TA d'Orléans, 02 octobre 2023, n° 2303667

 

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

 

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 7 septembre 2023 et les 26, 27 et 28 septembre 2023, la société Isi Elec, représentée par Me Da Costa, demande à la juge des référés, saisie sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'ordonner, avant dire droit, une mesure d'expertise ou de simple consultation, à ses frais avancés, avec mission pour l'expert de donner notamment son avis sur la position adoptée par la communauté de communes du Val-de-Sully sur la conformité et la complétude des dossiers de candidature à l'attribution du marché de travaux de déploiement d'un système de vidéoprotection sur l'ensemble de son territoire au regard des exigences du dossier d'appel d'offres, sur l'analyse qui a été réalisée sur les aspects techniques des dossiers de candidature et sur la notation qui a été attribuée aux candidats en considération de la conformité et de la complétude des dossiers de candidature, ainsi que sur les aspects techniques des dossiers de candidature ;

2°) à défaut, d'annuler la procédure d'analyse des candidatures et de passation du marché de travaux de déploiement d'un système de vidéoprotection sur l'ensemble du territoire de la communauté de communes du Val-de-Sully et en conséquence la décision de rejet de sa candidature, notifiée par courrier du 26 juillet 2023, et la décision du conseil communautaire du Val-de-Sully en date du 25 juillet 2023 d'attribution du marché à la société Eiffage ;

3°) de mettre à la charge de la communauté de communes du Val-de-Sully la somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- son recours est recevable dès lors que la collectivité n'a pas précisé si le contrat en litige a été ou non signé et qu'elle a indiqué qu' "en sa qualité de candidate évincée et lésée, [elle] est recevable et fondée à agir par voie de référé précontractuel, ou, à défaut, par voie de référé contractuel, s'il s'avérait que le contrat ait déjà été signé, ce qu'elle ignore, afin d'obtenir un contrôle juridictionnel de la procédure d'analyse des candidatures et d'attribution du marché litigieux, la considérant, en l'état des informations portées à sa connaissance, gravement viciée, ce qui la conduit à demander l'annulation des décisions de rejet des candidatures évincées et d'attribution du marché litigieux ; le cas échéant, une telle demande de requalification d'un référé précontractuel en référé contractuel est admise ;

- une mesure d'expertise ou de simple consultation apparaît opportune pour l'appréciation de la régularité de la procédure d'attribution du marché litigieux, notamment de la notation attribuée aux candidats qui requiert une analyse des aspects techniques des dossiers de candidature ;

- la réponse apportée par la communauté de communes à sa demande d'explications sur le rejet de sa candidature est insatisfaisante et incomplète ;

- les explications données sont à charge et pour certaines très subjectives, sans comparatif objectif avec les solutions du concurrent retenu s'agissant notamment des Fiches d'implantation des caméras, Zones de couverture, Caméras LPR, Conformité des équipements, Climatisation, Ecrans proposés en HD, Antennes radio, Caméra contextuelle, Onduleurs, PC d'exploitation, Sécurité des installations cyber, Procédures de maintenance, Garantie et Prix ;

- cette réponse révèle que son dossier de candidature n'a pas été pris en considération et analysé dans son intégralité ;

- les élus siégeant au conseil communautaire n'avaient pas la connaissance technique suffisante pour apprécier les mérites techniques des dossiers de candidature et ils ont été conduits à se prononcer ou, pour nombre d'entre eux, à s'abstenir, après avoir, pour certains, exprimé le souhait d'un nouvel examen des dossiers techniques au regard d'une analyse réalisée par un tiers intervenant dont les qualités restent à établir et dont l'impartialité peut être source de doute sérieux ;

- ce vice de procédure a faussé la notation et conduit à retenir une candidature beaucoup plus coûteuse ;

- le pouvoir adjudicateur a dénaturé le contenu de son offre ;

- certains des élus appelés à se prononcer sur l'attribution du marché litigieux ont, selon la presse, témoigné d'un certain malaise concernant l'attribution du marché litigieux.

Par un mémoire, enregistré le 27 septembre 2023, la communauté de communes du Val-de-Sully, représentée par Me Rainaud, conclut au rejet de la requête et demande au tribunal de mettre à la charge de la société requérante la somme de 3 000 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable car la société requérante indique saisir le tribunal sur le fondement du référé précontractuel ou " à défaut, par voie de référé contractuel " car une même requête ne peut contenir des demandes relevant de deux procédures de référé différentes ;

- la requête est infondée car la procédure de passation est régulière et aucun manquement obligations de mise en concurrence et d'examen régulier des propositions des candidats n'a été commis ;

- les moyens tirés de ce que la communauté de communes aurait méconnu ses obligations de publicité, de mise en concurrence et d'analyse régulière des candidatures sont dépourvus de toute précision permettant d'en apprécier le bien-fondé ;

- tous les éléments de réponse ont été apportés à la société requérante et la communauté de communes est allée au-delà de ses obligations en la matière ; les deux courriers comportent le détail des notes obtenues pour chaque critère et sous-critère, tant pour l'offre de la requérante, que pour l'offre de la société attributaire et elle a également détaillé, dans son second courrier, la méthodologie mise en œuvre pour évaluer les offres, en fournissant le barème de notation et en développant les raisons qui ont justifié les notes obtenues par la requérante sur le critère " Valeur technique ", qui était le critère prépondérant ;

- à supposer que la requérante entende critiquer l'appréciation de son offre faite par la communauté de communes, il n'appartient pas au juge du référé précontractuel d'apprécier les mérites des candidatures ;

- les conclusions aux fins d'expertise avant dire-droit sont manifestement irrecevables, une telle mesure ne relevant pas de l'office du juge du référé précontractuel et il ne saurait être demandé à un expert de donner son avis sur l'analyse des offres effectuée par le pouvoir adjudicateur ou de se prononcer sur la valeur de ces offres.

