TA Lyon, 18/01/2024, n°2103888


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 26 mai 2021, 2 mars 2022, 10 octobre 2022 et 31 janvier 2023, la commune de Lissieu, représentée par Me Chanon, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de condamner la société OTEIS à lui verser la somme de 139 827,99 euros TTC en réparation des désordres affectant la pompe à chaleur du bâtiment accueillant les salles des fêtes et de spectacles communales, dépens compris, assortie des intérêts moratoires au taux légal à compter de la date d'enregistrement de sa requête, avec capitalisation ;

2°) d'appeler les sociétés MMA IARD et Axa France IARD, en déclaration de jugement commun ;

3°) de mettre à la charge de la société OTEIS la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle est fondée à rechercher la responsabilité de la société OTEIS sur le fondement de la garantie décennale ;

- les désordres affectant la pompe à chaleur la rendent impropre à sa destination dès lors qu'elle ne fonctionne pas lorsque les températures extérieures sont inférieures à -7°C ; ces désordres sont dus à un défaut de conception aboutissant à un sous-dimensionnement de la pompe et des locaux techniques et à un défaut de surveillance par la société ITF ; la société Celium Energie, titulaire du lot n° 11 " Plomberie - Sanitaire - Chauffage - Ventilation ", n'a pas exécuté les travaux dans les règles de l'art dans la mesure où elle n'a pas établi les documents demandés par le bureau d'études ;

- du fait de ces désordres, elle subit un préjudice qu'elle évalue à 174 784,99 euros TTC dont elle demande à être indemnisée par la société OTEIS à hauteur de 80 %.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 1er novembre 2021, 23 août 2022, 29 novembre 2022 et 27 janvier 2023, les sociétés OTEIS et MMA IARD, représentées par Me Burrus, concluent, dans le dernier état de leurs écritures, à titre principal, à ce que le rapport d'expertise soit écarté des débats et au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à la condamnation in solidum de la société Celium Energies et de son assureur à relever et garantir intégralement la société OTEIS de toute condamnation prononcée à son encontre et, en tout état de cause, à ce que soit mis à la charge in solidum de la commune de Lisseu et de la société Celium Energies la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles font valoir que :

- le rapport d'expertise ne constate aucun désordre affectant le fonctionnement de la pompe à chaleur ; les défauts listés portent sur des éléments indépendants d'une insuffisance du débit d'air ;

- les dysfonctionnements constatés ne sont pas couverts par la garantie décennale dès lors qu'il n'en résulte pas une absence de chauffage de la salle ;

- ces dysfonctionnements ne sont pas imputables à la société OTEIS et trouvent leur origine dans une exploitation et une maintenance défaillantes ; il s'agit d'une cause exonératoire de responsabilité ;

- les plans d'exécution ont été édités par la société Celium Energies ; la conception du local technique ne relevait pas des missions de la société OTEIS ; la pompe à chaleur n'est pas sous-dimensionnée ; les sociétés chargées de son installation et de la maintenance n'ont formulé aucune réserve la concernant ;

- le rapport d'expertise ne fixe pas les travaux nécessaires pour réparer les désordres ;

- les surcoûts d'entretien et le remplacement de l'installation ne sont pas imputables à une insuffisance du débit d'air ; il ne revient pas à la société OTEIS de les assumer en sa qualité de constructeur ; les frais de diagnostic pour le chiffrage du remplacement de l'installation, établis non contradictoirement, ne sont pas justifiés ; le modèle de remplacement proposé constitue une amélioration de l'installation ; les frais de dépose et de mise en place d'une nouvelle installation sont surévalués ; les frais d'expertise et de conseils ne doivent pas être supportés par la société OTEIS.

La société Axa France IARD, représentée par Me Tetreau, a présenté des observations, enregistrées le 17 novembre 2022.

La procédure a été transmise à la société liquidée Celium Energies, représentée par la Selarl Jérôme Allais, mandataire ad hoc désigné par ordonnance du président du tribunal de commerce du 23 septembre 2021, qui n'a pas produit d'observations.

La clôture de l'instruction a été fixée par ordonnance au 30 octobre 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code des marchés publics ;

- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales relatif aux marchés publics de travaux ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lacroix,

- les conclusions de M. Reymond-Kellal, rapporteur public,

- et les observations de Me Leleu pour la commune de Lissieu, de Me Burrus pour les sociétés OTEIS et MMA IARD et de Me Guyenard pour la société Axa France IARD.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Lissieu a décidé de faire construire un bâtiment sur son territoire destiné à accueillir une salle des fêtes et une salle de spectacles et d'aménager le site dénommé " Le Lissiaco ". Par un acte d'engagement du 29 mai 2008, elle a confié la maîtrise d'œuvre de l'opération à un groupement dont la société ITF, bureau d'études des fluides, était membre. Par un acte d'engagement du 20 octobre 2009, elle a chargé la société Celium Energies de la réalisation des travaux du lot n° 11 portant sur la plomberie, les sanitaires, le chauffage et la ventilation. Les travaux de ce lot ont été réceptionnés avec effet au 30 mai 2011. Des désordres affectant le fonctionnement de la pompe à chaleur du bâtiment sont apparus au cours de l'année 2012. A la demande de la commune, une expertise judiciaire a été ordonnée par le juge des référés du tribunal. L'expert a déposé son rapport le 15 novembre 2018. La commune de Lissieu demande la condamnation de la société OTEIS, venue aux droits de la société ITF, à l'indemniser à hauteur de 139 827,99 euros TTC des préjudices résultant de ces désordres sur le fondement de la garantie décennale.

