TA Mayotte, 20/02/2023, n°2206338

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- - la directive 2014/24/UE du Parlement et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE ;

- le code de la santé publique ;

- le code des marchés publics ;

- le code de la commande publique ;

- le décret n° 2021-1111 du 23 août 2021 ;

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne Simonsen Weel A/S c/ Region Nordjylland og Region Syddanmark du 17 juin 2021 (C-23/20) ;

- le code de justice administrative.

Vu la décision en date du 1er septembre 2022, prise en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, par laquelle le président du Tribunal a désigné M. Bauzerand, vice-président, en qualité de juge des référés.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience publique qui a eu lieu le 12 janvier 2023 à 9 heures 00, le magistrat constituant la formation de jugement compétente siégeant au tribunal administratif de La Réunion, dans les conditions prévues à l'article L. 781-1 et aux articles R. 781-1 et suivants du code de justice administrative, M. A, étant greffier d'audience au tribunal administratif de Mayotte.

Au cours de l'audience publique, M. B a lu son rapport et entendu :

- les observations de Me Lomari, substituant Me Fröhlich, pour la société requérante qui conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ;

- les observations de Me Saïdal pour la caisse des écoles de Dembéni qui reprend ses écritures en défense.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. Par avis d'appel à la concurrence publié le 28 septembre 2022 au Bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP) et au Journal officiel de l'Union européenne (JOUE), la caisse de écoles de Dembéni a lancé une consultation en vue de la passation d'un accord-cadre à bons de commande, alloti en deux lots et ayant pour objet la fabrication et la livraison quotidienne de collations scolaires destinées aux élèves des écoles maternelles et primaires de la commune. Par un courrier en date du 16 décembre 2022, la caisse des écoles a informé la société Extenso Mayotte que son offre n'était pas retenue et que l'offre proposée par la société Panima était celle qui était retenue. Par la présente requête, la société Extenso Mayotte demande au juge des référés précontractuels l'annulation de la procédure de passation de ce marché public et la reprise de celle-ci au stade de l'appel d'offres.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L ; 551-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. ". L'article L. 551-2 du même code dispose que : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations " ;

3. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquement. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

Sur les conclusions aux fins d'annulation et d'injonction :

En ce qui concerne la rupture d'égalité de traitement des candidats

4. Aux termes de l'article L. 2113-10 du code de la commande publique: " Les marchés sont passés en lots séparés, sauf si leur objet ne permet pas l'identification de prestations distinctes. ". Aux termes de l'article L. 2152-7 du code de la commande publique : " Le marché est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base d'un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution. Les modalités d'application du présent alinéa sont prévues par voie réglementaire. / Les offres sont appréciées lot par lot. / () "

5. Il résulte de l'instruction et il n'est d'ailleurs pas contesté en défense que le pouvoir adjudicateur n'a pas examiné chaque offre lot par lot, mais a procédé à l'appréciation globale de ces offres, en méconnaissance des dispositions précitées de L. 2152-7 du code de la commande publique. La circonstance, au demeurant inexacte, que les offres présentées contenaient les mêmes propositions, est sans incidence sur le respect de la procédure de passation des lots qui avait été librement choisie par le pouvoir adjudicateur qui ne pouvait, dès lors, s'en affranchir. La société requérante est, par suite fondée à soutenir que la procédure est entachée d'irrégularité.

En ce qui concerne la méthode de notation des offres :

S'agissant de l'absence de Détail Quantitatif Estimatif (DQE) :

6. Si la société requérante soutient que le pouvoir adjudicateur a méconnu les dispositions de l'article R. 2111-7 du code de la commande publique, dès lors qu'aucun détail quantitatif estimatif (DQE) n'a été établi, il est constant qu'elle a été classée première sur le critère prix et que cette méthode, qui a certes réduit les écartes entres les notes finales, n'a caractérisé aucun manquement aux règles de concurrence qui aurait été susceptible de la léser.

