TA Guadeloupe, 29/08/2024, n°2401075
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête et deux mémoires complémentaires, enregistrés le 9, le 26 et le 27 août 2024, la société Conseil en Gestion de Financement de Flotte (CGFF), représentée par Me Gauthier, demande au juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L.551-1 du code de justice administrative :
1°) d'enjoindre à la communauté d'agglomération Cap Excellence de différer la signature des lots numéros 1 et 2 de l'accord-cadre ayant pour objet la location et la maintenance de véhicules neufs ;
2°) d'enjoindre à la communauté d'agglomération Cap Excellence, sous astreinte, de lui communiquer, dans un délai de deux jours, les motifs détaillés du rejet de son offre et notamment le rapport d'analyse des offres pour les lots numéros 1 et 2 de l'accord-cadre ;
3°) d'enjoindre à la communauté d'agglomération Cap Excellence de suspendre les décisions du 31 juillet 2024 lui notifiant le rejet de ses deux offres et ses décisions d'attribuer les lots n° 1 et n° 2 de l'accord-cadre à la société LLD Ststem et de reprendre la procédure au stade de l'examen des offres afférentes à ces deux lots.
La société soutient que :
- sa requête est recevable ;
- les manquements suivants sont à relever :
- méconnaissance de l'obligation de motiver le rejet d'une offre ;
- dénaturation de l'offre présentée par la société CGFF pour l'attribution du lot n°2 ;
- dénaturation du contenu de l'offre technique présentée par CGFF pour l'attribution du lot n°1 ;
- absence de précision des modalités de mise en œuvre des critères et sous-critères de sélection des offres.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 août 2024, la communauté d'agglomération Cap Excellence, représentée par Me Gauch, conclut au rejet de la requête. Elle demande en outre que soit mise à la charge de la société requérante la somme de 5 000 euros, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de la visio-audience.
Au cours de l'audience publique tenue en présence de Mme Lubino, greffière d'audience, M. Gouès a lu son rapport et entendu les observations de :
- Me Gauthier, présent au tribunal et représentant la société Conseil en gestion de financement de flotte, demande l'annulation de la procédure de passation du marché en raison du manquement relatif à l'absence de pondération des sous-critères ;
- Me Millard, en visio-conférence, représentant la communauté d'agglomération Cap Excellence, fait valoir que les sous-critères n'existent pas et qu'il s'agit en réalité d'éléments d'appréciation qui, comme tels, n'ont pas à être pondérés.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience, à 11h20.
La société CGFF a présenté une note en délibéré, enregistrée le 28 août 2024, qui n'a pas été communiquée.
La communauté d'agglomération Cap Excellence a présenté une note en délibéré, enregistrée le 28 août 2024, qui n'a pas été communiquée.
Considérant ce qui suit :
1. Pour faire suite au marché qui arrivait à expiration, la communauté d'agglomération Cap Excellence a initié une procédure de passation en vue de conclure l'accord-cadre n°2024F05 relatif à la location et la maintenance de véhicules neufs pour ses besoins. Par un avis d'appel d'offres publié au BOAMP le 18 mai 2024 sous le numéro 24-57417 et au JOUE le 28 mai 2024, Cap Excellence a engagé cette consultation qui porte sur l'attribution de cinq lots relatifs à cinq catégories spécifiques de véhicules : Segment SUV Catégorie J (lot n°1), Segment Catégorie C - Compact (lot n°2), Segment B - Citadines / Polyvalentes (lot n°3), Section Ludospace (lot n°4), de tous types (lot n° 5). L'article 18 du règlement de la consultation relatif à l'attribution de cet accord-cadre prévoyait quatre critères d'attribution des offres pondérés comme suit : - un critère n° 1 portant sur un " délai de livraison " pondéré à 5 % ; - un critère n° 2 portant sur les " performances en matière de protection de l'environnement ", pondéré à 25 % ; - un critère n° 3 portant sur le prix des prestations pondéré à 50 % ; - un critère n° 4 portant sur la valeur technique pondéré à 20 %. La date limite de remise des offres était fixée au 10 juin 2024 à 12 heures. La société CGFF a présenté une offre pour l'attribution des cinq lots de l'accord-cadre et son offre pour l'attribution du lot n°5 a été retenue par Cap Excellence, au contraire des offres pour l'attribution des lots 1 et 2 qui ont rejetées. Par un courrier du 31 juillet 2024, Cap Excellence a informé CGFF du fait que son offre " n'a pas été retenue " pour les lots numéros 1 et 2 de l'accord-cadre. Par la présente requête la société CGFF demande principalement au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de suspendre les décisions du 31 juillet 2024 lui notifiant le rejet de ses deux offres et ses décisions d'attribuer les lots n° 1 et n° 2 de l'accord-cadre à la société LLD Ststem et de reprendre la procédure au stade de l'examen des offres afférentes à ces deux lots.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :
2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, ou la délégation d'un service public. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". Aux termes de son article L. 551-3 : " Le président du tribunal administratif ou son délégué statue en premier et dernier ressort en la forme des référés ".
3. D'une part, il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.
4. D'autre part, pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire, dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats. Dans le cas où le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d'autres critères que celui du prix, il doit porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation de ces critères. Il doit également porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation des sous-critères dès lors que, eu égard à leur nature et à l'importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent, en conséquence, être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection.
