TA Besançon, 14/03/2023, n°2102329

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 30 décembre 2021 et 27 juin 2022, Mme B C, représentée par Me Gay, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de condamner solidairement la commune de Vaux-lès-Saint-Claude et la communauté de communes Terre d'Emeraude Communauté à lui verser la somme de 15 680 euros en réparation des dommages causés par les travaux de raccordement de son habitation au réseau public d'assainissement ;

2°) de mettre à la charge solidaire de la commune de Vaux-lès-Saint-Claude et de la communauté de communes Terre d'Emeraude Communauté les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés, d'un montant de 14 281,69 euros ;

3°) de mettre à la charge solidaire de la commune de Vaux-lès-Saint-Claude et de la communauté de communes Terre d'Emeraude Communauté la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les travaux de raccordement des canalisations privées au réseau public d'assainissement collectif réalisés dans le cadre d'un marché public passé par la commune de Vaux-lès-Saint-Claude sont à l'origine des infiltrations survenues au droit du mur de sa cave ;

- il ne peut lui être imputé aucune faute ;

- les préjudices subis présentent un caractère grave compte tenu de leur nature et de leur ampleur et spécial dès lors qu'elle est la seule riveraine ayant subi de tels désordres ;

- elle devra être indemnisée des travaux de reprise à effectuer pour réparer les désordres, qui ont été évalués à 11 330 euros ;

- l'humidité et les inondations de sa cave du fait des infiltrations ont endommagé un meuble qui y était stocké, d'une valeur de 250 euros, qui devra faire l'objet d'un remboursement ;

- les inondations de sa cave l'ont empêchée d'utiliser ce local durant six jours, lui causant un préjudice de jouissance évalué à 600 euros ;

- les multiples démarches qu'elle a dû entreprendre à la suite des désordres survenus et l'anxiété générée par les six inondations subies au cours d'une période de trois ans et demi lui ont causé des troubles dans ses conditions d'existence constitutifs d'un préjudice moral qui devra être indemnisé à hauteur de 3 500 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er juin 2022, la commune de Vaux-lès-Saint-Claude, représentée par Me Suissa, demande au tribunal :

1°) à titre principal, de rejeter la requête de Mme C ;

2°) à titre subsidiaire, de réduire ses prétentions à de plus justes proportions ;

3°) de mettre à la charge de Mme C la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal, la requête est mal dirigée dès lors qu'elle a transféré la compétence assainissement à la communauté de communes Terre d'Emeraude Communauté au 1er janvier 2020 ;

- à titre subsidiaire, la requérante a commis deux fautes de nature à l'exonérer de sa responsabilité tenant, d'une part, au fait que l'entreprise EHTP est intervenue à la demande de Mme C en dehors du cadre du marché public passé et, d'autre part, à une absence d'étanchéité du mur de la cave ;

- les travaux de réfection prônés par l'expert qui portent sur la suppression du regard borgne des eaux pluviales et le raccordement de la gouttière en zinc provenant du toit sont sans lien avec les travaux concernant le réseau d'assainissement réalisés ;

- il n'est pas produit la facture du meuble en kit dont le remboursement est demandé, alors au demeurant que ses conditions de conservation dans une cave aux murs non étanches interrogent ;

- Mme C ne justifie pas d'une altération de ses conditions de vie et la cave ne constituant pas une pièce de vie ni même un local indispensable, la requérante n'est pas fondée à être indemnisée d'un préjudice de jouissance durant les périodes d'inondations.

Par un mémoire en intervention volontaire, enregistré le 3 juin 2022, la communauté de communes Terre d'Emeraude Communauté, représentée par Me Suissa, demande au tribunal :

1°) à titre principal, de rejeter la requête de Mme C ;

2°) à titre subsidiaire, de réduire ses prétentions à de plus justes proportions ;

3°) de mettre à la charge de Mme C la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il n'existe pas de lien de causalité entre les travaux réalisés dans le cadre du marché public et les désordres subis par la requérante ;

- la requérante a commis des fautes de nature à l'exonérer de sa responsabilité ;

- la requérante ne justifie pas de préjudices indemnisables.

