TA Paris, 12/07/2024, n°2307567


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 1er et 24 avril 2023 et le 31 mai 2023, M. A B demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler la décision implicite intervenue le 2 février 2023 par laquelle la Première ministre a refusé de lui communiquer le rapport rédigé dans le cadre d'une prestation commandée pour la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) à la société Mc Kinsey et Compagnie Inc dont l'objet est intitulé " Appui coût des services publics " et le montant fixé à 301 080 euros sur le site du Sénat ;

2°) d'enjoindre à la Première ministre de communiquer ce document dans un délai de quinze jours, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.

Il soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :

- la décision de refus, qui n'est pas motivée, méconnaît l'article L. 311-14 du code des relations entre le public et l'administration ;

- les documents demandés, qui sont identifiables et achevés, qui n'ont pas fait l'objet d'une diffusion publique et pour lesquels le secret des affaires n'est pas opposable, sont communicables ; le cas échéant, ses parties couvertes par le secret des affaires peuvent être disjointes ou occultées ;

- le refus qui lui est opposé l'est par la Première ministre ; le document demandé doit être communiqué par l'administration qui le détient ;

- si le rapport émane finalement de la DITP, ce qui n'est pas certain, la société Mc Kinsey a pour le moins contribué pour une part importante à son élaboration.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 avril 2023, la Première ministre informe le tribunal de la transmission de la demande de M. B au ministre de la transformation et de la fonction publiques.

Elle fait valoir que le refus doit être regardé comme émanant du ministre de la transformation et de la fonction publiques.

Par un mémoire enregistré le 25 mai 2023, le délégué interministériel à la transformation publique informe le tribunal de la transmission de la demande de M. B au ministre chargé des comptes publics.

Il fait valoir que le rapport ne provient pas d'un consultant externe mais de la DITP ; la lettre de mission n'a pas été formalisée ; seul le ministère chargé des comptes publics, qui doit être regardé comme l'auteur de la décision attaquée, est en mesure de déterminer si le rapport, qui contient des éléments relatifs aux politiques d'acteurs à la fois chargés de missions de service public et soumis à la concurrence, est communicable.

Une mise en demeure a été adressée le 4 juillet 2023 au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique qui n'a pas produit de mémoire.

Par une ordonnance du 27 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 27 octobre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Julinet, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Degand, rapporteur public ;

- et les observations de M. B.

Considérant ce qui suit :

1. Par un courrier du 30 septembre 2022 reçu le 4 octobre 2022, M. A B a demandé à la Première ministre la communication du rapport remis à la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) par la société Mc Kinsey et Compagnie Inc dans le cadre d'un marché public dont l'objet est intitulé " Appui coût des services publics " et le montant fixé à 301 080 euros, selon le site du Sénat, et de la lettre de mission définissant les besoins de la DITP concernant cette prestation. Le 7 décembre 2022, la personne responsable de l'accès aux documents administratifs (prada) au secrétariat général du gouvernement (SGG) l'a informé de la transmission de sa demande à la DITP, rattachée au ministre de la transformation et de la fonction publiques. En l'absence de réponse à sa demande, il a saisi la commission d'accès aux documents administratifs (CADA) d'une demande d'avis enregistrée le 2 décembre 2022. Le 12 janvier 2023, la CADA a émis un avis favorable à la communication de ces documents, s'ils existent, sous réserve qu'ils ne revêtent pas ou plus un caractère préparatoire. Dans le dernier état de ses écritures, M. B demande au tribunal d'annuler la décision implicite de rejet née, en application de l'article R. 343-5 du code des relations entre le public et l'administration, du silence gardé par la Première ministre plus de deux mois à compter de la saisine, le 2 décembre 2022, de la CADA sur la demande de communication de documents administratifs qu'il lui avait adressée le 4 octobre 2022 en tant qu'elle porte sur le rapport produit.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ". Aux termes de l'article L. 300-2 du même code : " Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions ". Aux termes de l'article L. 311-6 du même code : " Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l'administration mentionnée au premier alinéa de l'article L. 300-2 est soumise à la concurrence () ". Aux termes de l'article L. 311-7 du même code : " Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ".

