TA Marseille, 24/07/2023, n°2300304

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 9 janvier 2023, la société Provence Génie Civil et Canalisations, représentée par Me Cadoz, demande au juge des référés :

1°) sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner la commune de la Roque d'Anthéron à lui verser, à titre de provision, la somme de 118 517, 64 euros TTC, assortie des intérêts moratoires à compter du 2 août 2022 et de leur capitalisation, et une indemnité forfaitaire de recouvrement de 40 euros ;

2°) de mettre à la charge de la commune de la Roque d'Anthéron la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le décompte général réceptionné par la commune le 20 juin, 2022, constitue, en l'absence de réponse de sa part, le décompte général tacite du marché ;

- la commune étant réputée l'avoir approuvé sans réserve, elle n'est plus en mesure de contester le montant de ce décompte ;

- l'obligation qu'elle réclame est donc non sérieusement contestable :

- elle a droit au versement d'une indemnité provisionnelle d'un montant de 118 517,64 euros TTC au titre du décompte général et définitif tacite du marché, assortie des intérêts moratoires et de leur capitalisation ;

- elle a droit au versement d'une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement de 40 euros.

La procédure a été communiquée à la commune de la Roque d'Anthéron, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux modifié par l'arrêté du 3 mars 2014 ;

- le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a désigné Mme A pour statuer sur les demandes de référés.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de la Roque d'Anthéron a lancé un marché public pour la création d'une médiathèque et d'une école de musique, donc le lot n° 1 " démolition/curage/gros œuvre " a été attribué à la société Provence Génie Civil et Canalisations (PROGEC) par acte d'engagement signé le 14 mai 2020. La réception des travaux a été prononcée le 13 décembre 2021 avec réserves, lesquelles ont été levées le 11 avril 2022. PROGEC a transmis son projet de décompte final au maître d'œuvre le 14 janvier 2022. En l'absence de notification du décompte par la commune, la société requérante a transmis un projet de décompte final à la commune, avec copie au maître d'œuvre, réceptionné le 20 juin 2022. La commune n'a pas répondu à cet envoi. La société PROGEC demande au juge des référés, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner la commune de la Roque d'Anthéron à lui verser la somme provisionnelle de 118 517,64 euros TTC euros correspondant au solde du décompte.

Sur la demande de provision :

2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. ".

3. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au juge des référés de rechercher si, en l'état du dossier qui lui est soumis, l'obligation du débiteur éventuel de la provision est ou non sérieusement contestable sans avoir à trancher ni de questions de droit se rapportant au bien-fondé de cette obligation ni de questions de fait soulevant des difficultés sérieuses et qui ne pourraient être tranchées que par le juge du fond éventuellement saisi. De même, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que le juge des référés peut allouer n'a d'autre limite que celle qui résulte du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui parait revêtir un caractère de certitude suffisant.

4. D'une part, aux termes de l'article 13 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) des marchés de travaux, dans sa version du 3 mars 2014, applicable au marché en litige : " 13.4.4. Si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire le décompte général dans les délais stipulés à l'article 13.4.2, le titulaire notifie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'œuvre, un projet de décompte général signé, composé : - du projet de décompte final tel que transmis en application de l'article 13.3.1 ; - du projet d'état du solde hors révision de prix définitive, établi à partir du projet de décompte final et du dernier projet de décompte mensuel, faisant ressortir les éléments définis à l'article 13.2.1 pour les acomptes mensuels ; - du projet de récapitulation des acomptes mensuels et du solde hors révision de prix définitive. / Dans un délai de dix jours à compter de la réception de ces documents, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie le décompte général au titulaire. Le décompte général et définitif est alors établi dans les conditions fixées à l'article 13.4.3 / Si, dans ce délai de dix jours, le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas notifié au titulaire le décompte général, le projet de décompte général transmis par le titulaire devient le décompte général et définitif ".

