TA Montpellier, 13/06/2024, n°2304397


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés le 26 juillet 2023 et le 26 mai 2024, Madame C B et Monsieur A D, représentés par Me Mazas, demande au tribunal :

1°) d'annuler le contrat de marché public signé entre le maire de la commune de Saint-Martin-de-Londres et les entreprises Citéos et Travesset en vue du déploiement et de la maintenance de la vidéo-protection sur le territoire de la commune ;

2°) d'enjoindre au maire de Saint-Martin-de-Londres de reprendre l'ensemble de la procédure en respectant la compétence du conseil municipal de Saint-Martin-de-Londres ;

3°) de condamner la commune de Saint-Martin-de-Londres à payer respectivement à Mme B et à M. D la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Martin-de-Londres une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le maire était incompétent pour signer le contrat en ce que la délégation générale de compétence consentie par délibération du conseil municipal du 10 juillet 2020 est trop générale pour lui permettre de prendre seul des décisions relatives au déploiement de vidéo-protection sur le territoire de la commune, le conseil municipal était compétent pour signer le marché public ;

- les conseillers municipaux ont été irrégulièrement informés des caractéristiques du marché et ont fait état d'un défaut d'information ;

- les lignes de la trésorerie sont limités à 500 000 euros dans la délibération n° 31/2020 portant délégation du conseil municipal au maire de certaines de ses attributions, montant qu'excède le marché en litige ;

- la commission d'appels d'offres était irrégulièrement composée en ce qu'elle ne comprend que des élus de la majorité et un membre non élu.

Par un mémoire, enregistré le 15 avril 2024, la commune de Saint-Martin-de-Londres, représentée par la Selarl Territoires Avocats, conclut au rejet de la requête en tant qu'elle n'est pas fondée, et à ce que Madame B et Monsieur D leur versent une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. E,

- les conclusions de M. Lauranson, rapporteur public,

- et les observations de Me. Mazas pour les requérants et de Me Télès pour la commune de Saint-Martin-de-Londres.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Saint-Martin-de-Londres a, le 3 février 2023, engagé une consultation, selon une procédure adaptée, en vue de la passation d'un accord-cadre à bons de commande mono-attributaire avec le groupement conjoint composé des entreprises Citeos Sas Travesset et Giorgi - Ets Citeos, ayant pour objet les travaux de déploiement et maintenance du système de vidéo- protection urbaine sur son territoire, pour une durée d'un an renouvelable trois fois. Par la présente requête, Mme B et M. D demandent, en leur qualité de conseiller municipal, l'annulation de ce marché public signé le 25 mai 2023, ainsi que la condamnation de la commune de Saint-Martin-de-Londres à leur verser à chacun une somme de 5000 euros en réparation de leur préjudice moral.

Sur les conclusions à fin d'annulation ou de résiliation du marché :

2. En premier lieu, indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité. Les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini.

3. En second lieu, saisi ainsi par un membre de l'organe délibérant dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.

En ce qui concerne les vices allégués :

4. D'une part, aux termes de l'article L. 2211-1 du code général des collectivités territoriales : " Le maire concourt à la politique de prévention de la délinquance dans les conditions prévues à la section I du chapitre II du titre III du livre Ier du code de la sécurité intérieure. ". L'article L. 2212-1 du même code dispose : " Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l'Etat dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l'exécution des actes de l'Etat qui y sont relatifs. " L'article L. 2212-2 de ce code ajoute : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique. Elle comprend notamment : 1° Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques (). 2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d'ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d'assemblée publique, les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique (). ". Et, aux termes de l'article L. 132-1 du code de la sécurité intérieure : " Le maire concourt par son pouvoir de police à l'exercice des missions de sécurité publique et de prévention de la délinquance, sauf application des dispositions des articles L. 742-2 à L. 742-7 ", l'article L. 252-1 du même code disposant : " L'installation d'un système de vidéoprotection dans le cadre du présent titre est subordonné à une autorisation du représentant de l'Etat dans le département () après avis de la commission départementale () ". Enfin, aux termes de l'article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales : " Le maire peut, en outre, par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat : () 4° Prendre toute décision concernant la préparation, la passation, l'exécution et le règlement des marchés et accords-cadres ainsi que toute décision concernant leurs avenants lorsque les crédits sont inscrits au budget, quel que soit leur montant ; () ".

