Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 21 mai 2024, la société Ufast, représentée par Me Scale, demande au juge des référés, statuant sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'ordonner à l'Etat (Direction Générale de l'Armement du Ministère des Armées - DGA) de lui verser des provisions, au titre de la levée de la retenue de garantie, d'un montant respectivement de 202 649,77 euros et de 305 285,68 euros ;
2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- Sur l'urgence :
o elle a été placée en redressement judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Paris du 8 mars 2024 à la suite de l'échec des discussions amiables avec la DGA ;
o à défaut de paiement des sommes demandées avant l'audience au tribunal de commerce où la société Ufast a été convoquée le 30 mai 2024, elle risque un placement en liquidation judiciaire emportant le licenciement de ses 27 employés;
- Sur l'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :
o l'absence de remboursement de la retenue de garantie constitue un manquement à une obligation non sérieusement contestable qui porte atteinte à la liberté d'entreprendre, à la liberté contractuelle et à la liberté du commerce et de l'industrie de la société Ufast ;
o cette atteinte est constituée par sa possible mise en liquidation et par son impossibilité d'honorer ses autres contrats en cours faute de trésorerie.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 mai 2024, le Ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- l'urgence n'est pas caractérisée ;
- aucune des libertés invoquées n'est méconnue ;
- il n'y a aucune illégalité dès lors que :
o le lot V1-1 a fait l'objet d'une réception le 5 janvier 2023 assortie de 13 réserves dont seules 11 ont été levées ;
o le lot V5-1 a fait l'objet d'une réception le 27 avril 2023 assortie d'une réserve qui n'a jamais été levée ;
o l'article 7.4 du CCAP du marché qui renvoie à l'article 111 du décret n° 2016-361 du 25 mars 2016 prévoit que les réserves doivent être levées avant que les retenues de garantie puissent être restituées.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;
- le décret n° 2016-361 du 25 mars 2016 ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné M. Gracia, vice-président de section, pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique tenue en présence de M. Drai, greffier d'audience, M. Gracia a lu son rapport et entendu :
- les observations de Me Scale, pour la société Ufast, du représentant de la société Ufast et de l'administrateur judiciaire désigné ;
- les observations de Mme A et de M. B pour le Ministre des armées.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
Considérant ce qui suit :
L'objet du litige :
1. Par un avis d'appel à concurrence n° 2016 90 0028 000002 00, publié le 22 décembre 2016, la DGA a lancé une procédure d'appel d'offres négocié après publicité préalable et mise en concurrence conformément aux dispositions des articles 6.1° et 4.2° de l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 et des articles 21-I 2°, 64, 65 et 66 du décret n° 2016-361 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics de défense ou de sécurité pour la construction en une tranche ferme de douze vedettes blindées prototypes d'une longueur de 15 mètres destinées aux fusiliers marins de la Marine Française. La société Ufast s'est portée candidate à la procédure et s'est vu notifier le marché le 19 mars 2018. Par la suite, deux des douze vedettes ont été construites et livrées à la DGA respectivement en novembre 2022 et février 2023. Par la présente requête, la société Ufast demande au juge des référés statuant en application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner à la DGA de verser à son profit une provision correspondant au montant des retenues de garantie sur le lot V1-1, d'un montant de 202 649,77 euros et sur le lot V5-1, d'un montant et de 305 285,68 euros.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
2. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".
3. Aux termes de l'article 7.4 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché litigieux : " En application des dispositions de l'article 109 du décret n° 2016-361 du 25 mars 2016, le présent marché est soumis à une retenue de garantie de six (6)%./ Cette retenue est prélevée par fractions à hauteur de six (6) % sur chacun des versements autres que l'avance, effectués au profit du titulaire pour chacun des postes 1, 2.1, et 2.2. / Cette retenue de garantie est remboursée au titulaire dans les conditions de l'article 111 du décret n° 2016-361 du 25 mars 2016, en prenant en compte la durée de garantie de 12 mois. () " Aux termes de l'article 111 du décret du 25 mars 2016, relatif aux marchés publics de défense ou de sécurité : " Les établissements ayant accordé leur caution ou leur garantie à première demande sont libérés un mois au plus tard après l'expiration du délai de garantie. / Toutefois, si des réserves ont été notifiées au titulaire du marché public et aux établissements ayant accordé leur caution ou leur garantie à première demande pendant le délai de garantie et si elles n'ont pas été levées avant l'expiration de ce délai, les établissements sont libérés de leurs engagements un mois au plus tard après la date de leur levée. "
4. Il résulte de ces dispositions et stipulations que la retenue de garantie a pour but de garantir contractuellement l'exécution des travaux, pour satisfaire, le cas échéant, aux réserves faites lors de leur réception par le maître d'ouvrage.
5. En l'espèce, il résulte de l'instruction que le remboursement des retenues de garanties que la société Ufast demande au juge des référés d'ordonner, correspond, d'une part, aux retenues prélevés pour l'exécution du lot V1-1 du marché, qui a fait l'objet d'une réception le 5 janvier 2023, assortie de 13 réserves et d'autre part, aux retenues prélevés pour l'exécution du lot V5-1 du marché, qui a fait l'objet d'une réception le 27 avril 2023, assortie d'une réserve. Or, à la date de la présente ordonnance, il résulte de l'instruction et notamment des procès-verbaux de réception produits en défense et qui ne sont sérieusement contestés par la société Ufast, que seules 11 des 13 réserves du lot V1-1 ont été levées et que la réserve du lot V5-1 n'a jamais été levée. Dans ces conditions, la société Ufast n'est pas fondée à soutenir que le ministre des armées aurait commis une quelconque illégalité, a fortiori grave.
6. Il résulte de ce qui précède que la requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, sans qu'il soit besoin de se prononcer ni sur la condition d'urgence, ni sur l'invocabilité, dans le contexte de l'exécution d'un marché public, de la liberté contractuelle, de la liberté d'entreprendre et de la liberté du commerce et de l'industrie.
7. Cela étant, il résulte des débats qui se sont tenus à l'audience que l'ampleur des trois réserves qui demeurent n'apparaît pas telle, en l'état des informations communiquées au juge des référés, qu'un rapprochement des points de vue des parties paraisse hors de portée à très bref délai. Dans les circonstances de l'espèce, l'intérêt général qu'il appartient à la DGA d'apprécier, pourrait commander, au besoin avec l'aide d'un médiateur, et sous réserve que le ministre des armées partage le constat sur la nature des trois réserves subsistant et sur les mesures de remédiation proposées par la société, d'examiner sans délai les mesures en question, compte tenu des conséquences vitales que fait peser sur la société Ufast l'audience du 30 mai 2024 au tribunal de commerce au cours de laquelle sera évoquée la prolongation de la période d'observation ou l'entrée en procédure de liquidation.
O R D O N N E :
Article 1er : La requête de société Ufast est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Ufast, au Ministre des armées, à la société Ajassocies et à la Fides.
Fait à Paris, le 23 mai 2023.
Le juge des référés,
J-Ch. GRACIA
La République mande et ordonne au ministre des armées, en ce qui la concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de précédent jugement.
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