TA Cergy-P, 03/05/2023, n°2305155

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 17 et 27 avril 2023, la société Paris Fast Depann SAS, représentée par Me Hourcabie, demande au juge des référés, statuant en application des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) d'annuler les délibérations du 13 avril 2023 par lesquelles le conseil municipal de Levallois-Perret a d'une part décidé de mettre en œuvre une procédure d'attribution d'une délégation de service public provisoire de gré à gré sans publicité ni mise en concurrence pour la mise en fourrière et le gardiennage de véhicules automobiles et d'autre part autorisé la maire à attribuer cette délégation à la société nouvelle centrale dépannage remorquage (SNCDR) ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Levallois-Perret la somme de 5 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la commune a méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence qui, s'agissant des concessions, découlent des articles L. 3, L. 3122-1 et L. 3124-5 du code de la commande publique et s'imposent dès le premier euro ;

- le délai d'un mois dont elle disposait lui permettait de mettre en œuvre une procédure de passation allégée, conformément aux articles R. 3126-1 et suivants du code de la commande publique ;

- aucune des conditions permettant de se dispenser de toute publicité ou mise en concurrence, prévues par le 3° de l'article R. 3121-6 du même code, n'est remplie.

Par des mémoires en défense enregistrés les 26 et 28 avril 2023, la commune de Levallois-Perret, représentée par Me Bodin, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Paris Fast Depann SAS au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés dès lors que la procédure en cause a été conduite, au titre de l'urgence résultant de l'impossibilité de continuer à faire assurer le service concédé, sur le fondement du 3° de l'article R. 3121-6 du code de la commande publique.

Les mémoires et les pièces ont été communiqués à la société nouvelle centrale dépannage remorquage (SNCDR), qui n'a pas produit d'observations en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. Raimbault, premier conseiller, pour statuer sur les litiges mentionnés à l'article L. 551-1 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique du 27 avril 2023 à 13h30.

Ont été entendus au cours de l'audience publique, tenue en présence de Mme Soulier, greffière d'audience :

- le rapport de M. Raimbault, juge des référés,

- les observations de Me Gauthier, substituant Me Hourcabie, représentant la société Paris Fast Depann SAS,

- et les observations de Me Bodin, représentant la commune de Levallois-Perret.

En application de l'article R. 522-8 du code de justice administrative, la clôture de l'instruction a été reportée au 28 avril 2023 à 16h.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Levallois-Perret a confié à la société Inter-dépannage une délégation de service public portant sur la mise en fourrière et le gardiennage des véhicules stationnés illégalement sur son territoire, qui expire le 31 décembre 2023. Le 7 décembre 2022, son conseil municipal a adopté une délibération autorisant le lancement d'une procédure d'attribution d'une nouvelle concession à compter du 1er janvier 2024, selon la procédure dite " allégée " qui résulte des articles R. 3126-1 et suivants du code de la commande publique. Un avis d'appel public à concurrence a été publié le 27 janvier 2023, prévoyant une date de remise des offres le 20 mars 2023, et la société Paris Fast Depann SAS a candidaté. Toutefois, la captation de la séance du conseil municipal du 13 avril 2023 lui a révélé l'adoption de deux délibérations par lesquels celui-ci avait d'une part décidé de mettre en œuvre une procédure d'attribution d'une délégation de service public provisoire de gré à gré sans publicité ni mise en concurrence pour pallier la résiliation à venir de la convention en cours et d'autre part autorisé la maire à attribuer cette délégation à la société nouvelle centrale dépannage remorquage (SNCDR) jusqu'à la conclusion de la concession à laquelle avait candidaté la société Paris Fast Depann SAS. Par la présente requête, cette dernière doit être regardée comme demandant au juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, l'annulation de ces deux délibérations ainsi que des décisions prises sur leur fondement.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, ou la délégation d'un service public. () Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. ". Le I de l'article L. 551-2 du même code dispose que : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. ".

