TA de Mayotte, 12 décembre 2023, n° 2304456


REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

 

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 22 novembre 2023, l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Atelier mahorais d'architecture (AMA), représenté par Me Dugoujon, demande au juge des référés, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) d'annuler la décision du 20 novembre 2023 par laquelle le maire de la commune de M'Tsamboro a écarté la candidature du groupement dont la société AMA est le mandataire dans le cadre de la procédure de concours restreint de maîtrise d'œuvre portant sur la restructuration de l'école primaire située à M'Tsamboro 2 ;

2°) d'enjoindre à cette commune de reprendre la procédure au stade de l'analyse des candidatures ;

3°) de mettre à la charge de cette commune la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le pouvoir adjudicateur a constaté à tort que le groupement ne disposait pas de la compétence " Restauration collective ", après avoir au cours de la phase de consultation répondu aux éventuels candidats que, bien que cette compétence soit exigée selon l'article 6.5.2 du règlement de la consultation, elle n'était pas nécessaire ;

- la lésion subie par le groupement est plus qu'évidente.

La procédure a été communiquée à la commune de M'Tsamboro qui n'a pas produit de mémoire en défense

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code des marchés publics ;

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Le président du Tribunal a désigné M. Bauzerand, vice-président, en qualité de juge des référés.

Le rapport de M. Bauzerand, juge des référés a été entendu au cours de l'audience publique du 7 décembre 2023 à 10 heures, tenue en présence de Mme Thoral, greffière d'audience,

Les parties n'éraient ni présentes ni représentées.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. ". L'article L. 551-2 du même code dispose que : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations " ;

2. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

3. Par avis d'appel à la concurrence publié le 24 mars 2023 au Bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP), la commune de M'Tsamboro a lancé une consultation en vue de la passation d'une procédure de concours restreint de maîtrise d'œuvre sur esquisse portant sur la restructuration du site d'une école primaire située à M'Tsamboro. Par un courrier en date du 20 novembre 2023, la commune de M'Tsamboro a informé la société Atelier mahorais d'architecture (AMA) en tant que mandataire de groupement que sa candidature avait été déclarée irrecevable au motif unique qu'elle n'avait pas la compétence " Restauration collective " exigée à l'article 6.5.2 du règlement de consultation sur les conditions de participation en matière de capacités techniques et professionnelle. Par la présente requête, la société AMA demande au juge des référés précontractuels l'annulation de cette décision.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

4. Aux termes de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées ". Aux termes de l'article L. 2152-2 du même code : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ". Selon l'article R. 2152-1 de ce code : " Dans () les procédures d'appel d'offres, les offres irrégulières, inappropriées ou inacceptables sont éliminées. / () ".

5. Aux termes de l'article 6 du règlement du concours, intitulé " Conditions de participation ", relatif au marché de maîtrise d'œuvre consécutif au concours restreint de maîtrise d'œuvre sur esquisse portant sur la restructuration du site d'une école primaire située à M'Tsamboro 2 : " Le concours s'adresse aux candidats remplissant les conditions de participations définies ci-dessous, en termes d'organisation, de capacités juridique, technique, professionnelle, économique et financière. / () / Article 6.5.2 - Compétences exigées : / Le candidat réunira impérativement les compétences d'architecte, de génie-civil, de VRD, d'environnement, etc., étant précisé en cas de groupement que l'un des membres peut réunir plusieurs compétences. / () / Restauration collective (extension du réfectoire en cours de construction). / () "

6. Il résulte de l'instruction et il n'est pas contesté que, si l'EURL AMA ne possédait pas la compétence " Restauration collective ", en méconnaissance des dispositions du règlement de la consultation ci-dessus rappelées, le pouvoir adjudicateur a expressément écarté cette compétence dans une réponse adressée par courriel en date du 28 avril 2023 à la société requérante estimant que celle-ci n'était pas nécessaire en raison du fait que ladite société était déjà en charge du marché de maîtrise d'œuvre relative à la création du réfectoire de l'école primaire en question qui lui avait été confié par un acte d'engagement signe le 10 octobre 2018. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la décision de rejet de la candidature doit être accueilli.

7. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler la procédure de passation litigieuse à partir de l'examen des offres et la décision de la commune de M'Tsamboro qui a écarté la candidature du groupement conduit par la société AMA.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. Aux termes du I de l'article L. 551-2 du code de justice administrative : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. ".

9. Le juge des référés précontractuels s'est vu conférer par les dispositions précitées de l'article L. 551-2 du code de justice administrative le pouvoir d'adresser des injonctions à l'administration, de suspendre la passation du contrat ou l'exécution de toute décision qui s'y rapporte, d'annuler ces décisions et de supprimer des clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat. Dès lors qu'il est régulièrement saisi, il dispose - sans toutefois pouvoir faire obstacle à la faculté, pour l'auteur du manquement, de renoncer à passer le contrat - de l'intégralité des pouvoirs qui lui sont ainsi conférés pour mettre fin, s'il en constate l'existence, aux manquements de l'administration à ses obligations de publicité et de mise en concurrence. Les manquements retenus, qui se rapportent non seulement à la phase de sélection des offres, mais aussi à la transparence des procédures et au principe d'égalité de traitement impliquent que la procédure ne soit annulée qu'à compter de l'appel d'offres et que le pouvoir adjudicateur reprenne la procédure au stade du lancement d'appel d'offres. Par suite, il y a lieu d'enjoindre à la commune de M'Tsamboro, si elle entend poursuivre son projet, de le reprendre au stade de l'examen des candidatures.

Sur les frais du litige :

10. Il y a lieu, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la commune de M'Tsamboro une somme de 3 000 euros à verser à la société AMA au titre des frais du litige.

ORDONNE :

Article 1er : La procédure de concours restreint de maîtrise d'œuvre sur esquisse portant sur la restructuration du site d'une école primaire située à M'Tsamboro 2 et la décision du 20 novembre 2023 par laquelle le maire de M'Tsamboro a écarté la candidature du groupement dont la société AMA sont annulées.

Article 2 : Il est enjoint à la commune de M'Tsamboro, si elle entend poursuivre la procédure, de la reprendre au stade de l'examen des candidatures.

Article 3 : Il est mis à la charge de la commune de M'Tsamboro la somme de 3 000 euros à verser à la société AMA au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Atelier Mahorais d'Architecture et à la commune de M'Tsamboro

Fait à Mamoudzou, le 12 décembre 2023.

Le juge des référés,

Ch. BAUZERAND

La République mande et ordonne au préfet de Mayotte en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°2304456