CAA Lyon, 08/06/2023, n°21LY03008
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
MCH avocats, devenu en cours d'instance le cabinet Admys avocats, a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 25 juillet 2019 du président de la chambre départementale d'agriculture de l'Isère de déclarer sans suite le marché public relatif à l'accompagnement des missions chasse et missions juridiques en droit rural et droit de l'entreprise agricole, et de condamner la chambre départementale d'agriculture de l'Isère à lui verser la somme de 139 946 euros, avec les intérêts et la capitalisation, en indemnisation de son éviction du marché.
Par jugement n° 1906357, 2002412 du 8 juillet 2021, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et des mémoires enregistrés le 9 septembre 2021, le 19 février 2023, le 28 février 2023 et le 10 mars 2023, les deux derniers mémoires n'ayant pas été communiqués, le cabinet Admys avocats, représenté par Me Perrier, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et la décision du 25 juillet 2019 ;
2°) de condamner la chambre départementale d'agriculture de l'Isère à lui verser la somme de 139 946 euros, assortie des intérêts légaux à compter du 9 janvier 2020 et de leur capitalisation ;
3°) de mettre à la charge de chambre départementale d'agriculture de l'Isère la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- en violation de l'article L. 9 du code de justice administrative, le jugement est insuffisamment motivé ;
- le tribunal a omis de statuer sur le moyen tiré de ce que la décision de déclarer sans suite méconnaît les règles issues de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ;
- le motif réel de la déclaration sans suite du marché n'est pas celui tiré de l'insuffisance de concurrence, qui constitue effectivement un motif d'intérêt général, mais la volonté de la chambre départementale d'agriculture de l'Isère, dont les besoins n'ont pas disparu et qui n'a jamais procédé au lancement d'une nouvelle procédure, de l'évincer du marché et de permettre la poursuite de la collaboration avec la FDSEA en contournant les règles de la commande publique, en méconnaissance de la chose jugée et en violation des règles issues de la loi du 31 décembre 1971 de sorte que la décision est entachée d'un détournement de procédure et d'un détournement de pouvoir ;
- cette illégalité constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la chambre départementale d'agriculture de l'Isère ;
- il a droit à réparation de son préjudice dès lors qu'il était classé second ;
- son préjudice est constitué de son manque à gagner, représentant sa marge bénéficiaire nette qui se serait élevée à la somme de 139 946 euros sur ce contrat.
Par mémoires enregistrés le 20 janvier 2023 et le 3 mars 2023, la chambre départementale d'agriculture de l'Isère, représentée par la SELARL CDMF-Avocats Affaires Publiques, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge du cabinet Admys avocats une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- un candidat ne peut prétendre à une indemnisation d'un manque à gagner si la personne publique renonce à conclure le contrat pour un motif d'intérêt général ;
- l'indemnisation sollicitée présente un caractère exorbitant ;
- les autres moyens soulevés par le cabinet Admys avocats ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la commande publique ;
- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duguit-Larcher,
- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public,
- et les observations de Me Martin pour la chambre départementale d'agriculture de l'Isère.
Vu la note en délibéré enregistrée, le 17 mai 2023, présentée pour le cabinet Admys avocats ;
Considérant ce qui suit :
1. La chambre départementale d'agriculture de l'Isère a lancé le 23 mai 2019 une procédure d'appel d'offres pour la passation d'un marché public de prestation de service pour l'accompagnement des missions chasse et missions juridiques en droit rural et droit de l'entreprise agricole. A la suite de la notification du rejet de son offre, par courrier du 25 juin 2019 reçu le 1er juillet, et de la désignation de la FDSEA de l'Isère comme attributaire du marché, MCH avocats, devenue depuis lors le cabinet Admys avocats, a saisi le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Grenoble. Par ordonnance du 23 juillet 2019, la procédure de passation du marché a été annulée au stade de l'examen des offres au motif que l'offre de la FDSEA était irrégulière. Par courrier du 25 juillet 2019, le président de la chambre départementale d'agriculture de l'Isère a informé MCH avocats de la décision de déclarer sans suite le marché pour un motif d'intérêt général tiré de l'insuffisance de concurrence. MCH avocats a alors demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler cette décision et de condamner la chambre départementale d'agriculture de l'Isère à l'indemniser du préjudice subi du fait de cette décision. Par jugement du 8 juillet 2011, dont le cabinet Admys avocats relève appel, le tribunal a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, en écartant le moyen tiré du détournement de pouvoir au motif que l'affirmation selon laquelle la décision attaquée avait pour seul but de permettre à la chambre départementale d'agriculture de l'Isère de continuer à travailler avec la FDSEA n'était étayée par aucun élément et ne résultait pas des pièces du dossier, le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à chacun des arguments de la demandeuse, a suffisamment motivé son jugement.