3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le rapport dont la communication est demandée, qu'il ait été produit par la société Mc Kinsey et Compagnie Inc, par la société Accenture ou par la DITP avec le concours d'un de ces cabinets de conseil, est détenu par la DITP, placée sous l'autorité du ministre de la transformation et de la fonction publiques, à qui la Première ministre a d'ailleurs transmis la demande de communication du 4 octobre 2022 avant le 7 décembre 2022, date à laquelle elle a informé M. B de cette transmission. Dès lors, la décision attaquée doit être regardée comme ayant été prise par le ministre de la transformation et de la fonction publiques.

4. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier et il n'est d'ailleurs pas contesté en défense qu'en application de ces dispositions, le rapport dont M. B demande la communication constitue un document administratif et qu'il n'entre dans aucune des exceptions prévues par les dispositions de l'article L. 311-2 du code des relations entre le public et l'administration, en particulier pour les documents préparatoires à une décision administrative tant qu'elle est en cours d'élaboration, sous réserve de l'occultation des mentions couvertes par le secret des affaires en application des dispositions de l'article L. 311-6 du même code. Dès lors, sous cette réserve, il lui est en principe communicable.

5. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier qu'eu égard à l'objet et au périmètre du rapport, les éventuelles mentions couvertes par le secret des affaires ne peuvent être que limitées et que leur occultation n'est dès lors pas de nature à induire une charge déraisonnable ni, par suite, à remettre en cause son caractère communicable. Il s'ensuit que, sous cette réserve, il lui est en l'espèce communicable.

6. Il résulte de tout ce qui précède que la décision implicite par laquelle le ministre de la transformation et de la fonction publiques a refusé de communiquer à M. B le rapport rédigé dans le cadre d'une prestation commandée pour la DITP à la société Mc Kinsey et Compagnie Inc dont l'objet est intitulé " Appui coût des services publics " est illégale. Dès lors, M. B est fondé à en demander l'annulation.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. En raison des motifs qui la fondent, l'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre de la transformation et de la fonction publiques a refusé de communiquer à M. B le rapport rédigé dans le cadre d'une prestation commandée pour la DITP à la société Mc Kinsey et Compagnie Inc dont l'objet est intitulé " Appui coût des services publics " implique nécessairement que ce rapport lui soit communiqué. Il y a lieu, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'enjoindre au ministre de la transformation et de la fonction publiques de le lui communiquer, sous réserve de l'occultation des éventuelles mentions couvertes par le secret des affaires, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée par M. B.

D E C I D E :

Article 1er : La décision implicite par laquelle le ministre de la transformation et de la fonction publiques a refusé de communiquer à M. B le rapport rédigé dans le cadre d'une prestation commandée pour la DITP à la société Mc Kinsey et Compagnie Inc dont l'objet est intitulé " Appui coût des services publics " est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de la transformation et de la fonction publiques de communiquer à M. B le rapport rédigé dans le cadre d'une prestation commandée pour la DITP à la société Mc Kinsey et Compagnie Inc dont l'objet est intitulé " Appui coût des services publics ", sous réserve de l'occultation des éventuelles mentions couvertes par le secret des affaires, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. A B, au Premier ministre, au ministre de la transformation et de la fonction publiques et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Une copie en sera adressée au délégué interministériel à la transformation publique.

Délibéré après l'audience du 28 juin 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Aubert, présidente,

M. Julinet, premier conseiller,

Mme Massiou, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juillet 2024.

Le rapporteur,

S. JULINET

La présidente,

S. AUBERT

La greffière,

A. LOUART

La République mande et ordonne au Premier ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de la transformation et de la fonction publiques chacun en ce qui les concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.