TA Marseille, 15/09/2023, n°2307834

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 août et 13 septembre 2023, la société Foire internationale de Marseille, représentée par la société d'avocats Frêche et Associés, demande au juge des référés :

1°) sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de suspendre la procédure relative à la délégation de la gestion et de l'exploitation du parc Chanot et d'enjoindre à la commune d'intégrer l'obligation de reprise du personnel en cas de reprise de la procédure ;

2°) subsidiairement, d'annuler la procédure et toute décision qui s'y rapporte ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Marseille la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la commune de Marseille a manqué à ses obligations en matière de publicité et de concurrence en indiquant à l'article 11.1 du cahier des charges qu'aucun transfert de contrat de travail ne s'impose au nouveau délégataire, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail, dès lors que l'absence de reprise du personnel a pour effet de rendre plus compétitives les offres présentées par les autres candidats ;

- les critères d'évaluation des offres techniques sont discriminatoires à son égard dès lors que l'exigence d'une manière nouvelle d'exploiter le parc Chanot par opposition à l'exploitation actuelle a pour effet de privilégier les candidats nouveaux et de discriminer sa propre offre.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 septembre 2023, la commune de Marseille conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Foire internationale de Marseille la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- il n'est pas justifié de ce que l'absence d'obligation de reprise du personnel serait susceptible de léser les intérêts de la société requérante ;

- les dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail ne sont pas applicables dès lors que la concession du parc Chanot ne constitue pas le transfert d'une entité économique autonome ;

- l'ensemble des informations transmises par la société requérante a été communiqué à tous les candidats ;

- il n'est pas justifié que l'absence d'obligation d'utiliser la marque " foire internationale de Marseille " serait susceptible de léser les intérêts de la société requérante ;

- elle ne pouvait imposer l'utilisation de cette marque ;

- elle est libre de faire un choix de gestion et d'exploitation du parc Chanot différent de celle de la société requérante ;

- les moyens fondés sur la préparation de la procédure sont inopérants.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. Gonneau, vice-président, pour statuer sur les demandes de référés.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique du 14 septembre 2023 tenue en présence de Mme Martinez, greffière d'audience, M. Gonneau a lu son rapport et a entendu les observations de Me Dourlens, représentant la société Foire internationale de Marseille qui a conclu aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens, et de Me Le Chatelier, représentant la commune de Marseille qui a maintenu les termes de sa défense.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis de concession du 16 juin 2023, la commune de Marseille a soumis à la concurrence la gestion et l'exploitation du parc Chanot pour une durée de trois ans. La société Foire internationale de Marseille, liée par contrat depuis 1985 à la commune pour l'usage et la gestion du parc Chanot comportant un droit exclusif d'y organiser des manifestions telles que foires et salons, a présenté une offre et ne conteste pas que sa candidature aurait été acceptée. Elle demande, avant l'analyse des offres par la commune, la suspension de la procédure et, subsidiairement, son annulation.

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. () ". Aux termes de l'article L. 551-2 du même code : " I.- Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. () ". Aux termes de l'article L. 551-10 du même code : " Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat ou à entrer au capital de la société d'économie mixte à opération unique et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué () ".

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 3124-5 du code de la commande publique : " Le contrat de concession est attribué au soumissionnaire qui a présenté la meilleure offre au regard de l'avantage économique global pour l'autorité concédante sur la base de plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du contrat de concession ou à ses conditions d'exécution. Lorsque la gestion d'un service public est concédée, l'autorité concédante se fonde également sur la qualité du service rendu aux usagers. Les critères d'attribution n'ont pas pour effet de conférer une liberté de choix illimitée à l'autorité concédante et garantissent une concurrence effective. Ils sont rendus publics dans des conditions prévues par décret en Conseil d'État () ". Aux termes de l'article R. 3124-4 du même code : " Pour attribuer le contrat de concession, l'autorité concédante se fonde, conformément aux dispositions de l'article L. 3124-5, sur une pluralité de critères non discriminatoires. Au nombre de ces critères, peuvent figurer notamment des critères environnementaux, sociaux, relatifs à l'innovation. Les critères et leur description sont indiqués dans l'avis de concession, dans l'invitation à présenter une offre ou dans tout autre document de la consultation ".

4. Il résulte de l'instruction, et notamment de la note de synthèse générale sur les enjeux de l'affermage, que la commune de Marseille, au regard de la superficie du site et de son emplacement stratégique, a pour objectif, en concédant la gestion et l'exploitation du parc Chanot pour une période transitoire de trois ans, de tester de nouveaux usages et de nourrir la réflexion sur l'avenir du site et de ses usages. Il résulte de cette même note que la commune de Marseille souhaite, dès le 1er janvier 2024, un développement du site privilégiant des dimensions qualitatives, sa végétalisation, la diversification des activités, et son ouverture plus large aux marseillais. Dans ces conditions, les critères d'évaluation des offres tenant à la qualité de l'exploitation, soit la pertinence du développement commercial d'une nouvelle marque, la capacité à proposer de nouveaux évènements et à ouvrir le site aux marseillais par les aménagements et la programmation sont liés à l'objet du contrat de concession et n'ont ni pour objet, ni pour effet, en eux-mêmes, de défavoriser l'offre de la société Foire internationale de Marseille.

