TA Toulon, 08/02/2024, n°2101801


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 4 juillet 2021 et 28 septembre 2023, la société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) Arts et Loisirs Gestion (ALG), représentée par Me Février, doit être regardée comme demandant au tribunal :

1°) de condamner la commune de Toulon à lui verser la somme de 424 392, 25 euros, ainsi que les intérêts au taux légal et la capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la résiliation de la concession de service public, conclue le 20 août 2020, pour l'exploitation du Zénith ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Toulon la somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le bouleversement de l'économie du contrat n'est pas démontré ; la décision de résiliation, fondée sur l'article L. 3136-6 du code de la commande publique, n'est donc motivée ni en fait ni en droit ;

- la commune pouvait procéder à la modification du contrat, en application de l'article L. 3135-1 du code de la commande publique ;

- le préavis de six mois, prévu à l'article 25C du contrat de concession, n'a pas été respecté ;

- l'illégalité de la décision de résiliation la rend fautive ;

- le premier chef de préjudice correspond aux dépenses utiles liées à l'exécution des stipulations du contrat, soit 104 766,25 euros TTC ;

- le deuxième chef de préjudice tient à l'absence de versement de la subvention d'équilibre pour la période de préavis de six mois, soit un manque à gagner de 195 000 euros ;

- le troisième chef de préjudice est constitué par la perte de marge bénéficiaire, fixée à 124 626 euros TTC.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 juillet 2023, la commune de Toulon, représentée par Me Charrel, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à titre reconventionnel, à ce que la société ALG soit condamnée à lui verser la somme de 120 740 euros, du fait de la subvention d'exploitation indument versée ;

3°) à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société ALG, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la société requérante ne justifie pas du bien-fondé des sommes réclamées ni de leur quantum ;

- le caractère utile des dépenses et charges prétendument liées à l'exploitation n'est pas démontré, ce qui entraîne la restitution de la subvention.

Un mémoire présenté par la commune de Toulon, enregistré le 16 octobre 2023, n'a pas été communiqué, en application de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Hélayel, conseiller,

- les conclusions de M. Kiecken, rapporteur public,

- les observations de Me Février, pour la société ALG,

- les observations de Me Charrel, pour la commune de Toulon.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à candidature, publié le 16 septembre 2019, la commune de Toulon a lancé une procédure de mise en concurrence en vue de l'attribution d'une délégation de service public, portant sur l'exploitation des salles de spectacle " Zenith Omega " et " Omega Live ". Le 20 août 2020, une convention a été conclue avec la société Arts et Loisirs Gestion, pour une durée de cinq ans. Par une délibération du 22 janvier 2021, la commune de Toulon a toutefois résilié la convention, à compter du 31 janvier 2021. Par un courrier du 15 mars 2021, la société Arts et Loisirs Gestion a demandé à la commune de retirer la délibération du 22 janvier 2021 et d'organiser la reprise des relations contractuelles ou à défaut, de lui verser une somme de 254 317, 45 euros. Ce courrier est resté sans réponse.

Sur les conclusions indemnitaires :

2. D'une part, l'article L. 3 136-6 du code de la commande publique dispose que : " L'autorité concédante peut résilier le contrat de concession lorsque l'exécution du contrat ne peut être poursuivie sans une modification qui méconnaîtrait les dispositions du chapitre V du présent titre. " Aux termes de l'article L. 3135-1 du même code : " Un contrat de concession peut être modifié sans nouvelle procédure de mise en concurrence, dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat, lorsque : / 1° Les modifications ont été prévues dans les documents contractuels initiaux ; 2° Des travaux ou services supplémentaires sont devenus nécessaires ; 3° Les modifications sont rendues nécessaires par des circonstances imprévues ; 4° Un nouveau concessionnaire se substitue au concessionnaire initial du contrat de concession ; 5° Les modifications ne sont pas substantielles ; 6° Les modifications sont de faible montant. /

Qu'elles soient apportées par voie conventionnelle ou, lorsqu'il s'agit d'un contrat administratif, par l'acheteur unilatéralement, de telles modifications ne peuvent changer la nature globale du contrat de concession. "

3. En vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs, l'autorité concédante peut toujours, pour un motif d'intérêt général, résilier un contrat de concession, sous réserve des droits à indemnité du concessionnaire. L'étendue et les modalités de cette indemnisation peuvent être déterminées par les stipulations du contrat, sous réserve qu'il n'en résulte pas, au détriment d'une personne publique, une disproportion manifeste entre l'indemnité ainsi fixée et le montant du préjudice résultant, pour le concessionnaire, des dépenses qu'il a exposées et du gain dont il a été privé.

4. D'autre part, l'article 25 du contrat de concession du 20 août 2020 stipule : " La Ville peut, résilier unilatéralement, par lettre recommandées avec accusé de réception, pour un motif d'intérêt général, la présente convention à tout moment au cours de son exécution, sous condition d'observer un préavis de 6 (six) mois. () / Le Concessionnaire est indemnisé intégralement du préjudice qu'il subit du fait de la résiliation et dont il lui appartient de justifier. Le règlement de cette indemnité s'effectuera au plus tard 6 mois après la date de prise d'effet de la résiliation. / Dans ce cas, à la date d'effet de la résiliation : / () b) La Ville couvre le Concessionnaire de l'ensemble des coûts qui pourraient être induits par la cessation anticipée de la convention. / () d) En outre, en réparation du préjudice causé par la rupture anticipée de la convention, la Ville verse au Concessionnaire une indemnité égale aux bénéfices que lui aurait procuré le contrat s'il était allé jusqu'à son terme. () ".

