite, de son droit à bénéficier de la subrogation prévue par l'article L. 121-12 du code des assurances, l'obligation de la SAS VO2 envers la société Groupama Méditerranée est, en l'état de l'instruction, sérieusement contestable.
11. Il résulte de ce qui précède que la société Groupama Méditerranée n'est pas fondée à demander que la SAS VO2 soit condamnée à la garantir de la condamnation prononcée contre elle au point 7.
Sur les frais liés au litige :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Groupama Méditerranée, partie perdante dans la présente instance, une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la communauté de communes Calvi Balagne et non compris dans les dépens.
13. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le tribunal ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par la société Groupama Méditerranée doivent dès lors être rejetées.
ORDONNE
Article 1er : La société Groupama Méditerranée est condamnée à verser à la communauté de communes Calvi Balagne une provision de 125 000 euros.
Article 2 : La société Groupama Méditerranée versera à la communauté de communes Calvi Balagne une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Les conclusions dirigées par la société Groupama Méditerranée contre la SA Allianz IARD sont rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la société Groupama Méditerranée est rejeté.
Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée à la communauté de communes Calvi Balagne, à la société Groupama Méditerranée, à la SAS VO2 et à la SA Allianz IARD.
Fait à Bastia, le 10 mai 2023.
Le juge des référés,
Signé
T. VANHULLEBUS
La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Corse en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
R. ALFONSI
N°2201546