5. Toutefois, en second lieu, aux termes de l'article L. 1224-1 du code du travail : " Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise ". Ces dispositions trouvent à s'appliquer en cas de transfert par un employeur à un autre employeur d'une entité économique autonome. Constitue une entité économique autonome un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels et incorporels permettant l'exercice d'une activité qui poursuit un objectif propre, conservant son identité, et dont l'activité est poursuivie par le nouvel employeur.

6. Il résulte de l'instruction d'une part, que l'objet de la concession soumise à la concurrence est la promotion, la commercialisation, la gestion et l'exploitation déléguées du parc Chanot sous la forme d'un service public industriel et commercial, comprenant le développement, la promotion et la commercialisation d'une marque, par le délégataire, qui sera la propriété de la commune de Marseille et sous laquelle seront organisés des foires et salons par le délégataire ; le développement des capacités d'accueil évènementiel du site et une ouverture plus large au public ; la réalisation de travaux ; la gestion du service, des locaux et équipements mis à sa disposition ; la gestion technique, administrative, financière et commerciale du parc Chanot ; l'entretien courant des locaux (intérieur et extérieur), la maintenance, la réparation et le renouvellement de tout ou partie des équipements, des installations et du matériel ; la poursuite et l'amplification des actions menées en faveur du développement durable du site. D'autre part, la société Foire internationale de Marseille est liée à la commune par un contrat du 1er janvier 1985 par lequel la commune a consenti à la société requérante l'usage et la gestion du parc Chanot et le droit exclusif d'y organiser des foires et salons, à charge pour elle de tenir la foire internationale de Marseille ainsi que d'autres manifestations et de veiller à l'entretien, à la conservation et à l'amélioration du parc. Ainsi, quand bien même la marque " foire internationale de Marseille " ne serait pas qualifiable, selon les parties, de bien de retour au terme du contrat du 1er janvier 1985, et que la société Foire internationale de Marseille détiendrait seule le droit d'organiser les salons " piscine et jardins ", " rénov'maison " et " accessecurity ", l'activité concédée de gestion et d'exploitation du parc Chanot et d'entretien de cet ensemble immobilier constituera une activité identique à celle exercée par la société requérante de manière exclusive grâce au travail de quarante-sept salariés, les circonstances tenant à ce que les noms ou les thèmes des foires ou salons organisés diffèreront ou à ce que la part du chiffre d'affaires de la foire internationale de Marseille dans le chiffre d'affaires de la société requérante serait prépondérante n'étant pas suffisantes pour regarder l'activité comme substantiellement différente, dès lors, notamment, que le délégataire aura en charge l'organisation d'évènements équivalents à la foire de Marseille et aux salons organisés par la société Foire internationale de Marseille. Il résulte de ce qui précède que le transfert de la gestion et de l'exploitation du parc Chanot par la société Foire internationale de Marseille à un autre employeur au terme de la procédure en cause constituerait le transfert d'une entité économique autonome qui impliquerait le transfert des contrats de travail des salariés de la société requérante au bénéfice du concessionnaire. Dans ces conditions la mention " Aucun transfert de contrat de travail ne s'impose au nouveau délégataire " portée à l'article 11.1 du projet de cahier des charges faisant partie des documents de la consultation, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail, est susceptible d'avoir trompé les candidats sur le nombre de salariés nécessitait par le contrat et le montant des charges de personnel et, par voie de conséquence, de les avoir empêché de présenter une offre financière pertinente. Cela est également susceptible d'avoir lésé la société Foire internationale de Marseille dès lors que l'absence de reprise des contrats de travail peut avoir pour conséquence, toutes choses égales par ailleurs, de défavoriser son offre financière par rapport à d'autres candidats.

7. Il résulte de ce qui précède que la procédure de passation de la concession de la gestion et de l'exploitation du parc Chanot est irrégulière. Dès lors qu'en l'espèce les offres ont été remises à la commune de Marseille concomitamment aux candidatures, la présente décision implique d'annuler la procédure en cause.

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Foire internationale de Marseille, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la commune de Marseille au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la commune de Marseille le versement d'une somme au titre des frais exposés par la société Foire internationale de Marseille et non compris dans les dépens.

O R D O N N E :

Article 1er : La procédure de passation de la concession de la gestion et de l'exploitation du parc Chanot est annulée.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 3 : Les conclusions de la commune de Marseille présentées au titre de l'article L. 761-1 sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Foire internationale de Marseille et à la commune de Marseille.

Le juge des référés,

Signé

P-Y. GONNEAU

La République mande et ordonne au préfet des Bouches-du-Rhône en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef ;

La greffière,