5. Il résulte de ces stipulations que l'entrepreneur se doit de notifier son projet de décompte général signé tant au représentant du pouvoir adjudicateur qu'au maître d'œuvre pour se prévaloir d'un décompte général et définitif tacite à l'expiration d'un délai de 10 jours en l'absence de notification par le pouvoir adjudicateur du décompte général dans ce même délai.

6. D'autre part, aux termes de l'article L. 2192-5 du code de la commande publique " () Pour la mise en œuvre des obligations fixées à la sous-section 1 de la présente section, utilisent le portail public de facturation : 1° L'Etat, les collectivités territoriales et les établissements publics ; 2° Les titulaires de marchés conclus avec un acheteur mentionné au 1° ainsi que leurs sous-traitants admis au paiement direct. ". L'article R. 2192-3 du même code dispose : " Un arrêté du ministre chargé du budget, annexé au présent code, définit les modalités techniques selon lesquelles le dépôt, la transmission et la réception des factures sont effectués sur le portail public de facturation en application de l'article L. 2192-5. Ces modalités garantissent la réception immédiate et intégrale des factures et assurent la fiabilité de l'identification de l'émetteur, l'intégrité des données, la sécurité, la confidentialité et la traçabilité des échanges. L'utilisation du portail public de facturation est exclusive de tout autre mode de transmission. Lorsqu'une facture lui est transmise en dehors de ce portail, la personne publique destinataire ne peut la rejeter qu'après avoir informé l'émetteur par tout moyen de l'obligation mentionnée à l'article L. 2192-1 et l'avoir invité à s'y conformer en utilisant ce portail. ". Aux termes de l'article 10.2 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché en litige : " () Le dépôt, la transmission et la réception des factures électroniques sont effectués exclusivement sur le portail de facturation Chorus Pro. Lorsqu'une facture est transmise en dehors de ce portail, la personne publique peut la rejeter après avoir rappelé cette obligation à l'émetteur et l'avoir invité à s'y conformer ".

7. Il résulte de l'instruction qu'à la suite de la réception des travaux prononcée le 13 décembre 2021 avec réserves, la société requérante a établi son projet de décompte final présentant un solde positif en sa faveur de 155 270,49 euros TTC, qu'elle a adressé par voie postale au maître d'œuvre et à la commune le 14 janvier 2022, et déposé sur la plateforme " Chorus " le même jour. Par courrier du 16 juin 2022, la commune de la Roque d'Anthéron a informé la société requérante qu'elle ne pouvait prendre en compte le décompte adressé le 14 janvier 2022 dès lors qu'il n'avait pas été déposé sur la plateforme " Chorus ". Toutefois, il résulte du certificat de dépôt daté du 14 janvier 2022 produit par la société requérante que cette dernière a bien déposé son projet de décompte sur la plateforme Chorus. La circonstance que PROGEC n'aurait pas déposé, au préalable, son projet de décompte sur la plateforme " Ediflex ", tel que prévu par l'article 3 du CCAP, ce qu'elle a fait au demeurant le 10 mars 2022, est sans influence sur les délais mentionnés au CCAG travaux précités. En l'absence de notification d'un projet de décompte général dans le délai de 30 jours prévu à l'article 13.4.2 du CCAG travaux, la société requérante a alors notifié le 17 juin 2022 à la commune et au maître d'œuvre un projet de décompte général signé, qu'elle a également déposé sur la plateforme " Chorus " le 12 juillet 2022, faisant état d'un solde restant à payer de 118 517,64 euros TTC. Le pouvoir adjudicateur n'a pas notifié au titulaire le décompte général dans le délai de dix jours. Dans ces conditions, le projet de décompte général transmis par le titulaire est devenu le décompte général et définitif au 22 juillet 2022. Par suite, la créance dont se prévaut la société PROGEC apparait, en l'état, comme non sérieusement contestable. En conséquence, il y a lieu de condamner la commune de la Roque d'Anthéron à verser à cette société la somme provisionnelle de 118 517,64 euros.