5. En l'espèce, pour résilier unilatéralement la concession de service public du 20 août 2020, le conseil municipal de la ville de Toulon a notamment retenu que l'équilibre économique du contrat ne pourrait être assuré sans modification, au sens de l'article L. 3136-6 du code de la commande publique, en raison des conséquences financières de la crise sanitaire. Ainsi, la commune doit être regardée comme ayant procédé à cette résiliation pour un motif d'intérêt général.

En ce qui concerne les dépenses liées à l'exécution du contrat :

6. Il résulte de l'instruction que la société ALG a exposé des frais, sans contrepartie, du fait de la constitution de son dossier de candidature à la délégation de service public, de la réalisation d'études, de la constitution d'une société, d'un audit technique du Zenith, de la promotion et de la recherche d'une clientèle, ainsi que du travail d'identité visuelle ainsi que sur le site internet. Sur la base des factures produites par la société ALG et des sommes qui y figurent toutes taxes comprises (TTC), il sera fait une exacte appréciation du préjudice subi en condamnant la commune de Toulon à lui verser une indemnité de 45 933,6 euros.

7. Toutefois, alors que le contrat de concession prévoyait que le concessionnaire serait couvert de l'ensemble des coûts induits par une cessation anticipée de la convention, les autres dépenses dont se prévaut la société ALG ne présentent aucun lien avec la résiliation en litige. En outre, le livre comptable de la société requérante fait état d'un remboursement de ses frais d'assurance à compter du mois de février 2021. Par suite, ces autres prétentions ne peuvent qu'être rejetées.

En ce qui concerne la subvention d'équilibre :

8. L'article 12 du contrat de concession du 20 août 2020 stipule : " La rémunération du Concessionnaire sera substantiellement assurée par les recettes d'exploitation du service délégué. Pour couvrir ses charges d'exploitation, le Concessionnaire se rémunérera de la manière suivante : / () - par la subvention financière de la Ville de Toulon, d'un montant plafonné à 390 000 euros par an () ". Aux termes de l'article 14 du contrat de concession : " () La ville s'engage à verser au Fermier une subvention permettant le maintien et le développement des salles au service du public () ".

9. La société ALG soutient qu'elle avait droit au versement de la subvention d'équilibre pour la période de préavis de six mois. Il ne résulte pas de l'instruction que le préavis ait effectivement été respecté par la commune. Toutefois, cette absence de versement ne constitue pas un coût induit par la résiliation en litige. Au demeurant, une subvention de 120 740 euros a bien été versée par la commune le 1er octobre 2020, malgré l'absence d'exploitation et le montant de 390 000 euros invoqué constituait un plafond contractuel et non un dû. Par suite, la somme demandée par la requérante sur ce fondement ne saurait lui être allouée.

En ce qui concerne la perte de bénéfices :

10. Il résulte de l'instruction que le compte prévisionnel de la société ALG, lequel comprend les subventions municipales, indique un résultat brut d'exploitation de 124 626 sur les cinq années d'exécution du contrat. Le compte de résultat du Zénith, produit par la requérante, fait état d'un bénéfice de 52 447 euros au titre de l'année 2016 mais de seulement 9 675 euros au titre de 2018. Compte tenu de ces divers éléments et sur la base du compte prévisionnel produit, il sera fait une juste appréciation de la perte nette de la société ALG en l'évaluant à la somme de 90 000 euros.

Sur les conclusions reconventionnelles :

11. En vertu de l'article 12 du contrat de concession du 20 août 2020, cité au point 7 du présent jugement, une subvention versée par la commune de Toulon devait permettre de couvrir les charges d'exploitation de la société ALG. Or, il résulte de l'instruction que si une subvention a été versée à la société le 1er octobre 2020, l'exécution du contrat a été suspendue par le juge des référés dès le 5 octobre 2020. Dans ces conditions, en l'absence d'exploitation du Zénith sur la période en cause, la commune de Toulon est fondée à demander à ce que la somme de 120 740 euros lui soit restituée.

12. Il résulte de tout ce qui précède et après compensation entre les sommes réciproquement mises à la charge des parties, que la commune de Toulon doit verser à la société ALG la somme de 15 193,60 euros.

Sur les intérêts :

13. La société ALG a droit aux intérêts de la somme de 15 193,60 euros à compter de la date d'enregistrement de sa requête au greffe du tribunal.

14. La capitalisation des intérêts a été demandée le 4 juillet 2021. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 4 juillet 2022, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les frais du litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société ALG, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la commune de Toulon demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la commune de Toulon une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société ALG et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La commune de Toulon est condamnée à verser à la SASU Arts et Loisirs Gestion la somme de 15 193,60 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 2021. Les intérêts échus à la date du 4 juillet 2022 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : La commune de Toulon versera à la SASU Arts et Loisirs Gestion une somme de 1 500 euros, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions de la commune de Toulon présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la SASU Arts et Loisirs Gestion et à la commune de Toulon.

Délibéré après l'audience du 18 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

M. Harang, président,

M. Karbal, conseiller,

M. Hélayel, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 février 2024.

Le rapporteur,

Signé

D. HELAYEL Le président,

Signé

Ph. HARANG

La greffière,

Signé

A. CAILLEAUX

La République mande et ordonne au préfet du Var en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,