TA de Rennes, 21 décembre 2023, n°2101688


REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

 

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 1er avril 2021, la communauté de communes Poher communauté, représentée par Me Lahalle (cabinet d'avocats Lexcap), demande au tribunal :

1°) de constater la responsabilité de la société Datel quant aux préjudices résultant des désordres affectant le toboggan du centre aqualudique du Poher et de fixer la créance de Poher communauté dans la liquidation judiciaire de la société Datel à la somme de 197 500 euros en réparation de ces désordres ;

2°) de mettre à la charge de Me Ripert, liquidateur judiciaire de la société Datel, les entiers dépens, comprenant les frais et honoraires de l'expertise ;

3°) de mettre une somme de 2 000 euros à la charge de Me Ripert, liquidateur judiciaire de la société Datel, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'accident dont a été victime, le 29 juin 2015, un usager du centre aqualudique du Poher à la réception du toboggan Pentagliss est imputable à la société Datel qui a été chargée de la réalisation et de l'installation de cet ouvrage ;

- l'ouvrage litigieux qui ne respecte pas la règlementation en vigueur permettant son accès au public, est impropre à sa destination, ce qui engage la responsabilité de la société Datel sur le fondement des articles 1792 et suivants du code civil ;

- aucune cause exonératoire n'est susceptible de faire obstacle à l'engagement de la responsabilité de la société Datel ;

- le coût de la réparation du toboggan litigieux a été fixé, par l'expert judiciaire, à la somme de 197 500 euros, qu'il conviendra d'assortir de l'intérêt au taux légal.

La procédure a été communiquée à Me Ripert, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Datel, qui, malgré la mise en demeure qui lui a été adressée le 18 octobre 2021, n'a fait valoir aucune observation.

Le 30 novembre 2023, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que le tribunal était susceptible de relever d'office un moyen tiré du caractère inapplicable de la garantie décennale prévue par l'article 1792 du code civil à la société Datel, qui n'a pas la qualité de constructeur.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Thalabard,

- les conclusions de M. Blanchard, rapporteur public,

- et les observations de Me Cazo, représentant Poher Communauté.

Considérant ce qui suit :

1. En 2012, lors des travaux d'extension du centre aqualudique de Poher, implanté sur le territoire de la commune de Carhaix (Finistère), la communauté de communes Poher Communauté a chargé la société Datel, au titre du lot n° 13 de ce marché, de réaliser et d'installer un toboggan aquatique doté de quatre pistes. Après réception du lot n° 13,

le 5 novembre 2013 et mise en service des nouveaux espaces extérieurs du centre aqualudique, un usager, âgé de 14 ans, a été victime, le 29 juin 2015, d'un accident à la réception du toboggan Pentagliss, ayant heurté avec ses pieds la paroi située au bout de la piste de réception. Les parents de cet adolescent ont alors saisi le président du tribunal administratif aux fins de désignation d'un expert chargé d'identifier, notamment, les causes et origines de l'accident. Après la remise par M. D et le Dr C de leurs rapports respectifs, Poher Communauté a saisi le tribunal judiciaire de Quimper afin d'obtenir auprès de la société Allianz IARD, assureur de la société Datel, placée en liquidation judiciaire par un jugement du

23 août 2017, la réparation des désordres affectant le toboggan Pentagliss. Par une ordonnance du 4 décembre 2020, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Quimper a, toutefois, décidé de sursoir dans l'attente d'une décision de la juridiction administrative sur la responsabilité de la société Datel. Par la présente requête, Poher Communauté doit être regardée comme demandant au tribunal d'examiner la responsabilité de la société Datel quant aux préjudices résultant du marché qui lui a été attribué et de fixer à la somme de 197 500 euros le montant des indemnités dues en réparation des désordres affectant le toboggan du centre aqualudique de Poher.

Sur la responsabilité de la société Datel :

2. Aux termes de l'article 1792 du code civil : " Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. / Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère. ". Aux termes de l'article 1792-2 de ce code : " La présomption de responsabilité établie par l'article 1792 s'étend également aux dommages qui affectent la solidité des éléments d'équipement d'un ouvrage, mais seulement lorsque ceux-ci font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert. / Un élément d'équipement est considéré comme formant indissociablement corps avec l'un des ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert lorsque sa dépose, son démontage ou son remplacement ne peut s'effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage. ".

3. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. La responsabilité décennale du constructeur peut être recherchée pour des dommages survenus sur des éléments d'équipement dissociables de l'ouvrage s'ils rendent

celui-ci impropre à sa destination, y compris en ce qu'ils compromettent la sécurité des usagers. La circonstance que les désordres affectant un élément d'équipement fassent obstacle au fonctionnement normal de cet élément n'est pas de nature à engager la responsabilité décennale du constructeur si ces désordres ne rendent pas l'ouvrage lui-même impropre à sa destination.

