TA Strasbourg, 03/07/2024, n°2201018
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 février 2022 et 31 mars 2023, la société Graff-Kiehl géomètres experts associés, représentée par Me Faure, avocat, demande au tribunal :
1°) de la décharger de l'obligation de payer la somme de 2 446,23 euros mise à sa charge par le titre de recette n° 61100-2021-1088-4626 émis par l'Eurométropole de Strasbourg le 19 novembre 2021 ;
2°) de mettre à la charge de l'Eurométropole de Strasbourg la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable ;
- l'Eurométropole ne pouvait plus lui imputer de pénalités dès lors qu'elle avait admis sans réserve ses prestations ;
- les pénalités de retard dont le recouvrement est poursuivi par le titre exécutoire litigieux ne sont pas fondées, aucun délai d'exécution ne lui ayant été notifié en temps utile.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 6 janvier et 9 mai 2023, l'Eurométropole de Strasbourg conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable dès lors qu'elle est tardive ;
- elle est irrecevable faute d'avoir été précédée d'un mémoire de réclamation ;
- les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 30 mai 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 12 juillet 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- l'arrêté du 19 janvier 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dobry,
- les conclusions de M. Boutot, rapporteur public,
- et les observations de Me Faure, représentant de la société Graff-Kiehl.
Considérant ce qui suit :
1. La société Graff-Kiehl et l'Eurométropole de Strasbourg ont conclu le 4 juin 2020 un marché ayant pour objet la révision triennale des données du référentiel topographique à grande échelle. La société a livré les prestations le 8 juin 2021. Par courriels des 11 et 12 octobre 2021, l'Eurométropole a informé la requérante que des pénalités de retard seraient mises à sa charge pour un montant de 2 446,23 euros correspondant à un retard de 190 jours puis, par le titre de recette contesté, elle a mis cette somme en recouvrement.
Sur les fins de non-recevoir :
2. Le troisième alinéa de l'article L. 1617-5 1° du code général des collectivités territoriales dispose que : " : " L'action dont dispose le débiteur d'une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale ou un établissement public local pour contester directement devant la juridiction compétente le bien-fondé de ladite créance se prescrit dans le délai de deux mois à compter de la réception du titre exécutoire ou, à défaut, du premier acte procédant de ce titre ou de la notification d'un acte de poursuite ".
3. D'une part, si le titre de recette contesté est daté du 19 novembre 2021 et si la requête en contestant le bien-fondé a été enregistrée le 14 février 2022, l'Eurométropole de Strasbourg ne justifie pas de la date de réception du titre exécutoire par la société requérante, et par suite elle n'établit pas que le délai de deux mois prescrit par les dispositions précitées aurait été dépassé à la date d'enregistrement de la requête. La fin de non-recevoir tirée de sa tardiveté doit dès lors être écartée.
4. D'autre part, il résulte des dispositions précitées que le destinataire d'un ordre de versement est recevable à contester, à l'appui de son recours contre cet ordre de versement, et dans un délai de deux mois suivant la notification de ce dernier, le bien-fondé de la créance correspondante, alors même que la décision initiale constatant et liquidant cette créance est devenue définitive. Dès lors, l'Eurométropole n'est pas fondée à soutenir que la requête dirigée contre le titre de recette serait irrecevable du seul fait qu'un recours exercé dans un cadre contractuel contre la décision d'imputer des pénalités à la société requérante ne serait pas recevable faute de mémoire en réclamation. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de l'absence de mémoire en réclamation doit être écartée également.
Sur les conclusions à fin de décharge :
5. L'article 14.1.1 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services, dans sa version issue de l'arrêté susvisé du 19 janvier 2009 applicable au contrat litigieux, stipule que : " Les pénalités pour retard commencent à courir, sans qu'il soit nécessaire de procéder à une mise en demeure, le lendemain du jour où le délai contractuel d'exécution des prestations est expiré () ". L'article 6 de l'acte d'engagement stipule que : " Les délais d'exécution sont fixés par le bon de commande prescrivant le début et la fin des travaux. / () Ce délai court à compter de la date de notification du bon de commande ".
6. L'Eurométropole soutient avoir notifié à la société Graff-Kiehl le délai d'exécution de sa prestation par un ordre de service daté du 9 octobre 2020, prévoyant que la date de début des prestations serait le 26 octobre 2020 et leur date de fin le 30 novembre 2020, date sur laquelle elle s'est fondée pour calculer les pénalités objets du titre de recette litigieux. La société Graff-Kiehl soutient qu'elle n'a pas eu connaissance de l'ordre de service ni du délai d'exécution qu'il prévoit avant le 12 octobre 2021, date à laquelle l'Eurométropole le lui a adressé par courriel.
7. L'Eurométropole se borne à produire, pour établir la notification en temps utile de l'ordre de service dont elle se prévaut, une attestation d'un agent affirmant que cet ordre de service a été " transmis par messagerie ". Une telle attestation ne permet pas d'établir la date à laquelle cet ordre de service aurait été notifié à la société Graff-Kiehl, ni même la réalité de cette notification antérieurement au 12 octobre 2021, date à laquelle les prestations avaient d'ores et déjà été livrées. Dès lors, faute d'établir que le délai d'exécution des prestations a été régulièrement notifié à la société requérante, l'Eurométropole ne peut se prévaloir d'un retard dans leur exécution pour imputer à la société Graff-Kiehl les pénalités objets du titre de recette litigieux. La société Graff-Kiehl est ainsi fondée à soutenir que les pénalités mises en recouvrement par ce titre de recette sont dépourvues de bien-fondé.
8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête, que la société Graff-Kiehl est fondée à demander la décharge de l'obligation de payer la somme de 2 446,23 euros mise à sa charge par le titre de recette émis à son encontre le 19 novembre 2021.
Sur les frais de l'instance :
9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Eurométropole de Strasbourg la somme de 1 200 euros que la société Graff-Kiehl demande au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La société Graff-Kiehl est déchargée de l'obligation de payer la somme de 2 446,23 euros (deux-mille-quatre-cent-quarante-six euros et vingt-trois centimes) mise à sa charge par le titre de recette n° 61100-2021-1088-4626 émis par l'Eurométropole de Strasbourg le 19 novembre 2021.
Article 2 : L'Eurométropole de Strasbourg versera à la société Graff-Kiehl la somme de 1 200 euros (mille-deux-cents euros) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société Graff-Kiehl géomètres experts associés et à l'Eurométropole de Strasbourg.
Délibéré après l'audience du 6 juin 2024, à laquelle siégeaient :
M. Faessel, président,
Mme Merri, première conseillère,
Mme Dobry, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 juillet 2024.
La rapporteure,
S. DOBRY
Le président,
X. FAESSEL La greffière,
V. IMMELÉ
La République mande et ordonne à la préfète du Bas-Rhin en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,