TA de Toulouse, 09 novembre 2023, n° 2006643

 

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

 

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 15 décembre 2020, et un mémoire enregistré le 15 octobre 2023 qui n'a pas été communiqué, M. D F, Mme A C et Mme B E, ayant désigné M. F comme leur représentant unique en application de l'article R. 411-5 du code de justice administrative, demandent au tribunal :

1°) d'annuler l'avenant n°1 au contrat de délégation des services publics de l'eau signé le 17 janvier 2019 entre Toulouse métropole et la société Setom, créée par la société Véolia eau - Compagnie générale des eaux pour l'exécution de ce contrat ;

2°) d'annuler tous les actes subséquents, y compris la délibération du conseil de Toulouse métropole n° DEL-20-0401 en date du 15 octobre 2020 autorisant la signature de l'avenant n°1.

Ils soutiennent que :

- ils ont intérêt à agir en tant que conseiller métropolitain ;

- la délibération n° DEL-20-0401 est entachée d'un vice de forme, en raison du défaut d'information des conseillers métropolitains ;

- l'avenant est postérieur de quelques mois à la signature du contrat alors que les signataires ne justifient pas de circonstances nouvelles ;

- par l'avenant contesté, Toulouse métropole consent des libéralités à la société Setom, pour un montant de 3 millions d'euros, impliquant au total pour la collectivité des charges supplémentaires pour un montant de 8 millions d'euros ;

- il est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 octobre 2021, la société Setom, représentée par Me Frêche et Me Dourlens, demande au tribunal :

1°) à titre principal de rejeter la requête comme irrecevable ;

2°) à titre subsidiaire, de la rejeter comme mal-fondée ;

3°) de mettre à la charge solidaire des requérants la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- les requérants ne produisent pas une version signée de l'avenant n°1 au contrat, en méconnaissance de l'article R. 412-1 du code de justice administrative ;

- les conclusions dirigées contre tous les actes subséquents sont irrecevables et mal fondées ;

- les requérants ont eu communication du projet de la délibération ainsi que du projet d'avenant l'accompagnant en amont de la réunion ; il ressort des articles 100 et 111.3 du contrat, ainsi que de son annexe 22, que les redevances s'ajoutent au tarif de l'eau ; le droit à l'information des élus a également pu être satisfait par la réunion de la commission eau et assainissement qui a rendu un avis favorable sur le projet de délibération le 17 septembre 2020, et par celle de la commission des concessions de service qui a fait de même le 28 septembre 2020 ; les requérants n'allèguent pas avoir sollicité des précisions ou des explications au moment de la délibération ;

- à la supposer établie, cette irrégularité serait régularisable et ne justifierait pas l'annulation de l'avenant en litige ;

- les requérants n'apportent aucun élément d'explication pour justifier de la prétendue illégalité des modifications portant sur les abonnements ;

- l'avenant n'apporte pas de modifications substantielles au contrat ; il ne fait que prendre en compte les pertes qu'elle subit en raison de circonstance non prévues initialement ; il n'y a pas de libéralité de la part de Toulouse métropole puisque l'avenant prévoit seulement de compenser les pertes subies en raison des autres modifications prévues par ce même avenant, afin de rétablir l'équilibre économique du contrat ;

- à titre subsidiaire, l'annulation de l'avenant porterait une atteinte excessive à l'intérêt général, puisque persisterait une inadéquation entre les consommations réelles et celles mesurées, au préjudice des usagers, ainsi qu'à l'intérêt des co-contractants puisque Toulouse métropole serait tenu de compenser les nouvelles sujétions tarifaires imposées.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 novembre 2021, ainsi qu'une pièce enregistrée le 7 septembre 2023 en application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, Toulouse métropole, représentée par Me Neveu, demande au tribunal :

1°) à titre principal de rejeter la requête comme irrecevable ;

2°) à titre subsidiaire, de la rejeter comme mal-fondée ;

3°) de mettre à la charge des requérants la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- les requérants ne produisent pas une version signée de l'avenant n°1 au contrat, en méconnaissance de l'article R. 412-1 du code de justice administrative ;

- le projet de délibération et le projet d'avenant ont été transmis au préalable aux conseillers métropolitains ; les deux commissions compétentes ont également rendu un avis favorable sur ce projet ; les articles 6 et 7 de l'avenant exposent les difficultés rencontrées et les conditions de leur régularisation ;

- les modifications prévues par l'avenant génèrent des pertes potentielles de recettes pour le délégataire ; les sommes reversées au délégataire consistent seulement dans la compensation des sujétions de service public ; ces compensations s'effectuent au moyen du mécanisme de reversement de la part métropolitaine, contrôlé par un compte de suivi analytique, et ne constituent donc pas une libéralité de la personne publique ;

- à supposer que l'information des élus ait été méconnue, il s'agit d'une irrégularité régularisable qui n'emporte pas l'annulation de l'avenant, notamment en l'absence de manœuvre frauduleuse visant à affecter le consentement des élus.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Hecht,

- les conclusions de M. Déderen, rapporteur public,

- et les observations de Mme E, représentant M. F, de Me Dourlens, représentant la société Setom, et de Me Neveu, représentant Toulouse métropole.

