TA Orléans, 14/04/2023, n°1902495
Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires enregistrés le 11 juillet 2019, le 4 novembre 2020 et le 14 décembre 2020, le préfet du Loiret, représenté par Me Gally, a demandé au tribunal administratif d'Orléans, d'une part, de condamner solidairement la société Crea'ture Architectes, la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest et la société Socotec à verser à l'Etat une somme de 245 227,51 euros toutes taxes comprises (TTC) au titre de la reprise des désordres affectant le bâtiment P de la Cité Coligny d'Orléans, ainsi qu'une somme de 54 184,52 euros TTC à titre de remboursement des dépenses déjà engagées pour la reprise de ces désordres et, d'autre part, d'ordonner un complément d'expertise afin d'examiner l'ensemble de ces désordres.
Par un jugement avant dire droit du 8 mars 2022, le tribunal a, d'une part, condamné la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest et la société Crea'ture Architectes à verser solidairement à l'Etat la somme de 5 009,71 euros TTC au titre des désordres se rapportant à l'étanchéité des assises de murs rideaux en façade rue des Murlins, condamné la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest, la société Crea'ture Architectes et la société Socotec Construction à verser solidairement à l'Etat la somme de 223 172,61 euros TTC au titre des désordres se rapportant aux stores extérieurs et condamné la société Crea'ture Architectes à verser à l'Etat les sommes de 13 043,30 euros TTC au titre des désordres se rapportant aux ouvrants et 3 288 euros TTC au titre des désordres affectant l'étanchéité des couvertures et, d'autre part, ordonné un complément d'expertise aux fins, notamment, d'identifier la nature et l'étendue des fissurations constatées au niveau des passerelles des étages reliant les bâtiments P1 et P2 et du sous-sol des mêmes bâtiments, de déterminer si ces désordres sont de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination et d'évaluer le coût des travaux nécessaires à leur reprise. Enfin, il a partiellement fait droit aux appels en garantie présentés par les défendeurs.
Par des mémoires enregistrés le 16 janvier 2023 et le 6 mars 2023, la préfète du Loiret, représentée par Me Gally, demande au tribunal :
1°) de condamner la société Crea'ture Architectes à verser à l'Etat une somme de 8 936,85 euros TTC à indexer sur l'indice BT 01 du coût de la construction à compter du dépôt du rapport d'expertise complémentaire du 21 novembre 2022, en réparation des désordres affectant les passerelles du bâtiment P de la cité Coligny située à Orléans, somme assortie des intérêts au taux légal à compter de la date d'enregistrement de la requête et de la capitalisation de ces intérêts ;
2°) de mettre à la charge solidaire de la société Crea'ture Architectes, de la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-ouest et de la société Socotec les entiers dépens, comprenant le coût de l'expertise judiciaire et une somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les désordres constatés par l'expert qui affectent les éléments d'embellissements des passerelles résultent d'une insuffisance d'anticipation de désordres prévisibles imputables à la société Crea'ture Architectes, elle-même constitutive d'une faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle à l'égard de l'Etat sur le fondement de l'ancien article 1147 du code civil ;
- la signature du décompte général et définitif ne fait pas obstacle à sa réclamation, dès lors que celle-ci se fonde sur l'existence de désordres apparus postérieurement à la date de réception de l'ouvrage, au-delà de l'année de garantie de parfait achèvement.
Par un mémoire enregistré le 2 février 2023, la société Crea'ture Architectes, représentée par Me Bardon, conclut au rejet des conclusions présentées par la préfète du Loiret et demande au tribunal de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- à titre principal, les conclusions présentées à son encontre fondées sur l'engagement de sa responsabilité contractuelle sont irrecevables, dès lors qu'un décompte général et définitif a été signé entre les parties ;
- à titre subsidiaire, le montant des dommages et intérêts dus à l'Etat doit être réduit à la somme maximale de 8 936,85 euros TTC.
Par des mémoires enregistrés le 31 janvier 2023 et le 9 mars 2023, la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-ouest, représentée par Me Delavoye, conclut à la condamnation solidaire de la société Socotec Construction et de la société Crea'ture Architectes à la relever et garantir indemne des éventuelles condamnations prononcées à son encontre sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à hauteur de 75 %, ainsi qu'à la compensation des sommes éventuellement dues avec celles dues par l'Etat sur le même fondement, à la limitation du montant des dépens à mettre à sa charge à hauteur de la somme de 13 623,98 euros TTC, ainsi qu'à la condamnation solidaire de la société Socotec Consruction et de la société Crea'ture Architectes à la relever et garantir indemne des éventuelles condamnations prononcées à son encontre à hauteur de 75 % et demande au tribunal de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- aucune demande n'est formée à son encontre au titre des désordres affectant les embellissements de la passerelle du bâtiment en litige ;
- en tout état de cause, les désordres affectant les embellissements ne lui sont pas imputables ;
- sa demande en garantie tient compte de la part d'imputabilité mise à sa charge par le jugement avant dire droit du 8 mars 2022.