Par un courrier du 15 février 2023 les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le tribunal était susceptible de soulever d'office l'incompétence de la juridiction administrative pour connaître des dommages causés à un usager du service public industriel et commercial d'assainissement à l'occasion de la fourniture du service, et ce, même si le dommage trouve son origine dans la réalisation de travaux publics.

Des observations enregistrées le 17 février 2023 ont été présentées par Me Gay pour Mme C.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Guitard, première conseillère,

- les conclusions de M. Poitreau, rapporteur public,

- et les observations de Me Bouchoudjian, pour la commune de Vaux-lès-Saint-Claude et la communauté de communes Terre d'Emeraude communauté.

Considérant ce qui suit :

1. En 2017, la commune de Vaux-lès-Saint-Claude a décidé de construire un réseau d'eaux usées sous les voies communales et une station d'épuration. Elle a conclu un marché public par lequel elle a confié la réalisation du réseau public d'assainissement à la société EHTP ainsi que, par un avenant, le raccordement des habitations au réseau public pour les particuliers qui le souhaitaient et aux frais de ces derniers. Mme C, habitante de Vaux-lès-Saint-Claude, a accepté la proposition de branchement de la maison dont elle est propriétaire au réseau public d'assainissement. A la suite des travaux réalisés par la société EHTP en 2018, Mme C a constaté, lors d'épisodes pluvieux, des infiltrations d'eau dans la cave en sous-sol de son habitation. Elle a demandé à la société EHTP de remédier à ces désordres mais les trois interventions successives de cette société réalisées aux mois de février et de novembre 2019 puis de novembre 2020 n'ont pas permis de mettre fin aux infiltrations. Après s'être adressée en vain à la commune de Vaux-lès-Saint-Claude afin qu'elle prenne en charge les travaux de reprise, elle a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Besançon qui, par une ordonnance du 3 mai 2021, a désigné M. A en qualité d'expert pour qu'il détermine l'origine des désordres affectant la maison d'habitation de l'intéressée. L'expert a remis son rapport le 15 octobre 2021. Le 28 octobre 2021, Mme C a adressé une demande indemnitaire préalable à la commune de Vaux-lès-Saint-Claude. Le 30 décembre 2021, elle a présenté une requête indemnitaire au tribunal par laquelle elle demandait initialement la condamnation de la commune de Vaux-lès-Saint-Claude à l'indemniser des désordres subis, avant de solliciter la condamnation solidaire de cette commune et de la communauté de communes Terre d'Emeraude Communauté après avoir été informée du transfert de la compétence assainissement de la commune à cette dernière.

2. Aux termes de l'article L. 2224-11 du code général des collectivités territoriales : " Les services publics d'eau et d'assainissement sont financièrement gérés comme des services à caractère industriel et commercial ".

3. Eu égard aux rapports de droit privé nés du contrat qui lie le service public industriel et commercial de l'assainissement à ses usagers, les litiges relatifs aux rapports entre ce service et ses usagers relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire. Ainsi, il n'appartient qu'à la juridiction judiciaire de connaître des litiges relatifs notamment aux dommages causés aux usagers à l'occasion de la fourniture du service, alors même que la cause des dommages réside dans l'exécution des travaux publics.

4. Il résulte de l'instruction que les infiltrations d'eaux dans le sous-sol de la maison de Mme C procèdent de la mauvaise exécution des travaux publics effectués pour créer le réseau public d'assainissement et réaliser le branchement de cette habitation à ce réseau. Les dommages correspondant doivent dès lors être regardés comme étant survenus à l'occasion de la fourniture de la prestation assurée par le service d'assainissement à l'un de ses usagers et ressortissent ainsi à la compétence des tribunaux de l'ordre judiciaire. Par suite, la requête indemnitaire présentée par Mme C doit être rejetée comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

DECIDE :

Article 1er : La requête présentée par Mme C est rejetée comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à Mme B C, à la communauté de communes Terre d'Emeraude communauté et à la commune de Vaux-lès-Saint-Claude.

Copie en sera transmise, pour information, à M. D A, expert.

Délibéré après l'audience du 21 février 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Trottier, président,

- Mme Guitard, première conseillère,

- Mme Diebold, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 mars 2023.

La rapporteure,

F. GuitardLe président,

T. Trottier

La greffière,

E. Cartier

La République mande et ordonne au préfet du Jura, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière

1

2