Une note en délibéré présentée pour les requérants a été enregistrée le 26 octobre 2023.

Considérant ce qui suit :

1. Le 17 janvier 2019, Toulouse métropole et Véolia eau - Compagnie générale des eaux ont signé un contrat de délégation de service public pour la gestion de l'eau. Ce contrat a prévu que la société Setom se substituait à la société Véolia. Le 15 octobre 2020, le conseil communautaire de Toulouse métropole a approuvé la délibération n°DEL-20-0401 pour modifier le contrat susmentionné par un avenant n°1. Par la présente requête, les requérants demandent l'annulation de cet avenant, de cette délibération, ainsi que de tous les actes subséquents.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales : " Dans les communes de 3 500 habitants et plus, une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du conseil municipal. / Si la délibération concerne un contrat de service public, le projet de contrat ou de marché accompagné de l'ensemble des pièces peut, à sa demande, être consulté à la mairie par tout conseiller municipal dans les conditions fixées par le règlement intérieur. / Le délai de convocation est fixé à cinq jours francs. En cas d'urgence, le délai peut être abrégé par le maire sans pouvoir être toutefois inférieur à un jour franc. / Le maire en rend compte dès l'ouverture de la séance au conseil municipal qui se prononce sur l'urgence et peut décider le renvoi de la discussion, pour tout ou partie, à l'ordre du jour d'une séance ultérieure. () " Aux termes de l'article L. 2121-13 du même code : " Tout membre du conseil municipal a le droit, dans le cadre de sa fonction, d'être informé des affaires de la commune qui font l'objet d'une délibération. " Aux termes de son article L. 5211-1 : " Les dispositions du chapitre Ier du titre II du livre Ier de la deuxième partie relatives au fonctionnement du conseil municipal sont applicables au fonctionnement de l'organe délibérant des établissements publics de coopération intercommunale, en tant qu'elles ne sont pas contraires aux dispositions du présent titre. "

3. Les requérants soutiennent que le projet de délibération en litige indique de manière erronée que le contrat initial prévoyait que le prix de vente de l'eau par la société Setom serait fixé à 0,32 € / m³, hors redevances. Toutefois, l'article 100 de ce contrat stipule que : " Le tarif du service public de l'eau potable comporte deux parties : / une part délégataire représentant sa rémunération en contrepartie des obligations contractuelles qui lui incombent au titre du présent contrat ; / une part métropolitaine destinée à la collectivité. / A ce tarif général du service s'ajoutent les taxes et redevances perçues pour le compte des organismes compétents () " L'article 33.1.2 de ce même contrat prévoit que : " Cas particulier de la vente d'eau au périmètre " Nord " () La part Délégataire du tarif de vente est fixée à 0,32 euros du mètre cube d'eau vendu () ". Ainsi, ce n'est pas de manière erronée, et encore moins fallacieuse, que le projet de délibération en litige a indiqué que le contrat initial prévoyait que le prix de vente de l'eau serait fixé à 0,32 € / m³, hors redevances. Par suite, le moyen tiré du défaut d'information des conseillers métropolitains manque en fait.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 3135-1 du code de la commande publique : " Un contrat de concession peut être modifié sans nouvelle procédure de mise en concurrence, dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat, lorsque : () 3° Les modifications sont rendues nécessaires par des circonstances imprévues ; () 5° Les modifications ne sont pas substantielles ; () ". Aux termes de l'article R. 3135-7 du même code : " Le contrat de concession peut être modifié sans nouvelle procédure de mise en concurrence lorsque les modifications, quel qu'en soit le montant, ne sont pas substantielles. / Pour l'application de l'article L. 3135-1, une modification est considérée comme substantielle, notamment, lorsqu'au moins une des conditions suivantes est remplie : / 1° Elle introduit des conditions qui, si elles avaient figuré dans la procédure de passation initiale, auraient attiré davantage de participants ou permis l'admission de candidats ou soumissionnaires autres que ceux initialement admis ou le choix d'une offre autre que celle initialement retenue ; / 2° Elle modifie l'équilibre économique de la concession en faveur du concessionnaire d'une manière qui n'était pas prévue dans le contrat de concession initial ; / 3° Elle étend considérablement le champ d'application du contrat de concession ; / 4° Elle a pour effet de remplacer le concessionnaire auquel l'autorité concédante a initialement attribué le contrat de concession par un nouveau concessionnaire, en dehors des hypothèses visées à l'article R. 3135-6. "