Sur l'appel en déclaration de jugement commun :

2. Seuls peuvent se voir déclarer commun un jugement rendu par une juridiction administrative les tiers dont les droits et obligations à l'égard des parties en cause pourraient donner lieu à un litige dont la juridiction saisie eût été compétente pour connaître et auxquels, d'autre part, le jugement pourrait préjudicier dans les conditions ouvrant droit de former tierce opposition à ce jugement.

3. Dès lors que le tribunal administratif ne serait pas compétent pour connaître du litige opposant la commune de Lissieu aux assureurs des constructeurs et que le présent jugement ne préjudicie pas aux droits des assureurs dans des conditions leur ouvrant droit à former tierce opposition, les conclusions par lesquelles la commune de Lissieu demande que le jugement à intervenir soit déclaré commun aux sociétés MMA IARD et Axa France IARD doivent être rejetées.

Sur la régularité des opérations d'expertise :

4. La critique de la société OTEIS relative au bien-fondé du rapport de l'expert judiciaire auquel elle fait grief de n'avoir constaté aucun désordre ni décrit les travaux nécessaires pour remettre l'ouvrage en l'état n'est pas susceptible d'affecter la régularité des opérations d'expertise, alors d'ailleurs que les éventuelles insuffisances d'un rapport d'expertise ne feraient pas, en tout état de cause, obstacle à ce que le tribunal prenne ce rapport en considération à titre d'élément d'information, en tenant compte des observations présentées par les parties sur ses conclusions

Sur la garantie décennale des constructeurs :

5. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. La responsabilité décennale du constructeur peut être recherchée pour des dommages survenus sur des éléments d'équipement dissociables de l'ouvrage s'ils rendent celui-ci impropre à sa destination. La circonstance que les désordres affectant un élément d'équipement fassent obstacle au fonctionnement normal de cet élément n'est pas de nature à engager la responsabilité décennale du constructeur si ces désordres ne rendent pas l'ouvrage lui-même impropre à sa destination.

6. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise déposé le 15 novembre 2018, que la pompe à chaleur a nécessité, depuis son installation, de nombreuses interventions de maintenance, que lorsque les quatre compresseurs sont enclenchés, une disjonction se produit rapidement, seuls deux des compresseurs étant alors maintenus en marche, et que la pompe ne fonctionne qu'à environ 50 % de sa puissance en cas de température extérieure négative, entraînant des difficultés de mise en température des locaux et le givrage des échangeurs. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction, à défaut notamment d'éléments précis tels que des relevés de températures, que les dysfonctionnements affectant la pompe à chaleur, élément d'équipement dissociable du bâtiment, empêcheraient de chauffer convenablement, quand la température extérieure est négative, les salles de fêtes et de spectacles, dont la fréquence d'occupation n'est d'ailleurs pas précisée, et que, par suite, elles ne pourraient pas être utilisées dans des conditions de confort normal. Il s'ensuit que les désordres affectant la pompe à chaleur, qui ne rendent pas impropre à sa destination le bâtiment dans son ensemble, ne relèvent pas de la garantie décennale.

7. Il résulte de ce qui précède que la commune de Lissieu n'est pas fondée à demander la condamnation de la société OTEIS à réparer les désordres affectant la pompe à chaleur de son pôle festif. Sa requête doit être rejetée.

Sur les frais d'expertise :

8. Les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Lyon, taxés et liquidés à la somme de 11 610,20 euros par une ordonnance du 16 janvier 2019, sont laissés à la charge de la commune de Lissieu.

Sur les frais du litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société OTEIS qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Lissieu, partie perdante, la somme de 1 400 euros à verser à la société OTEIS sur ce même fondement.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la commune de Lissieu est rejetée.

Article 2 : Les frais de l'expertise, taxés et liquidés à la somme de 11 610,20 euros, sont laissés à la charge de la commune de Lissieu.

Article 3 : La commune de Lissieu versera à la société OTEIS la somme de 1 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la société OTEIS est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à la commune de Lissieu, à la société OTEIS, à la Selarl Jérôme Allais, mandataire ad hoc désigné pour représenter la société Celium Energies et aux sociétés Aermec et Altivec.

Copie sera adressée aux sociétés MMA IARD et Axa France IARD et à M. B A.

Délibéré après l'audience du 20 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Michel, présidente,

Mme Lacroix, première conseillère,

Mme Reniez, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 janvier 2024.

La rapporteure,

A. Lacroix

La présidente,

C. MichelLa greffière,

K. Schult

La République mande et ordonne à la préfète du Rhône en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

Un greffier,