TA Dijon, 21/04/2023, n°2202233

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 24 août 2022, la commune de Venizy, représentée par ADAES Avocats, demande au juge des référés, statuant sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative :

1°) de condamner le cabinet d'études Marc Merlin à lui verser une provision de 57 601,82 euros ;

2°) de mettre à la charge du cabinet d'études Marc Merlin une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune de Venizy soutient que :

- la responsabilité du cabinet d'études Marc Merlin est engagée, tant sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs que sur un fondement contractuel, au titre des désordres constatés sur le réseau d'assainissement ;

- elle a droit, de manière non sérieusement contestable, à une somme de 57 601,82 euros correspondant à 70% de l'évaluation du coût de construction d'une station de traitement du gaz H2S qui est nécessaire pour mettre fin aux désordres.

Le 13 mars 2023, le juge des référés a mis en demeure le cabinet d'études Marc Merlin de produire ses observations dans un délai de quinze jours en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative.

La clôture de l'instruction a été fixée au 5 avril 2023 par une ordonnance du 13 mars 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. Boissy, vice-président, pour statuer sur les demandes de référé en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. En 2010, la commune de Venizy a décidé d'engager des travaux d'assainissement collectif sur des portions de son territoire, dans les hameaux des Cuchots et de Vigny, en vue de créer une station d'épuration, et en a confié la maîtrise d'œuvre au cabinet Merlin. Un marché " travaux de construction de la future station d'épuration et de création des réseaux d'assainissement associés " a ensuite été conclu, en décembre 2013, avec la société Saur pour le lot n°1, portant sur la construction de la station, et avec un groupement momentané d'entreprises, constitué des sociétés Rougeot travaux publics et Desertot, pour le lot n° 2 de ce marché, relatif à la création des réseaux.

2. A la suite des études de faisabilité, il est apparu qu'il était possible de retenir une solution économiquement moins onéreuse en supprimant la construction de la station d'épuration et en raccordant les hameaux de Venizy jusqu'au système d'assainissement de la commune de Saint-Florentin, dont la station d'épuration était en capacité de recevoir et de traiter les effluents provenant de la commune de Venizy. Cette dernière a alors décidé d'abandonner l'exécution du lot n° 1 et de modifier l'exécution du lot n°2. Un marché complémentaire a été conclu à cet effet avec le groupement en février 2015 tandis que le marché de maîtrise d'œuvre a pour sa part été revu et corrigé en mai 2015. Dans le cadre de cette modification du programme des travaux, la commune de Saint-Florentin, la commune de Venizy et la société Veolia -à qui la commune de Saint-Florentin avait antérieurement délégué la gestion de ses installations d'assainissement collectif- ont parallèlement conclu une convention tripartite, le 28 février 2015, ayant pour objet de fixer les conséquences juridiques, techniques et financières découlant de ces nouveaux ouvrages et du déversement des eaux usées de Venizy dans le réseau de Saint-Florentin.

3. La réception du lot n° 2 a été prononcée le 1er avril 2016 avec des réserves qui ont été levées le 31 janvier 2017. Depuis cette date, le réseau d'assainissement de la commune de Venizy est raccordé à la station d'épuration de Saint-Florentin et ses effluents transitent par un poste de relevage dont le refoulement est raccordé à un réseau unitaire situé rue du 11 novembre, sur le territoire de Saint-Florentin. Les riverains de cette rue se plaignant régulièrement depuis lors d'odeurs d'hydrogène sulfuré, la commune de Saint-Florentin a fait réaliser un diagnostic, en février 2021, concluant à l'existence d'une dégradation du réseau d'eaux usées résultant d'une présence anormale de sulfures d'hydrogène. Estimant que les travaux conduits par la commune de Venizy étaient à l'origine de ces désordres, le maire de Saint-Florentin a alors demandé au maire de Venizy, le 28 juin 2021, de remédier à ces dysfonctionnements. La commune de Venizy, après avoir vainement demandé au cabinet Merlin de régler cette situation, a demandé au tribunal administratif de Dijon d'ordonner une expertise sur le sujet. Par une ordonnance n° 2102346 du 29 novembre 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Dijon a diligenté cette expertise et désigné un expert qui a remis son rapport le 12 mars 2022.

4. La commune de Venizy demande au juge des référés, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner le cabinet d'études Marc Merlin à lui verser, à titre de provision, une somme de 57 601,82 euros correspondant à une partie des travaux nécessaires à la réfection des désordres constatés sur le réseau d'assainissement.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative :

5. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable () ".

6. Pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui parait revêtir un caractère de certitude suffisant.

En ce qui concerne le la responsabilité décennale du cabinet Merlin :

7. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que, sauf cas de force majeure ou de faute du maître de l'ouvrage, les constructeurs sont responsables de plein droit pendant le délai d'épreuve de dix ans des dommages qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs, le rendent impropre à sa destination dès lors que les désordres en cause n'étaient ni apparents ni prévisibles lors de la réception de cet ouvrage et même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans.

8. D'une part, il résulte de l'instruction, et en particulier du rapport d'expertise, que les structures en béton du réseau d'assainissement ont été dégradées en raison de l'action corrosive de l'hydrogène sulfuré (H2S) et que ces désordres sont de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage et sont ainsi susceptibles d'engager la responsabilité décennale des constructeurs.

9. D'autre part, il résulte de l'instruction, et en particulier de l'analyse du cahier des clauses techniques particulières du marché de travaux publics établi par le cabinet Merlin et du rapport de l'expert que, alors que les documents contractuels avaient clairement prescrits la mise en place d'un traitement contre l'H2S sur des postes de refoulement et sur d'autres dispositifs techniques, le maître d'œuvre n'a pas exigé que ces traitements soient installés lors de la réalisation du marché de travaux et que, lors de la réception des travaux, il n'a pas proposé au maître d'ouvrage d'émettre des réserves sur ce point.

10. La commune de Venizy est dès lors fondée à soutenir que les désordres en litige, résultant de l'absence d'un dispositif de traitement de l'H2S, sont imputables au maître d'œuvre et à demander que sa responsabilité soit engagée sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs.

En ce qui concerne la réparation des préjudices :

11. En premier lieu, la commune de Venizy expose que, afin de mettre fin aux désordres constatés et de rendre ainsi l'ouvrage conforme à ses caractéristiques contractuelles, elle doit installer une station de traitement du gaz H2S dont le coût total est évalué à 82 288,32 euros TTC en produisant à cet effet, d'une part, une convention d'honoraires, d'un montant de 6 000 euros TTC, relative à une mission de maîtrise d'œuvre conclue avec la SARL Geoconseil le 16 mars 2022 et, d'autre part, un devis, d'un montant de 76 288,32 euros TTC, établi le 3 mai 2022 par la société CIVB pour la réalisation de cette station et comportant un ensemble d'éléments techniques et financiers justifiant du coût de cette installation.

12. En second lieu, aux termes de l'article R. 612-6 du code de justice administrative : " Si, malgré une mise en demeure, la partie défenderesse n'a produit aucun mémoire, elle est réputée avoir acquiescé aux faits exposés dans les mémoires du requérant ". Si, lorsque le défendeur n'a produit aucun mémoire, le juge administratif n'est pas tenu de procéder à une telle mise en demeure avant de statuer, il doit, s'il y procède, en tirer toutes les conséquences de droit et il lui appartient seulement, lorsque les dispositions sont applicables, de vérifier que l'inexactitude des faits exposés dans les mémoires du requérant ne ressort d'aucune pièce du dossier.

13. Le cabinet Merlin, qui a été mis en demeure de produire en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, n'a transmis aucun mémoire en défense. Le défendeur doit dès lors être regardé comme ayant acquiescé aux faits, exposés par la commune requérante dans ses écritures et rappelées au point 11, et dont l'inexactitude ne ressort pas des autres pièces du dossier, relatifs au coût de la station de traitement du gaz H2S.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la commune requérante est fondée à soutenir que la fraction du montant de la créance qu'elle réclame paraissant revêtir un caractère de certitude suffisant s'élève à 70% de la somme de 82 288,32 euros TTC et à demander la condamnation du cabinet Merlin à lui payer une provision de 57 601,82 euros (82 288,32x70%).

Sur les frais liés au litige :

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du cabinet Merlin une somme de 1 500 euros à verser à la commune de Venizy au titre des frais que celle-ci a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens.

ORDONNE :

Article 1er : Le cabinet d'études Marc Merlin est condamné à verser à la commune de Venizy une provision de 57 601,82 euros.

Article 2 : Le cabinet d'études Marc Merlin versera à la commune de Venizy une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune de Venizy et au cabinet d'études Marc Merlin.

Fait à Dijon le 21 avril 2023.

Le juge des référés,

L. Boissy

La République mande et ordonne au préfet de l'Yonne, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

Le greffier