5. Les requérants soutiennent que l'avenant en litige a été conclu quelques mois après la signature du contrat initial, en l'absence de circonstances nouvelles, et qu'il ajoute des charges nouvelles pour Toulouse métropole, qui aurait ainsi consenti des libéralités de manière illégale. Il résulte des stipulations de l'avenant en litige qu'il a pour objet, d'une part, de créer un tarif spécifique pour les abonnements de secours incendie et d'anticiper la mise en adéquation des diamètres des compteurs abonnés. L'article 111.1 du contrat, dans sa rédaction issue de l'article 7.2 de l'avenant, stipule que la part reversée par la société Setom à Toulouse métropole sera minorée, d'abord, de la perte de recettes pour cette société résultant de la mise en adéquation anticipée des diamètres de compteur pour les abonnés, prévue par l'article 100.1.1.1 du contrat (article 4 de l'avenant), et ensuite de sa perte de recettes résultant de la mise en place d'une part fixe " secours contre l'incendie ", prévue à l'article 100.1.1.2 du contrat (article 4 de l'avenant). D'autre part, cet avenant prévoit que Toulouse métropole compense le montant des redevances " étiage " et " préservation de la ressource en eau " s'agissant de la vente d'eau par la société Setom au périmètre " Nord " et aux communes associées mentionnées à l'article 6 de l'avenant. Toulouse métropole et la société Setom font valoir que cette modification est justifiée par le fait que le contrat qu'elles avaient conclu prévoyait, ainsi qu'il a été dit au point 3, que le prix de vente serait fixé à 0,32 € / m³, à l'exclusion de ces deux redevances, tandis que la convention de fourniture d'eau conclue entre Toulouse métropole et le Syndicat intercommunal de l'eau des cantons centre et nord Toulouse (SIECN), prévue par la délibération n°DEL-18-1147 du 13 décembre 2018, a fixé le prix de vente de l'eau par Setom sur le périmètre couvert par cette convention à 0,32 € / m³, en incluant les redevances dans ce prix. A ce titre, la circonstance que la délibération du 13 décembre 2018 ait précédé la signature du contrat du 17 janvier 2019, et donc que les modifications prévues par l'avenant n'aient pas été rendues nécessaires par des circonstances nouvelles, est sans incidence sur le fait que le contrat initial fixait bien un prix de vente hors redevances à 0,32 € / m³, sur lequel reposait l'équilibre économique du contrat. En outre, il résulte de l'article 112.11 du contrat (article 7.1 de l'avenant) que les compensations versées par Toulouse métropole sont versées à due proportion des prestations précitées et de l'adaptation tarifaire sur le périmètre " Nord " et les communes associées, lesquelles sont retracées dans un compte analytique. Ainsi, les modifications prévues par l'avenant n'ont pas modifié l'équilibre économique de la concession en faveur du concessionnaire d'une manière qui n'était pas prévue dans le contrat de concession initial. Par suite, Toulouse métropole et la société Setom ont pu conclure l'avenant en litige, lequel n'apporte pas au contrat de modifications substantielles au sens et pour l'application du 5° de l'article L. 3135-1 du code de la commande publique et de l'article R. 3135-7 du même code, sans commettre d'erreur de droit ni d'erreur manifeste d'appréciation. Pour les mêmes motifs, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que Toulouse métropole aurait consenti à la société Setom des libéralités par l'avenant en litige.

6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées en défense, que les conclusions de M. F et autres tendant à l'annulation de l'avenant n°1 au contrat de délégation des services publics de l'eau signé le 17 janvier 2019 entre Toulouse métropole et la société Setom, ainsi que de la délibération du conseil de Toulouse métropole n° DEL-20-0401 du 15 octobre 2020, autorisant sa signature, doivent être rejetées.

Sur les frais d'instance :

7. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des requérants, les sommes demandées par Toulouse métropole et par la société Setom au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. F, Mme C et Mme E est rejetée.

Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. D F, à Mme A C, à Mme B E, à Toulouse métropole et à la société Setom.

Une copie sera adressée, pour information, au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 19 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Carotenuto, présidente,

M. Hecht, premier conseiller,

Mme Pétri, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 novembre 2023.

Le rapporteur,

S. HECHT

La présidente,

S. CAROTENUTO La greffière,

F. LE GUIELLAN

La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Garonne, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme :

La greffière en chef,