5. Il résulte de ces dispositions que la mise en œuvre d'un dispositif de vidéo-protection se fait dans le cadre des pouvoirs de police générale du maire, chargé de la mission de surveillance de la voie publique qui relève de la police municipale, après autorisation du préfet agissant dans le cadre de ses pouvoirs de police spéciale.

6. D'autre part, aux termes de l'article L. 2121-29 du code général des collectivités territoriales : " Le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune ".

7. Il résulte de l'instruction que si, avant la passation de l'accord-cadre à bons de commande en litige, ayant pour objet les travaux de déploiement et maintenance du système de vidéo-protection urbaine, le maire, compétent pour engager contractuellement la commune de Saint-Martin-de-Londres, a obtenu, le 5 octobre 2022, l'autorisation du préfet de l'Hérault, il n'a en revanche, pas préalablement inscrit à l'ordre du jour du conseil municipal, notamment lors de la séance du 26 janvier 2023, l'approbation du principe de l'installation d'un dispositif de vidéo-protection sur l'ensemble du territoire de la commune, laquelle intéresse les affaires de la commune notamment d'un point de vue domanial, en ce qu'il comporte la pose de caméras sur le territoire de la commune. Par suite, ce vice de procédure présente un caractère substantiel.

En ce qui concerne les conséquences du vice de procédure :

8. Saisi ainsi par un tiers dans les conditions définies au point 2 de la présente décision, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours autre que le représentant de l'Etat dans le département ou qu'un membre de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.

9. En premier lieu, le vice de procédure, relevé au point 7, qui affecte les conditions dans lesquelles la personne publique a donné son consentement, est de nature à entraîner l'annulation du marché public en litige, alors qu'aucun autre moyen de la requête n'est de nature à conduire à cette annulation ou à sa résiliation. Toutefois, ce vice de procédure étant régularisable, il y a lieu d'annuler l'accord-cadre à bons de commande mono-attributaire signé par la commune de Saint-Martin-de-Londres ayant pour objet les travaux de déploiement et maintenance du système de vidéo protection urbaine sur son territoire, sauf si la commune procède, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, à la régularisation de ce contrat en adoptant une délibération approuvant l'installation du système de vidéo-protection urbaine sur son territoire.

10. En second lieu, Mme B et M. D, agissant respectivement en qualité de conseiller municipal de la commune de Saint-Martin-de-Londres n'établissent pas le préjudice dont ils demandent la réparation. Il y a donc lieu de rejeter leurs conclusions indemnitaires.

Sur les frais du litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme B et M. D une somme à verser à la commune de Saint-Martin de Londres. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Saint-Martin de Londres la somme de 1 000 euros à verser à Mme B et M. D sur le fondement de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : L'accord-cadre signé le 25 mai 2023 est annulé, sauf si la commune de Saint-Martin- de-Londres procède, au plus tard dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, à la régularisation de la procédure de passation de ce contrat en adoptant une délibération approuvant l'installation du système de vidéo-protection urbaine en cause sur son territoire.

Article 2 : La commune de Saint-Martin-de-Londres versera à Mme B et M. D la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme C B, à M. A D et à la commune de Saint-Martin-de-Londres.

Délibéré après l'audience du 30 mai 2024, à laquelle siégeaient :

M. Eric Souteyrand, président,

Mme Adrienne Bayada, première conseillère,

Mme Audrey Lesimple, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juin 2024.

Le président-rapporteur,

E. E L'assesseure la plus ancienne,

A. Bayada

La greffière,

M-A. Barthélémy

La République mande et ordonne au préfet de l'Hérault en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Montpellier le 13 juin 2024.

La greffière,

M-A. Barthélémy