Sur les intérêts moratoires et l'indemnité forfaitaire de recouvrement :

8. Aux termes de l'article R. 2192-16 du code de la commande publique : " Pour le paiement du solde des marchés de travaux conclus par l'Etat, ses établissements publics ayant un caractère autre qu'industriel et commercial, les collectivités territoriales et leurs établissements publics, le délai de paiement court à compter de la date de réception par le maître de l'ouvrage du décompte général et définitif établi dans les conditions fixées par le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux ". L'article R. 2192-31 du même code dispose : " Le taux des intérêts moratoires mentionnés à l'article L. 2192-13 est égal au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à ses opérations principales de refinancement les plus récentes, en vigueur au premier jour du semestre de l'année civile au cours duquel les intérêts moratoires ont commencé à courir, majoré de huit points de pourcentage ". Aux termes de l'article R. 2192-33 de ce code : " Les intérêts moratoires appliqués aux acomptes ou au solde sont calculés sur le montant total de l'acompte ou du solde toutes taxes comprises, diminué de la retenue de garantie, et après application des clauses d'actualisation, de révision et de pénalisation ". Aux termes de l'article R. 2192-10 de ce code : " Le délai de paiement prévu à l'article L. 2192-10 est fixé à trente jours pour les pouvoirs adjudicateurs, y compris lorsqu'ils agissent en tant qu'entité adjudicatrice ". Aux termes de l'article R. 2192-12 du même code : " Sous réserve des dispositions prévues aux articles R. 2192-13, R. 2192-17 et R. 2192-18, le délai de paiement court à compter de la date de réception de la demande de paiement par le pouvoir adjudicateur ou, si le marché le prévoit, par le maître d'œuvre ou toute autre personne habilitée à cet effet. " Aux termes de l'article R.2192-31 du même code : " Le taux des intérêts moratoires mentionnés à l'article L. 2192-13 est égal au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à ses opérations principales de refinancement les plus récentes, en vigueur au premier jour du semestre de l'année civile au cours duquel les intérêts moratoires ont commencé à courir, majoré de huit points de pourcentage. ". Aux termes de l'article 2192-32 du même code : " Les intérêts moratoires courent à compter du lendemain de l'expiration du délai de paiement ou de l'échéance prévue par le marché jusqu'à la date de mise en paiement du principal incluse ". Aux termes de son article L.2192-13 : " () Le retard de paiement donne lieu, de plein droit et sans autre formalité, au versement d'une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement, dont le montant est fixé par voie réglementaire. / () ". Aux termes de son article D.2192-35: " Le montant de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement est fixé à 40 euros. ".

9. Il résulte de ce qui a été dit au point 7 que le décompte général et définitif est né tacitement le 22 juillet 2022. Par suite, en application des dispositions précitées, le délai de paiement était fixé au 22 août 2022, faisant courir le versement d'intérêt moratoires à compter du 23 août 2022. Il en résulte que la commune de La Roque d'Anthéron est condamnée à verser à la société PROGEC, à titre de provision, les intérêts moratoires sur la somme de 118 517,64 euros à compter du 23 août 2022, ainsi que la somme de 40 euros correspondant à l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement. Ces intérêts seront capitalisés au 23 août 2023 et à chaque échéance annuelle ultérieure.

Sur les frais d'instance :

10. Aux termes de l'article L.761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

11. Il y a lieu de mettre à la charge de la commune de La Roque d'Anthéron la somme de 1 500 euros en application des dispositions précitées.

O R D O N N E :

Article 1er : La commune de La Roque d'Anthéron est condamnée à verser à la société PROGEC la somme provisionnelle de 118 517,64 euros assortie des intérêts moratoires à compter du 23 août 2022 au taux réglementaire, ainsi que la somme de 40 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement. Les intérêts échus à la date du 23 août 2023 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : La commune de La Roque d'Anthéron versera la somme de 1 500 euros à la société PROGEC au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Provence Génie Civil et Canalisations et à la commune de la Roque d'Anthéron.

La juge des référés,

Signé

C. A

La République mande et ordonne au préfet des Bouches-du-Rhône en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

P. La greffière en chef,

La greffière,