Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 13 avril 2021, la société Priams, représentée par Me Petit, demande au tribunal :
1°) de condamner la commune de Beaumont à lui verser une indemnité totale de 932 485 euros HT, outre intérêts au taux légal à compter du 14 décembre 2020, en réparation des préjudices résultant de son éviction selon elle irrégulière de la procédure d'appel à projets pour une cession immobilière du site dit " B ", subsidiairement une indemnité de 7 000 euros HT telle que prévue à l'article 4.4 du document de consultation des entreprises transmis dans le cadre de la procédure d'appel à candidature ;
2°) de mettre à la charge de la commune de Beaumont la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société Priams soutient que :
- le juge administratif est compétent et la requête recevable ;
- la procédure s'analyse comme un marché public de travaux, l'exercice de la maîtrise d'ouvrage par l'administration n'étant plus une condition de la définition de marché public de travaux ; en l'espèce, les travaux avaient vocation à satisfaire, à titre principal, un besoin de la Commune ; les principes directeurs de la commande publique en matière de transparence auraient dû être respectés, et plus particulièrement les règles concernant la décision de ne pas attribuer le marché ;
- en l'espèce, la responsabilité pour faute de la commune doit être engagée, car la décision d'abandon du projet aurait dû être motivée en droit et en fait, et ne pouvait se fonder sur d'autres motifs que l'infructuosité de la procédure ou l'intérêt général ; or, le changement d'équipe politique ne compte pas parmi les motifs d'intérêt général susceptibles de fonder l'abandon d'une procédure ; la notion d'intérêt général, seule susceptible de fonder un abandon de procédure, ne se limite au demeurant pas au champ du droit de la commande publique ; la Commune a commis une faute en abandonnant la procédure pour un motif étranger à l'intérêt général ;
- la commune a commis une faute en lui laissant croire que son projet serait désigné lauréat au terme de la procédure et en l'incitant à produire des études complémentaires après réception des offres définitives ;
- le refus de lui accorder une indemnité en raison de l'abandon du projet méconnaît l'article 4.1 du document de la consultation ; l'interprétation de cet article faite pas la Commune constitue un détournement de procédure ;
- la Commune lui a injustement fait croire que son projet serait désigné lauréat, ce qui l'a poussé à produire des études complémentaires ; le comportement de la Commune s'analyse comme une promesse non tenue, qui engage sa responsabilité pour faute ;
- la constitution de l'offre a entraîné une charge de travail de 111h pour les salariés de la société, correspondant à 23 725 euros HT, dont elle demande réparation ; dans ce cadre, elle a également dû recourir à des intervenants externes (expertises, architectes) dont elle demande à être indemnisée à hauteur de 34 000 euros HT ;
- en outre, elle avait des chances réelles et sérieuses d'être désignée lauréate et demande à ce titre à être indemnisée du bénéfice net escompté de l'opération avant impôt, soit un montant de 874 760 euros HT ;
- à titre subsidiaire, elle a droit à être indemnisée du montant de 7 000 euros prévu à l'article 4.4 du document de la consultation des entreprises.
Par un mémoire en défense enregistré le 21 février 2023, la commune de Beaumont conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la société Priams au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au motif que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré du défaut de liaison du litige quant à la faute de la commune à avoir, d'une part, écarté les règles de la commande publique et, d'autre part, à avoir fait une promesse non tenue.
En réponse au moyen relevé d'office, la société Priams a produit un mémoire, enregistré le 5 avril 2024, par lequel elle maintient ses conclusions.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 9 avril 2024 :
- le rapport de Mme Frapolli,
- les conclusions de M. A,
- les observations de Me Marquet, pour la société Priams,
- et les observations de Me Leroy, pour la commune de Beaumont.
Considérant ce qui suit :
1. A l'automne 2018, la commune de Beaumont a décidé de procéder à la " cession avec charges du site de B " à un opérateur privé en vue de la réalisation de logements, d'une salle associative, d'une bibliothèque, de locaux commerciaux ainsi que des infrastructures afférentes incluant une placette, qualifiée " d'espace public structurant du projet " et d'un parking visiteur. L'emprise foncière concernée par le projet porte sur une superficie totale de 6 520 m2, représentant cinq parcelles, propriété de la Commune (000 B 282, 000 B 283, pour une superficie de 3 580 m2, 000 B 284, 000 B 975, et 000 B 976, pour une superficie de 550 m2). Dans le cadre de l'appel à projets lancé pour sélectionner l'opérateur bénéficiaire de la cession immobilière, la société Priams, tout comme deux autres sociétés concurrentes, ont déposé des offres à l'automne 2019. Au terme de l'analyse de ces offres, l'exécutif communal a choisi de suspendre sa décision à l'installation de l'équipe issue des élections municipales de juin 2020. Finalement, par un courrier du 24 novembre 2020, le maire de Beaumont a informé les trois concurrents toujours en lice de sa décision d'abandonner le projet. Dans la présente instance, la société Priams, estimant qu'elle disposait de chances réelles et sérieuses d'être désignée lauréate de l'appel à projets, demande au Tribunal de condamner la commune de Beaumont à l'indemniser des préjudices subis en raison de l'abandon de la procédure.
