TA Mayotte, 07/08/2023, n°2302934

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 30 juin et 2 août 2023, la sarl Papeterie Roxane, représentée par Me Rahmani, demande au juge des référés sur le fondement des dispositions des articles L. 551-1 et suivants du code de justice administrative :

1°) d'enjoindre à la commune de Dembeni de suspendre la procédure de passation du lot n° 2 du marché de fournitures scolaires, matériels pédagogiques et sport ;

2°) d'annuler la décision du 20 juin 2023 par laquelle la commune de Dembéni a rejeté son offre ;

3°) d'annuler la procédure de passation de ce marché et d'ordonner la reprise de la procédure ;

4°) de mettre à la charge de la commune une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la commune a manqué aux obligations d'égalité de traitement et de transparence dès lors qu'il existe un flou au regard de la nature et de l'étendue des besoins du pouvoir adjudicateur s'agissant du critère de la valeur technique, que la commune n'a fixé aucun sous-critère et qu'elle s'est octroyée la liberté de choisir et de noter discrétionnairement les candidats sur le critère de la valeur technique. Ces manquements l'ont lésée dès lors qu'elle s'est vue attribuer une note de 12 sur ce critère, alors qu'elle bénéficie de la note maximum pour les autres critères ;

- la pondération des critères d'attribution est disproportionnée au regard du marché, dès lors que le critère valeur technique est très élevé alors que la nature du marché ne requiert aucune spécificité particulière, contrairement au critère du délai de livraison, alors que la situation géographique de Mayotte et les impératifs de respect des dates de livraison importent énormément.

La société Artémis LDE a produit un mémoire en défense le 17 juillet 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu la décision par laquelle le président du tribunal a désigné Mme Baizet, première conseillère, en qualité de juge des référés.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience publique qui a eu lieu 3 août 2023 à 9 heures (heure de Mayotte), la juge des référés siégeant au tribunal administratif de La Réunion dans les conditions prévues à l'article L. 781-1 et aux articles R. 781-1 et suivants du code de justice administrative, Mme A étant greffière d'audience au tribunal administratif de Mayotte.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Baizet, juge des référés ;

- les observations de Me Hermand pour la sarl Papeterie Roxane.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. La caisse des écoles de Dembéni a lancé une procédure de mise en concurrence en vue de l'attribution d'un marché de fournitures scolaires, matériels pédagogiques et sport. La société requérante, la sarl Papeterie Roxane a soumissionné à l'attribution du lot n°2 " Album jeunesse et manuels scolaires " de ce marché et s'est vu rejeter son offre, par lettre du 20 juin 2023, étant classée en troisième position avec une note totale de 72/100. L'entreprise Artémis LDE, qui s'est vu attribuer la note globale de 90/100, a été désignée attributaire du marché. La sarl Papeterie Roxane demande au juge du référé précontractuel, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la procédure de passation de ce marché public.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix () ". Selon l'article L. 551-10 du même code : " Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat () et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué () ". Il appartient au juge du référé précontractuel de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte, en avantageant une entreprise concurrente.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'absence de précision des besoins au regard du critère de la valeur technique :

3. Pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire, dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats. Dans le cas où le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d'autres critères que celui du prix, l'information appropriée des candidats doit alors porter également sur les conditions de mise en œuvre de ces critères. Il appartient au pouvoir adjudicateur d'indiquer les critères d'attribution du marché et les conditions de leur mise en œuvre selon les modalités appropriées à l'objet, aux caractéristiques et au montant du marché concerné.