5. En l'espèce, il résulte de l'instruction que l'article 18 du règlement de consultation précise que " le classement des offres et le choix du/des attributaire(s) sont fondés sur l'offre économiquement la plus avantageuse appréciée en fonction des critères pondérés notés sur 100 et énoncés ci-dessous : 1. Critère Délai de livraison pondéré à 5 %. Respect des engagements de délais Mise à disposition des véhicules 2. Critère Performances en matière de protection de l'environnement pondéré à 25 %. Emission CO2/km (g/km) (QCO2=CO2/km(g/km) Consommation énergétique Autonomie kilométrique avec une chargé complète (pour une consommation mixte du véhicule) 3. Critère Prix des prestations pondéré à 50 %. Prix basé sur l'acte d'engagement au regard des loyers max proposés pour chacun des lots Coût du kilomètre excédentaire et minoritaire selon la marge en km qui ne modifie pas les conditions initiales 4. Critère Valeur technique pondéré à 20 %. Mémoire technique Qualité technique de la solution proposée Caractéristiques techniques du modèle des véhicules Moyens et ressources (équipe technique, expertise, certifications et références) mis à la disposition du projet pour atteindre les objectifs visés Modalités de maintenance, de garantie et de support ". La société CGFF soutient que les précisions apportées à la suite de chaque critère sont en réalité des sous-critères et, qu'à ce titre, ils auraient dû faire l'objet d'une pondération.
6. Pour illustrer ce moyen la société CGFF, dans son dernier mémoire, prend l'exemple du lot n° 1 en précisant que " si les sous-critères du critère de la valeur technique avaient été traités de manière égale, CGFF n'aurait pas obtenu la note de 15/20 au critère de la valeur technique pour le lot n° 1 dès lors que : - le critère de la valeur technique était divisé en quatre sous-critères ; - s'ils avaient été pondérés de la même manière, chaque sous-critère serait donc noté sur 5 ; - or : les 3 sous-critères (moyens et ressources ; caractéristiques techniques des véhicules proposés ; modalités de maintenance) ayant été regardés comme " traités et conformes au besoin ", ils auraient dû par analogie avec l'offre de l'attributaire obtenir la note maximum de 5/5, soit une note minimale pour CGFF de 15/20 ; le sous-critère " Qualité Mémoire technique " ayant été regardé comme " moyennement traité ", il aurait dû recevoir au moins une note de 2,5 ; par conséquent, le cumul des 4 sous-critères aurait donné une note minimale de 17,5 ; - toutefois, la note de CGFF sur le critère de la valeur technique a été de 15/20 ce qui signifie que les sous-critères n'étaient pas pondérés de la même façon. Si la communauté d'agglomération Cap Excellence persistait à soutenir que chaque sous-critère était pondéré de la même façon, cela signifierait en tout état de cause que l'offre de CGFF a été dénaturée sur le critère de la valeur technique en ayant obtenu la note de 0 sur 5 au sous-critère " Qualité Mémoire technique " alors même qu'il était considéré comme " moyennement traité ". "
7. En réponse, la communauté d'agglomération soutient que ce que la société CGFF appelle " sous-critères " sont en réalité de simples éléments d'appréciation lui permettant d'affiner la notation de chaque critère. Elle rajoute qu'aucun texte juridique n'interdit cette pratique, qui est donc parfaitement légale selon elle.
8. Toutefois, comme le démontre la société requérante, ces " éléments d'appréciation ", eu égard à leur nature et à leur importance ont exercé une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent, en conséquence, être regardés comme des sous-critères de sélection et, par conséquent, auraient dû faire l'objet d'une pondération ou d'une hiérarchisation. Ainsi, en s'abstenant de pondérer ou de hiérarchiser ces " éléments d'appréciation " qui sont en réalité des sous-critères, la communauté d'agglomération Cap Excellence a commis un manquement qui a lésé la société CGFF mais aussi tous les autres candidats.
9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, qu'il y a lieu d'annuler la procédure de passation du marché en litige pour tous les lots, excepté le lot n° 5 dans la mesure où il a été attribué à la société CGFF. Il en résulte qu'il est enjoint à la communauté d'agglomération Cap Excellence de relancer une procédure de passation au stade de l'avis d'appel public à la concurrence si elle souhaite persister dans la passation de ce marché.
Sur les frais liés au litige :
10. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
11. Il y a lieu de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la communauté d'agglomération Cap Excellence une somme de 1 500 euros, au titre des frais exposés par la société CGFF et non compris dans les dépens.
O R D O N N E :
Article 1er : La procédure de passation du marché n°2024F05 est annulée pour tous les lots, à l'exception du lot n° 5.
Article 2 : Il est enjoint à la communauté d'agglomération Cap Excellence, si elle entend toujours attribuer le marché, de reprendre la procédure au stade de l'avis d'appel public à la concurrence.
Article 3 : La communauté d'agglomération Cap Excellence versera à la société CGFF la somme de 1 500 euros, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la communauté d'agglomération Cap Excellence, à la société Conseil en Gestion de Financement de Flotte (CGFF), et à la société LLD Ststem.
Copie en sera en outre adressée au Procureur de la République près le tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre et à la CRC Antilles-Guyane.
Fait à Basse-Terre le 29 août 2024.
Le juge des référés,
Signé :
S. GOUÈS
La République mande et ordonne au préfet de Guadeloupe en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition conforme,
L'adjointe de la greffière en chef,
Signé :
A. Cétol