Sur l'engagement de la responsabilité pour faute de la commune de Beaumont :
En ce qui concerne l'illégalité alléguée de l'abandon de la procédure :
2. En premier lieu, une personne publique qui a engagé une procédure de passation d'un contrat ne saurait être tenue de conclure le contrat. Elle peut décider, sous le contrôle du juge, de renoncer à le conclure pour un motif d'intérêt général.
3. D'une part, le prétendu défaut de motivation du courrier du 24 novembre 2020 est dépourvu d'effet utile sur le bien-fondé des prétentions indemnitaires de la requête, qui au demeurant, ne fonde l'obligation de motivation alléguée sur aucun texte ni principe.
4. D'autre part, il résulte des termes mêmes du courrier du 24 novembre 2020 cité au point 1 que l'abandon du projet en litige a été décidé eu égard à l'inadéquation de la procédure globale avec les attentes de l'équipe nouvellement élue, notamment en ce qui concerne le principe même de cession des terrains communaux cités au point 1 et les modalités de développement économique, social et patrimonial du périmètre concerné. En outre et ainsi que l'oppose en défense la Commune, la société Priams ne peut utilement à la fois alléguer que la procédure a été à tort soustraite au code de la commande publique, tout en reprochant à la commune de Beaumont son abstention à mener à son terme une procédure viciée. Dans les circonstances de l'espèce, caractérisées notamment par l'état peu avancé du projet et l'ampleur des travaux à réaliser sur le long terme si le projet avait été mené à son terme, la société Priams n'établit pas que le motif fondant l'abandon de la procédure à un stade précoce serait étranger à l'intérêt général, le " changement d'équipe politique " ne constituant pas le seul motif allégué par la collectivité, ainsi qu'il vient d'être dit.
5. En deuxième lieu, si la société Priams soutient que le projet aurait été illégalement soustrait au champ d'application du code de la commande publique, cette faute n'est alléguée qu'au soutien de la critique du motif d'intérêt général fondant l'abandon de la procédure qui concerne toutefois tant les contrats publics que privés, ainsi qu'il a été dit au point 2.
6. Il résulte de ce qui précède que la société Priams n'est pas fondée à rechercher l'engagement de la responsabilité de la commune de Beaumont en raison de l'abandon de l'appel à projet décidé le 24 novembre 2020.
En ce qui concerne l'existence d'une promesse non tenue de conclure le contrat avec la société Priams :
7. S'il est vrai qu'après une première analyse des offres initiales, le maire de Beaumont demandait par courrier du 20 janvier 2020 à la société Priams de déposer une " offre ajustée " pour le 12 février suivant, il précisait également que cette offre finale devait être accompagnée d'un courrier signé engageant la société sur une date de validité de l'offre pour la durée conséquente de 300 jours, et rappelait en outre en fin de courrier que la Collectivité se réservait le droit de mettre fin aux discussions avec un ou plusieurs candidats à tout moment au cours de la négociation, information déjà présente au dernier alinéa de l'article 4.1 du dossier de consultation des entreprises cité au point 8. Ainsi, il ne résulte pas de l'instruction que la commune de Beaumont ait donné une quelconque assurance à la société Priams quant à ses chances d'être lauréate de l'appel à projets. Les conclusions tendant à l'engagement de la responsabilité pour faute de la commune de Beaumont en raison d'une promesse non-tenue quant à la conclusion d'un futur contrat doivent dès lors être rejetées.
En ce qui concerne l'illégalité alléguée tenant au refus de lui verser l'indemnité de 7 000 euros, invoquée à titre subsidiaire :
8. Aux termes de l'article 4.1 du dossier de consultation des entreprises : " () La personne publique se réserve, en tout état de cause, la possibilité de ne pas céder le site. Dans cette hypothèse, elle en informera les candidats par lettre recommandée avec avis de réception. Tout arrêt de la procédure sans que la commune ait pu sélectionner un acquéreur ne donne lieu à aucune indemnité. ". Aux termes de l'article 4.4 de ce document : " Une indemnité de 7 000 euros est prévue à l'issue de la procédure, une fois le candidat final sélectionné, pour l'ensemble des candidats ayant été admis à remettre une offre finale mais qui n'ont pas été retenus. () ".
9. Si les conclusions de la société Priams tendant à une condamnation de la commune de Beaumont au versement d'une indemnité de 7 000 euros se fondent sur l'article 4.4 précité du dossier de consultation, cette demande s'articule en revanche exclusivement autour d'un détournement volontaire de la procédure qui aurait été opéré par la commune de Beaumont dans l'interprétation des stipulations de l'article 4.1 de ce document. Or, la requérante n'établit pas ce détournement de procédure. Au surplus, l'article 4. 1 ne peut servir de fondement à un droit à indemnisation en cas d'absence de sélection d'un acquéreur. Par suite, les conclusions indemnitaires formulées par la société Priams à ce titre doivent être rejetées.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Les conclusions présentées par la société Priams, la partie perdante, doivent être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Priams une somme de 1 500 euros à verser à la commune de Beaumont.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Priams est rejetée.
Article 2 : : La société Priams versera à la commune de Beaumont la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la société Priams et à la commune de Beaumont.
Délibéré après l'audience du 9 avril 2024, à laquelle siégeaient :
M. Vial-Pailler, président,
Mme Frapolli, premier conseiller,
Mme Fourcade, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 mai 2024.
Le rapporteur,
I. FRAPOLLI
Le président,
C. VIAL-PAILLER
Le greffier,
G. MORAND
La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Savoie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.