Par un mémoire enregistré le 3 mars 2023, la société Socotec Construction, représentée par Me Rodier, conclut au rejet des conclusions présentées par la préfète du Loiret, au rejet des conclusions à fin de garantie présentées par la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-ouest, ainsi qu'à sa mise hors de cause, et demande au tribunal de mettre à la charge de l'Etat, et à défaut de tout succombant, une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.
Elle soutient que :
- aucune demande n'est présentée à son encontre au titre des désordres affectant les embellissements des passerelles ;
- à titre principal, ces désordres ne sont pas rattachables à ses missions de contrôleur technique, ni à une quelconque exécution fautive de sa part ; sa responsabilité ne peut donc pas être recherchée en application des dispositions de l'article L. 111-24 du code de la construction et de l'habitation ;
- à titre subsidiaire, sa responsabilité ne peut être que conjointe à celle des autres constructeurs, la solidarité ne se présumant pas conformément aux dispositions de l'article 1310 du code civil et de l'article L.111-23 du code de la construction et de l'habitation et en l'absence d'imputabilité du dommage à son égard ;
- la garantie qu'elle sollicite est fondée sur l'engagement de la responsabilité quasi-délictuelle des constructeurs.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- l'ordonnance n° 1902495 du 11 septembre 2018, par laquelle la présidente du tribunal a taxé les frais de l'expertise ;
- l'ordonnance n° 1902495 du 9 janvier 2023, par laquelle le président du tribunal a taxé les frais de l'expertise complémentaire.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A,
- les conclusions de Mme Best-De Gand, rapporteure publique,
- et les observations de Me Gally, représentant la préfète du Loiret, et de Me Massiera, représentant la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-ouest.
Considérant ce qui suit :
1. Par un acte d'engagement du 30 novembre 2006, le préfet du Loiret a confié la maîtrise d'œuvre des travaux d'extension et de restructuration de la cité administrative Coligny située 131 rue du Faubourg Bannier à Orléans à un groupement conjoint constitué, notamment par la société Crea'ture Architecte, architecte et mandataire solidaire. Ces travaux ont été soumis au contrôle technique de la société Socotec. Les lots n° 1 et 2 se rapportant au clos couvert, partitions et finitions, ont été confiés à la société DV Construction. La réception des travaux a été prononcée le 20 octobre 2009 et les réserves ont été levées 11 décembre 2009.
2. Par une ordonnance du 24 octobre 2017, le juge des référés du tribunal administratif d'Orléans saisi par le préfet du Loiret à la suite de la constatation d'une pluralité de désordres affectant les éléments de la façade ouest et les volets coulissants de la façade du bâtiment P, a prescrit une mesure d'expertise et l'expert a remis son rapport le 1er août 2018.
3. Par une requête enregistrée le 11 juillet 2019, le préfet du Loiret a demandé au tribunal de condamner solidairement la société Crea'ture Architectes, la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest, venant aux droits de la société DV Construction, et la société Socotec Construction, venant aux droits de la société Socotec, à verser à l'Etat une somme de 245 227,51 euros toutes taxes comprises (TTC) au titre de la reprise des désordres affectant le bâtiment P de la Cité Coligny d'Orléans, ainsi qu'une somme de 54 184,52 euros TTC à titre de remboursement des dépenses engagées pour la reprise de ces désordres et demandé d'ordonner un complément d'expertise afin d'examiner l'ensemble de ces désordres.
4. Par un jugement avant dire droit du 8 mars 2022, le tribunal a condamné la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest et la société Crea'ture Architectes à verser solidairement à l'Etat la somme de 5 009,71 euros TTC au titre des désordres se rapportant à l'étanchéité des assises de murs rideaux en façade rue des Murlins, condamné la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest, la société Crea'ture Architectes et la société Socotec Construction à verser solidairement à l'Etat la somme de 223 172,61 euros TTC au titre des désordres se rapportant aux stores extérieurs et condamné la société Crea'ture Architectes à verser à l'Etat les sommes de 13 043,30 euros TTC au titre des désordres se rapportant aux ouvrants et 3 288 euros TTC au titre des désordres affectant l'étanchéité des couvertures. Par ce même jugement, le tribunal a, au titre des désordres se rapportant à l'étanchéité des assises de murs rideaux en façade rue des Murlins, condamné la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest à garantir la société Crea'ture Architectes à hauteur de 75 % et condamné la société Socotec Construction à garantir la société la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest à hauteur de 25% et, au titre des désordres se rapportant aux stores extérieurs, condamné la société Socotec Construction à garantir la société Crea'ture Architectes et la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest à hauteur de 15%, condamné la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest à garantir la société Crea'ture Architectes et la société Socotec Construction à hauteur de 25% et condamné la société Crea'ture Architectes à garantir la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest et la société Socotec Construction à hauteur de 60%. Le tribunal a également ordonné avant dire droit un complément d'expertise aux fins d'identifier la nature et l'étendue des fissurations constatées au niveau des passerelles des étages reliant les bâtiments P1 et P2 et du sous-sol des mêmes bâtiments, de déterminer si ces désordres sont de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination et d'évaluer le coût des travaux nécessaires à leur reprise.