4. Poher Communauté fait valoir, en se fondant sur le rapport d'expertise, que le toboggan multipistes installé par la société Datel n'est pas conforme aux prescriptions règlementaires en vigueur, compte tenu notamment d'une pente supérieure au 25 % maximum imposé par la norme européenne NF EN 1069, du débit d'eau insuffisant, notamment dans les zones de freinage, au regard des prescriptions concernant ce produit et de l'insuffisance du niveau d'eau en raison des éclaboussures, le niveau de compensation, à savoir le temps pour remplir de nouveau la zone de freinage, étant trop long. Poher communauté relève que ces vices de conception mettent en danger les utilisateurs, ce qui rend l'ouvrage impropre à sa destination.

5. D'une part, il résulte de l'instruction que lors des travaux portant sur les espaces extérieurs du centre aqualudique de Poher, la société Datel a été chargée de réaliser et d'installer un toboggan multipistes. Selon le rapport d'expertise, et en particulier les photos qu'il contient, cet équipement ludique comporte quatre pistes avec glissières horizontales de réception en arrivée de toboggan, l'accès à la plateforme de départ se faisant par un escalier hélicoïdal métallique. Il est précisé que " l'ensemble de cet équipement prend place en limite de plage aux abords immédiats de la piscine principale extérieure du complexe aquatique ". Le toboggan étant une installation distincte, implantée à proximité de la piscine extérieure, il ne saurait être regardé comme un élément d'équipement indissociable du complexe aquatique. La seule circonstance, ainsi que le mentionne le rapport d'expertise, que les pistes du toboggan soient lubrifiées, afin de faciliter la glissade, au moyen de l'eau pompée dans le bac tampon de la piscine principale attenante, est sans incidence sur son caractère d'équipement dissociable. Ainsi, il ne résulte pas de l'instruction que les désordres affectant ce toboggan multipistes font obstacle au fonctionnement normal des bassins aquatiques et rendraient, en conséquence, le centre aqualudique de Poher, y compris ses espaces extérieurs, impropre à sa destination.

6. D'autre part, il ne résulte pas davantage de l'instruction, et notamment des principales pièces du contrat conclu avec la société Datel, que le toboggan litigieux, compte tenu de son emprise au sol ou des travaux de montage requis pour son installation, à savoir une fixation au sol par simple chevillage ou scellement chimique, présenterait un caractère immobilier et pourrait, en lui-même, être qualifié d'ouvrage. L'expert constate, d'ailleurs, que les travaux nécessaires pour rendre cette installation conforme à la règlementation en vigueur ne peuvent que consister à remplacer l'actuel toboggan par un autre toboggan aquatique. Dans ces conditions, la société Datel ne peut être regardée comme ayant la qualité de constructeur d'un ouvrage au sens des principes dont s'inspire l'article 1792 du code civil. Ainsi, en l'état de l'instruction, la responsabilité de la société Datel ne saurait être engagée s'agissant des désordres affectant le toboggan du centre aqualudique de Poher sur le fondement des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs.

7. Il résulte de ce qui précède que les conclusions présentées par Poher Communauté tendant à engager la responsabilité de la société Datel sur le seul fondement de la garantie décennale des constructeurs doivent être rejetées.

Sur les dépens :

8. Aux termes des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de la partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. () ".

9. Par une ordonnance nos 1704448, 1802570 et 1802570 du 2 juin 2020, le président du tribunal administratif de Rennes a liquidé et taxé les frais et honoraires de l'expertise confiée à un collège d'experts, composé du Dr C et de M. D, à la somme de 1 820 euros TTC concernant l'expertise médicale, qui a été mise à la charge de M. et Mme A B et à la somme de 8 092,11 euros concernant l'expertise technique, qui a été mise à la charge de Poher Communauté. Cette dernière étant la partie perdante dans la présente instance, elle devra supporter la charge définitive des dépens ainsi mis à sa charge. Ses conclusions tendant à ce que les frais de l'expertise menée par M. D soient mis à la charge de Me Ripert, en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Datel, ne peuvent donc qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Me Ripert, en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Datel, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que l'établissement public de coopération intercommunale requérant demande au titre des dépenses exposées et non comprises dans les dépens. Les conclusions présentées à ce titre par Poher Communauté doivent, dès lors, être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Poher Communauté est rejetée.

Article 2 : Les frais de l'expertise technique réalisée par M. D sont mis à la charge définitive de Poher Communauté.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à Me Christian Ripert, en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Datel et à la communauté de communes Poher Communauté.

Délibéré après l'audience du 7 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Grenier, présidente,

Mme Thalabard, première conseillère,

Mme Pellerin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2023.

La rapporteure,

Signé

M. Thalabard

La présidente,

Signé

C. GrenierLa greffière,

Signé

I. Le Vaillant

La République mande et ordonne au préfet du Finistère en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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