4. Il résulte de l'instruction, et notamment du règlement de la consultation, que la commune a défini trois critères d'attribution pour le lot n° 2 " Album jeunesse et manuels scolaires " du marché à bon de commande en litige : le critère Délai de livraison pondéré à 10%, le critère Prix des prestations pondéré à 50% et le critère Valeur technique pondéré à 40% ". Les candidats devaient produire, outre le bordereau de prix unitaire, une description des fournitures, ainsi que des échantillons ou des photographies de celles-ci, tels qu'un catalogue avec des images relatives aux articles proposés, le CCAP rappelant que les prestations étaient traitées à prix unitaire. Le CCAP rappelait également les montants minimum et maximum de commandes pour la durée initiale et les périodes de reconduction. Il résulte en outre du cahier des clauses techniques particulières que la commune a défini ses besoins, pour le lot n°2 " Album jeunesse et manuels scolaires " de la manière suivante : " Le prestataire s'engage à fournir les livres autorisés par l'Education nationale. L'offre doit comprendre les manuels scolaires pour les élèves de maternelle et élémentaire de la commune de Dembéni. L'attributaire devrait être en mesure de répondre à la demande dans sa plus grande diversité. Il devrait s'engager à fournir les manuels et les albums jeunesses que les enseignants auront choisi ". La commune a ainsi définit de manière précise ses besoins au regard du critère de la valeur technique, lequel critère ne nécessitait pas, au égard à son objet, à l'absence de technicité particulière des fournitures, et à la circonstance que la fourniture devait correspondre aux livres autorisés par l'Education nationale, que la commune définisse un sous critère d'appréciation. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la commune aurait manqué aux principes d'égalité de traitement et de transparence doit être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré du " caractère disproportionné " de la pondération des critères d'attribution :

5. Il appartient au pouvoir adjudicateur de déterminer l'offre économiquement la plus avantageuse en se fondant sur des critères permettant d'apprécier la performance globale des offres au regard de ses besoins. Ces critères doivent être liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution, être définis avec suffisamment de précision pour ne pas laisser une marge de choix indéterminée et ne pas créer de rupture d'égalité entre les candidats. Le pouvoir adjudicateur détermine librement la pondération des critères de choix des offres. Toutefois, il ne peut légalement retenir une pondération, en particulier pour le critère du prix ou du coût, qui ne permettrait manifestement pas, eu égard aux caractéristiques du marché, de retenir l'offre économiquement la plus avantageuse.

6. Ainsi qu'il a été dit précédemment, la commune a défini trois critères d'attribution pour le lot n° 1 " Fournitures scolaires, fournitures de bureaux à usage scolaire " du marché à bon de commande en litige : le critère Délai de livraison pondéré à 10%, le critère Prix des prestations pondéré à 50% et le critère Valeur technique pondéré à 40% ". Alors qu'il n'appartient pas au juge du référé précontractuel de contrôler le caractère disproportionné de la pondération, mais seulement de vérifier que le pouvoir adjudicateur n'a pas retenu une pondération qui ne permet manifestement pas de retenir l'offre économiquement la plus avantageuse, il ne résulte pas de l'instruction qu'en retenant une pondération de 10 % pour le délai de livraison, tout en précisant que les " livraisons doivent être effectives dès la rentrée scolaire ", et ce, quelle que soit la localisation géographique de la société, charge donc à l'entreprise attributaire de respecter les délais de livraisons et alors que le coût de la livraison dans chaque établissement est compris dans le critère du prix, et une pondération de 40 % pour le critère de la valeur technique, s'agissant de livres et manuels scolaires destinés à des écoles, la commune aurait retenu une pondération ne lui permettant pas de retenir l'offre économiquement la plus avantageuse.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la sarl Papeterie Roxane tendant à l'annulation de la procédure de passation du lot n° 2 du marché de " fournitures scolaires, matériels pédagogiques et sport " doivent être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de la commune de Dembéni la somme demandée par la société requérante au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la sarl Papeterie Roxane est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la sarl papeterie Roxane, à la société Artémis LDE et à la caisse des écoles de la commune de Dembéni.

Fait à Mamoudzou, le 7 août 2023.

La juge des référés,

E. BAIZET

La République mande et ordonne au préfet de Mayotte en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.