5. A la suite du dépôt du rapport d'expertise complémentaire le 24 Novembre 2022, la préfète du Loiret demande la condamnation de la société Crea'ture Architectes à verser à l'Etat une somme de 8 936,85 euros TTC à titre de dommages et intérêts en réparation des désordres affectant les passerelles du bâtiment P de la cité administrative.
Sur les conclusions indemnitaires :
6. Il appartient au maître de l'ouvrage, lorsqu'il lui apparaît que la responsabilité de l'un des participants à l'opération de construction est susceptible d'être engagée à raison de fautes commises dans l'exécution du contrat conclu avec celui-ci, soit de surseoir à l'établissement du décompte jusqu'à ce que sa créance puisse y être intégrée, soit d'assortir le décompte de réserves. A défaut, si le maître d'ouvrage notifie le décompte général du marché, le caractère définitif de ce décompte fait obstacle à ce qu'il puisse obtenir l'indemnisation de son préjudice éventuel sur le fondement de la responsabilité contractuelle du constructeur, y compris lorsque ce préjudice résulte de désordres apparus postérieurement à l'établissement du décompte. Il lui est alors loisible, si les conditions en sont réunies, de rechercher la responsabilité du constructeur au titre de la garantie décennale et de la garantie de parfait achèvement lorsque celle-ci est prévue au contrat.
7. La société Crea'ture Architectes soutient sans être contredite que le décompte général du marché de maîtrise d'œuvre, qui lui avait été confié, a été approuvé par le maître de l'ouvrage sans aucune réserve. Il est, par suite, devenu définitif. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que ce décompte identifierait une faute de la maîtrise d'œuvre consistant en une abstention de signaler des défauts de conception au maître d'ouvrage. Dans ces conditions, le caractère définitif du décompte du marché de maîtrise d'œuvre fait obstacle à ce que la préfète du Loiret recherche la responsabilité de la société Crea'ture Architectes au titre d'une insuffisance de conception affectant les éléments d'embellissement des passerelles des bâtiments P1 et P2. En conséquence, les conclusions de la requérante formées à l'encontre de ce maître d'œuvre sur un fondement exclusivement contractuel, eu égard à l'absence de caractère décennal des désordres en litige révélé par les opérations d'expertise, doivent être rejetées.
Sur les conclusions relatives aux dépens :
8. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. L'Etat peut être condamné aux dépens ".
9. D'une part, par une première ordonnance du 11 septembre 2018, la présidente du tribunal a taxé et liquidé les frais et honoraires de l'expertise à la somme de 11 353,32 euros HT soit 13 623,98 euros TTC. Dans les circonstances de l'espèce et eu égard aux motifs adoptés par le jugement du 8 mars 2022, la charge définitive de ces frais doit être répartie à parts égales entre la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest, la société Crea'ture Architectes et la société Socotec Construction.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et compte tenu des différents partages de responsabilité au titre des différents désordres, de rejeter sur ce point les appels en garantie formés entre elles par la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest, la société Crea'ture Architectes et la société Socotec Construction.
11. D'autre part, par une seconde ordonnance du 9 janvier 2023, le président du tribunal a taxé et liquidé les frais et honoraires de l'expertise complémentaire à la somme de 5 466,20 euros TTC. Eu égard aux motifs adoptés au point 7 du présent jugement, il y a lieu de mettre cette somme à la charge définitive de l'Etat.
Sur les frais liés au litige :
12. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante pour l'essentiel dans la présente instance, la somme que la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest, la société Crea'ture Architectes et la société Socotec Construction demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge solidaire de la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest, de la société Crea'ture Architectes et de la société Socotec Construction une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par l'Etat et non compris dans les dépens.
13. D'autre part, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées, sur le même fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, par la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest, la société Crea'ture Architectes et la société Socotec Construction.
D E C I D E :
Article 1er : Les conclusions indemnitaires restant à juger de la requête de la préfète du Loiret sont rejetées.
Article 2 : La charge définitive des frais et honoraires de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de 13 623,98 euros TTC, est répartie à parts égales entre la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest, la société Crea'ture Architectes et la société Socotec Construction.
Article 3 : Les frais et honoraires de l'expertise complémentaire, liquidés et taxés à la somme de 5 466,20 euros TTC sont mis à la charge définitive de l'Etat.
Article 4 : La société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest, la société Crea'ture Architectes et la société Socotec Construction verseront solidairement à l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6 : Le présent jugement sera notifié à la préfète du Loiret, à la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest, à la société Crea'ture Architectes et à la société Socotec Construction.
Délibéré après l'audience du 21 mars 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Lefebvre-Soppelsa, présidente,
Mme Defranc-Dousset, première conseillère,
M. Joos, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 avril 2023.
Le rapporteur,
Emmanuel A
La présidente,
Anne LEFEBVRE-SOPPELSA
La greffière,
Nadine PENNETIER-MOINET
La République mande et ordonne à la préfète du Loiret en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.