La procédure a été communiquée à la société Eiffage, attributaire, qui n'a pas produit d'observations.

Vu :

- la lettre informant la société requérante que son offre n'était pas retenue ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Vu la décision par laquelle le président du tribunal a désigné Mme Lefebvre-Soppelsa, vice-présidente, pour statuer sur les demandes de référés.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lefebvre-Soppelsa ;

- les observations de Me Da Costa, représentant la société Isi Elec, qui a persisté dans ses conclusions par les mêmes moyens et souligné qu'elle ne prétend pas qu'elle devait être attributaire du marché en litige mais qu'elle s'étonne que le prix de l'offre retenue soit d'environ 500 000 euros supérieur à celui de son offre, qu'elle regrette que des questions ne lui aient pas été posées au préalable ce qui lui aurait permis de préciser son offre et que l'assistant à maîtrise d'ouvrage a produit un rapport à charge ;

- les observations de Me Tissier-Lotz, représentant la communauté de communes du Val-de-Sully, qui a persisté dans ses conclusions de rejet par les mêmes moyens, rappelé que le contrat en litige n'a pas été signé et souligné, d'une part, que la société requérante ne soutient pas avoir été lésée et se borne à contester la construction même du marché qui a conduit à l'analyse des offres sans invoquer de manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence, d'autre part, que la partialité alléguée de l'assistance à maîtrise d'ouvrage n'est nullement établie.

La société Eiffage n'étant ni présente, ni représentée.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, ou la délégation d'un service public () ". Aux termes de l'article L. 551-2 de ce code : " I. Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. () ". Selon l'article L. 551-10 du même code : " Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué () ".

2. Par un avis d'appel public à candidature (AAPC) du 7 avril 2023, la communauté de communes Val de Sully a lancé une consultation selon la procédure adaptée en vue de sélectionner l'entreprise qui sera chargée de déployer un système de vidéoprotection sur son territoire. Après analyse, l'offre de la société Isi Elec a été classée à la 3ème place avec une note totale de 60,58 sur 100. Par délibération du 25 juillet 2023, le marché a été attribué à l'entreprise Eiffage dont l'offre a été classée en 1ère position avec une note totale de 78,06 sur 100. La société Isi Elec, informée du rejet de son offre par courrier du 26 juillet 2023, a demandé des informations par courrier du 27 juillet 2023, auquel la communauté de communes a répondu le 31 juillet. La société a formulé une nouvelle demande d'information le 4 août 2023 et il lui a été répondu par courrier du 9 août 2023. Alors qu'il résulte de l'instruction que le contrat en litige n'a pas, à la date de l'audience, été signé, la société Isi Elec doit être regardée comme demandant au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative précité, d'annuler la procédure d'analyse des candidatures et de passation du marché de travaux de déploiement d'un système de vidéoprotection sur l'ensemble du territoire de la communauté de communes du Val-de-Sully et en conséquence la décision de rejet de sa candidature, notifiée par courrier du 26 juillet 2023, et la décision du conseil communautaire du Val-de-Sully en date du 25 juillet 2023 d'attribution du marché à la société Eiffage.

3. En premier lieu, il n'appartient pas au juge du référé contractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par le pouvoir adjudicateur, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un contrat, de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Par suite, d'une part, et ainsi qu'il est opposé en défense, les conclusions aux fins d'expertise avant dire-droit aux fins de demander à un expert de donner son avis sur l'analyse des offres effectuée par le pouvoir adjudicateur ou de se prononcer sur la valeur de ces offres sont irrecevables. D'autre part, les moyens relatifs à l'analyse mêmes des offres et aux mérites respectifs des candidats sont également irrecevables.

4. En second lieu, et ainsi qu'il est également opposé en défense, la société requérante qui se borne à affirmer qu'elle s'étonne que le prix de l'offre retenue soit très supérieur à celui de son offre, que la procédure d'analyse des candidatures et d'attribution du marché litigieux serait viciée, que son dossier de candidature n'a pas été pris en considération et analysé dans son intégralité, que l'assistant à maîtrise d'ouvrage n'a pas analysé objectivement son offre et que, par suite, le pouvoir adjudicateur a dénaturé le contenu de son offre, d'une part n'apporte aucun élément sérieux au soutien de ses allégations, d'autre part, n'invoque ainsi sérieusement aucun manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence.

5. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de la société Isi Elec aux fins d'annulation ne peuvent qu'être rejetées.

6. Les conclusions présentées par la société requérante au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées, la communauté de communes du Val-de-Sully n'étant pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la société requérante, en application de ces mêmes dispositions, la somme de 1 500 euros à verser à la communauté de communes du Val-de-Sully au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la société Isi Elec est rejetée.

Article 2 : La société Isi Elec versera à la communauté de communes du Val-de-Sully la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Isi Elec, à la communauté de communes du Val-de-Sully et à la société Eiffage.

Fait à Orléans, le 2 octobre 2023.

La juge des référés,

Anne LEFEBVRE-SOPPELSA

La République mande et ordonne à la préfète du Loiret, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.