S'agissant de l'absence de maximum en valeur ou quantité :

En ce qui concerne le moyen tiré du défaut de mention du montant maximal de l'accord-cadre :

7. Aux termes de l'article R. 2162-4 du code de la commande publique : " Les accords-cadres peuvent être conclus : / 1° Soit avec un minimum et un maximum en valeur ou en quantité ; / 2° Soit avec seulement un minimum ou un maximum ; / 3° Soit sans minimum ni maximum ".

8. Aux termes de l'article 49 de la directive du 26 février 2014 : " Les avis de marché sont utilisés comme moyen d'appel à la concurrence pour toutes les procédures, sans préjudice de l'article 26, paragraphe 5, deuxième alinéa, et de l'article 32. Les avis de marché contiennent les informations prévues à l'annexe V, partie C, et sont publiés conformément à l'article 51. ". Aux termes du point 7 du C relatif aux informations qui doivent figurer dans les avis de marché de l'annexe V de cette directive : " : Description du marché : nature et étendue des travaux, nature et quantité ou valeur des fournitures, nature et étendue des services. Si le marché est divisé en lots, indiquer cette information pour chaque lot. Le cas échéant, description des options. ". L'article R. 2162-4 du code de la commande publique, dans sa rédaction applicable au présent litige, dispose que : "Les accords-cadres peuvent être conclus : / 1° Soit avec un minimum et un maximum en valeur ou en quantité ; / 2° Soit avec seulement un minimum ou un maximum ; / 3° Soit sans minimum ni maximum ". Toutefois, par l'arrêt du 17 juin 2021 mentionné dans les visas, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a dit pour droit que " l'avis de marché doit indiquer la quantité et/ou la valeur estimée ainsi qu'une quantité et/ou valeur maximale des produits à fournir en vertu d'un accord-cadre et qu'une fois que cette limite aurait été atteinte, ledit accord-cadre aura épuisé ses effets". Par suite, un accord-cadre doit indiquer une valeur ou une quantité maximale dans le cadre la procédure de passation du marché public, un tel principe étant applicable en l'espèce.

9. Il résulte de l'instruction, ainsi que le soutient la société requérante, que le marché passé sous la forme d'un accord-cadre ne comporte, ni montant minimum, ni montant maximum, sur le fondement du 3° de l'article R. 2162-4 du code de la commande publique. Il résulte de ce qui a été dit au point 7 que ce marché méconnaît ainsi les dispositions de l'article 49 de la directive du 26 février 2014, qui sont d'application directe.

10. Il résulte de l'instruction, que ni l'avis de marché, ni le cahier des clauses techniques particulières, ni aucune autre pièce du marché ne mentionne la quantité ou la valeur maximale des produits à fournir. L'article 12 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) se borne à citer un effectif minimum et maximum par lot pour ajouter immédiatement qu'il est susceptible d'évoluer en cours d'année scolaire. Au surplus, cette indication est contredite par les dispositions de l'article 4.1 du cahier des clauses techniques particulières qui mentionnent expressément que l'accord-cadre est conclu sans maximum. Dans ces conditions, et alors que l'accord-cadre en litige relève du champ d'application de la directive du 26 février 2014 mentionnée ci-dessus, la société Extenso Mayotte est fondée à soutenir que la procédure de passation est irrégulière.

En ce qui concerne le manquement aux obligations d'information :

11. Aux termes de l'article R. 2181-3 du code de la commande publique : " La notification prévue à l'article R. 2181-1 mentionne les motifs du rejet de la candidature ou de l'offre. / Lorsque la notification de rejet intervient après l'attribution du marché, l'acheteur communique en outre : / 1° Le nom de l'attributaire ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de son offre ; / 2° La date à compter de laquelle il est susceptible de signer le marché dans le respect des dispositions de l'article R. 2182-1. ". Aux termes de l'article R. 2181-4 de ce code : " A la demande de tout soumissionnaire ayant fait une offre qui n'a pas été rejetée au motif qu'elle était irrégulière, inacceptable ou inappropriée, l'acheteur communique dans les meilleurs délais et au plus tard quinze jours à compter de la réception de cette demande :() / 2° Lorsque le marché a été attribué, les caractéristiques et les avantages de l'offre retenue. ".