3. D'autre part, aux termes de l'article R. 3121-6 du code de la commande publique : " Les contrats de concession peuvent être conclus sans publicité ni mise en concurrence préalables dans les cas suivants : () 3° En cas d'urgence résultant de l'impossibilité dans laquelle se trouve l'autorité concédante publique, indépendamment de sa volonté, de continuer à faire assurer le service concédé par son cocontractant ou de l'assurer elle-même, à la condition, d'une part, que la continuité du service soit justifiée par un motif d'intérêt général et, d'autre part, que la durée de ce nouveau contrat de concession n'excède pas celle requise pour mettre en œuvre une procédure de passation. ".

4. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la commune de Levallois-Perret a décidé d'initier une procédure de passation et de conclure un contrat de concession avec la société SNCDR au motif que le représentant légal de l'attributaire de la concession de mise en fourrière et de gardiennage des véhicules en cours s'est vu retirer son agrément de gardien de fourrière par un arrêté préfectoral du 28 mars 2023, notifié le 3 avril et prenant effet le 3 mai suivant. La commune ne pouvait mettre fin à la concession avant d'avoir connaissance de cette décision, nonobstant l'existence préalable d'articles de presse mentionnant la mise en examen du gérant de l'attributaire. Enfin, eu égard aux règles encadrant les procédures de passation dite " allégée " et, lorsqu'il est recouru à une telle procédure, de consultation du conseil municipal qui résultent notamment de l'article L. 1411-7 du code général des collectivités territoriales, un tel recours ne pouvait être envisagé sans disposer d'un délai de plusieurs mois. Il en résulte que la concession ne pourra plus être mise en œuvre après le 3 mai 2023, sans que la commune ne soit en mesure d'assurer elle-même ce service qui nécessite une infrastructure et une organisation conséquentes. Ce motif constitue une urgence résultant de l'impossibilité dans laquelle se trouve l'autorité concédante publique, indépendamment de sa volonté, de continuer à faire assurer le service concédé par son cocontractant ou de l'assurer elle-même.

5. En deuxième lieu, eu égard à la densité et à la morphologie du territoire de la commune de Levallois-Perret et de son réseau viaire, la méconnaissance des règles de stationnement sur voirie justifiant l'enlèvement d'un véhicule, ne serait-ce qu'une dizaine de fois par jour, est susceptible de pénaliser rapidement et gravement la fluidité et la sécurité du trafic routier. Dès lors, la continuité du service public de mise en fourrière et de gardiennage des véhicules, nonobstant son caractère facultatif, est justifiée par un motif d'intérêt général.

6. En troisième lieu, il résulte des délibérations contestées que la délégation de service public litigieuse ne durera que jusqu'à la date d'entrée en vigueur de la concession dévolue après publicité et mise en concurrence, sur le fondement des offres remises le 20 mars 2023, dont l'avis d'appel public à concurrence prévoit un commencement d'exécution le 1er janvier 2024. Ainsi, la durée de la concession en cause n'excède pas celle requise pour mettre en œuvre une procédure de passation.

7. Il résulte des énonciations qui précèdent qu'il est loisible à la commune de Levallois-Perret de conclure une concession provisoire relative à la mise en fourrière et au gardiennage des véhicules sans publicité ni mise en concurrence préalable, sur le fondement des dispositions précitées de l'article R. 3121-6 du code de la commande publique. Par suite, l'unique moyen tiré de la méconnaissance des obligations de publicité et de mise en concurrence qui découlent, s'agissant des concessions, des articles L. 3, L. 3122-1 et L. 3124-5 du même code est inopérant et doit être écarté comme tel. Il en résulte que les conclusions de la société Paris Fast Depann SAS tendant à l'annulation des délibérations du 13 avril 2023 ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais de l'instance :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise sur leur fondement à la charge de la commune de Levallois-Perret, qui n'est pas la partie perdante à la présente instance. En revanche il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à ce titre une somme de 1 500 euros à la charge de la société Paris Fast Depann SAS, à verser à la commune.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la société Paris Fast Depann SAS est rejetée.

Article 2 : La société Paris Fast Depann SAS versera la somme de 1 500 euros à la commune de Levallois-Perret au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Paris Fast Depann SAS, à la commune de Levallois-Perret et à la société nouvelle centrale dépannage remorquage (SNCDR).

Fait à Cergy, le 3 mai 2023

Le juge des référés,

Signé

G. Raimbault

La République mande et ordonne au préfet des Hauts-de-Seine en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.0