TA Grenoble, 06/07/2023, n°2303828

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 17 juin 2023, la société Allo Greffes Services, représentée par son gérant, demande au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de la procédure de passation du marché de "transport de cellules souches hématopoïétiques" lancée par le centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes le 11 octobre 2022 ;

2°) d'enjoindre au centre hospitalier d'organiser une nouvelle procédure d'appel d'offres.

La société soutient que son offre n'était pas irrégulière dès lors que, suite à la demande de régularisation reçue le 28 avril 2023, elle a adressé un fichier contenant le bordereau des prix intégralement rempli le 2 mai 2023.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 juillet 2023, le centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Allo Greffes Services la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la demande de régularisation adressée le 28 avril 2023 résultait d'une erreur car l'ajout de deux bordereaux de prix sur trois, représentant 75% de la prestation, modifierait substantiellement l'offre en méconnaissance des articles R. 2152-1 et R. 2152-2 du code de la commande publique, rappelés à l'article 6.2 du règlement de la consultation ;

- la requérante n'a pas été lésée dès lors que, selon l'évaluation réalisée pour la procédure, elle aurait obtenu une note de 42,33 sur le critère prix contre 57/57 à l'attributaire ne lui permettant pas d'obtenir le marché même en ayant la meilleure note sur les deux autres critères ;

- en toutes hypothèses, l'éviction irrégulière d'un candidat ne peut vicier la procédure qu'au stade de l'examen des offres ;

- il doit être fait application des dispositions de l'article L. 551-7 du code de justice administrative dès lors que le marché de transport de cellules souches actuel est résilié pour faute avec effet au 17 juillet et que des interventions sont prévues dès les 20 et 21 juillet 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme A pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique tenue en présence de Mme Bonino, greffière d'audience, Mme A a lu son rapport et entendu :

- les observations de Me Giorno, représentant la société Allo Greffes Services, qui indique que le dossier adressé initialement comportait les trois bordereaux de prix et était donc régulier ; que la charge de la preuve incombe au CHUGA ; que, dans tous les cas, elle justifie par l'accusé de réception reçu qu'elle a bien "régularisé" par un nouvel envoi le 2 mai 2023 ;

- les observations de Me Senegas, représentant le CHUGA, qui soutient que l'envoi initial était incomplet, ce que la requête ne contestait pas et que l'envoi du 2 mai n'a pu régulariser en raison des motifs déjà développés à l'écrit.

Considérant ce qui suit :

1. Le centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes (CHUGA) a lancé le 13 mars 2023 une procédure d'appels d'offres ouvert en vue de conclure un accord-cadre à bon de commande de "transport de cellules souches hématopoïétiques". Les candidats devaient adresser trois bordereaux de prix unitaires (BPU), "transports nationaux", "transports communauté européenne" et "transports internationaux" correspondant à trois feuillets d'un même fichier exploitable par un logiciel tableur. Le 28 avril 2023, le CHUGA a indiqué à la requérante que le BPU était incomplet et lui a demandé d'adresser sous 10 jours le BPU "avec tous les onglets présents dans sa version initiale". La société Allo Greffes Services a répondu à cette demande le 2 mai 2023. Par courrier du 6 juin 2023, le CHUGA a rejeté son offre comme irrégulière dès lors que son "BPU ne [comporte] pas les onglets "transports nationaux" et "transports intra communauté européenne". Par la présente requête, la société Allo Greffes Services demande au juge des référés précontractuels d'enjoindre au CHUGA d'organiser une nouvelle procédure d'appel d'offres.

2. Aux termes de l'article L. 2152-2 du code de la commande publique : "Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète ()". Aux termes de l'article R. 2152-1 du même code : "Dans () les procédures d'appel d'offres, les offres irrégulières, inappropriées ou inacceptables sont éliminées ()". Aux termes de l'article R. 2151-2 dudit code : "Dans toutes les procédures, l'acheteur peut autoriser tous les soumissionnaires concernés à régulariser les offres irrégulières dans un délai approprié, à condition qu'elles ne soient pas anormalement basses. / La régularisation des offres irrégulières ne peut avoir pour effet d'en modifier des caractéristiques substantielles".

3. Ces dispositions visent à permettre de remédier à une non-conformité, en particulier une omission dans les pièces transmises, sans permettre une modification des caractéristiques substantielles de l'offre, qui serait de nature à fausser la concurrence.

4. En l'espèce, l'omission de deux feuillets sur trois dans le fichier du BPU caractérise une offre incomplète au sens de l'article L. 2152-2. Alors même qu'elle porte sur une caractéristique aussi essentielle que le prix, la rectification d'une telle erreur n'emporte pas de modification de l'offre au sens de l'article R. 2151-2 et est ainsi susceptible d'être régularisée ainsi que l'avait initialement estimé à bon droit le CHUGA. Il en résulte que c'est à tort qu'il a ensuite rejeté l'offre, dûment complétée, comme irrégulière.

5. Toutefois, il n'est pas contesté que la différence de prix entre l'attributaire et la requérante aboutissait mathématiquement à ce qu'elle se voit attribuer une note de 42,33/57 alors que l'attributaire a reçu la note maximale de 57 à ce critère prix. A supposer même que la requérante se serait vu attribuer les notes maximales de 38 et 5 aux deux autres critères, elle ne pouvait obtenir tout au plus qu'une note de 85,33/100 alors que l'attributaire a reçu la note de 97,15/100. Ainsi, le manquement commis au stade de l'analyse des offres n'est pas susceptible d'avoir lésé la société Allo Greffes Services qui ne pouvait se voir attribuer le marché.

6. Il résulte de ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation et d'injonction présentées par la société Allo Greffes Services sur le fondement des articles L. 551-1 et suivants du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

7. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au profit du CHUGA.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la société Allo Greffes Services est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du CHUGA au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Allo Greffes Services et au centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes.

Fait à Grenoble, le 6 juillet 2023.

La juge des référés,La greffière,

A. AJ. Bonino

La République mande et ordonne au préfet de l'Isère en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.