12. L'information sur les motifs du rejet de son offre dont est destinataire l'entreprise en application des dispositions précitées a, notamment, pour objet de permettre à la société non retenue de contester utilement le rejet qui lui est opposé devant le juge du référé précontractuel saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative. Par suite, l'absence de respect de ces dispositions constitue un manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence. Cependant, un tel manquement n'est plus constitué si l'ensemble des informations, mentionnées aux articles du code de la commande publique précités, a été communiqué au candidat évincé à la date à laquelle le juge des référés statue sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, et si le délai qui s'est écoulé entre cette communication et la date à laquelle le juge des référés statue a été suffisant pour permettre à ce candidat de contester utilement son éviction.

13. Par un courrier du 16 décembre 2022, la caisse des écoles de Dembeni a informé la société Extenso Mayotte que son offre n'avait pas été retenue, lui a précisé les notes attribuées tant à elle qu'à l'attributaire pour chacun des critères, ainsi que son classement. Par un courriel en date du 19 décembre 2022, la société requérante a sollicité du pouvoir adjudicateur la communication des notes obtenues sur les sous-critères et les prix proposés par l'attributaire. Sans réponse de la caisse des écoles, la requérante est fondée à soutenir que le pouvoir adjudicateur ne l'a pas suffisamment informée des motifs du rejet de son offre et que les dispositions précitées du code de la commande publique ont été méconnues. Toutefois, il résulte de l'instruction que dans son mémoire en défense, la caisse des écoles de Dembéni mentionne les prix proposés par chacune des cinq sociétés ayant été admises à déposer des offres. Pour tardive que soit cette communication, il n'en demeure pas moins que la société requérante a disposé d'une information suffisamment complète sur les motifs qui ont conduit le pouvoir adjudicateur à écarter son offre et à retenir celle de la sociétéPanima, de nature à lui permettre de contester utilement, avant que le juge des référés ne statue, les conditions dans lesquelles a été attribué l'accord-cadre litigieux. Il résulte de ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le pouvoir adjudicateur aurait méconnu les articles du code de la commande publique cités au point 11.

14. Il résulte de tout ce qui précède que seuls les manquements relevés aux points 5 et 10 sont de nature à avoir lésé les intérêts de la requérante. La SARL Extenso Mayotte est fondée à demander l'annulation de la décision de rejet de l'offre qu'elle a présentée pour les lots 1 et 2 de l'accord-cadre ayant pour objet la fabrication et la livraison quotidienne de collations scolaires destinées aux élèves des écoles maternelles et primaires de la commune. En conséquence, si la caisse des écoles entend conclure un accord-cadre ayant le même objet, cette procédure devra être reprise intégralement.

Sur les frais du litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SARL Extenso Mayotte, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la caisse des écoles de Dembéni demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

16. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces mêmes dispositions et de mettre à la charge de la caisse des écoles de Dembéni une somme de 3 000 euros à verser à la SARL Extenso Mayotte au titre des mêmes frais.

ORDONNE :

Article 1er : La procédure de passation l'accord-cadre ayant pour objet la fabrication et la livraison quotidienne de collations scolaires destinées aux élèves des écoles maternelles et primaires de la commune de Dembéni est annulée.

Article 2 : La procédure de passation des lots nos 1 et 2 de l'accord-cadre ayant pour objet la fabrication et la livraison quotidienne de collations scolaires destinées aux élèves des écoles maternelles et primaires de la commune étant annulée, la Caisse des écoles de Dembéni, si elle entend poursuivre cette procédure, devra la reprendre intégralement.

Article 3 : La Caisse des écoles de Dembéni versera à la SARL Extenso Mayotte une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la caisse des écoles de Dembéni tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées du fait de sa qualité de partie perdante dans la présente instance.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la SARL Extenso Mayotte, à la SAS Panima et à la Caisse des écoles des Dembéni

Fait à Mamoudzou, le 20 février 2023.

Le juge des référés,

Ch. B

La République mande et ordonne au préfet de Mayotte en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.