3. En deuxième lieu, si le cabinet Admys avocats fait valoir que le tribunal a omis de statuer sur le moyen tiré de ce que la décision de déclarer sans suite méconnaît les règles issues de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, il ressort toutefois tant de ses écritures devant le tribunal que de celles présentées devant la cour que les développements du cabinet Admys avocat sur la méconnaissance de la loi du 31 décembre 1971 constituent l'un de ses arguments au soutien du moyen tiré du détournement de pouvoir. Par suite, le tribunal, qui n'était tenu ni de le viser, ni d'y répondre, n'a pas omis de statuer sur un moyen.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
4. Aux termes de l'article R. 2185-1 du code de la commande publique : "L'acheteur peut, à tout moment, déclarer une procédure sans suite". Aux termes de l'article R. 2185-2 du même code : "Lorsqu'il déclare une procédure sans suite, l'acheteur communique dans les plus brefs délais les motifs de sa décision de ne pas attribuer le marché ou de recommencer la procédure aux opérateurs économiques y ayant participé".
5. Le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a, par application de l'article L. 551-2 du code de justice administrative, annulé la procédure de passation au stade de l'examen des offres et enjoint à la chambre départementale d'agriculture de l'Isère de reprendre la procédure au stade de la passation des offres. Dès lors que le juge des référés n'a pas déclaré vicié l'appel public à la concurrence, la chambre départementale d'agriculture de l'Isère n'avait pas, contrairement à ce que soutient le cabinet Admys avocats, à lancer un nouvel avis d'appel public à la concurrence après l'ordonnance du juge des référés pour respecter l'autorité de chose décidée. La procédure a été annulée au stade de l'examen des offres au motif que l'offre de la FDSEA était irrégulière car elle ne pouvait, conformément à la loi du 31 décembre 1971, réaliser pour le compte de la chambre d'agriculture des prestations de conseil juridique. Dès lors que seulement deux offres avaient été présentées, le pouvoir adjudicateur pouvait décider le 25 juillet 2019 de déclarer sans suite la procédure pour défaut de concurrence. Un tel motif constitue un motif d'intérêt général lorsque, comme en l'espèce, une seule offre est régulière. Eu égard au but poursuivi par une mise en concurrence qui est de pouvoir comparer des offres et d'en retirer un avantage économique, ce motif pouvait légalement justifier la décision litigieuse, quand bien même l'offre demeurant ne présentait pas un caractère inacceptable ou que le montant du marché aurait été mal estimé. Par suite, le cabinet Admys avocats n'est pas fondé à soutenir que la décision de déclaration sans suite serait entachée de détournement de procédure.
6. Le cabinet Admys avocats fait valoir que le motif réel de la déclaration sans suite du marché n'est pas celui tiré de l'insuffisance de concurrence, mais la volonté de la chambre départementale d'agriculture de l'Isère de l'évincer du marché et de poursuivre sa collaboration avec la FDSEA en contournant les règles de la commande publique, en méconnaissance de la chose décidée par le juge des référés et en violation des règles issues de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires ou juridiques de sorte que la décision est entachée de détournement de pouvoir.
7. Toutefois, ainsi qu'il a été précédemment indiqué, le pouvoir adjudicateur, qui n'était pas tenu, en l'absence de concurrence, de poursuivre la procédure avec le cabinet MCH avocats, pouvait légalement la déclarer sans suite dans la mesure où il ne disposait plus que d'une offre régulière à l'issue de l'ordonnance du juge des référés. Cette décision était d'autant plus justifiée que la seule offre restant en lice était très supérieure à l'estimation du montant du marché et qu'elle n'impliquait pas que les prestations soient confiées à des préposés de la FDSEA, collaboration au demeurant non établie. Par suite, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.
Sur les conclusions indemnitaires :
8. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat, il appartient au juge de vérifier d'abord si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. Dans l'affirmative, il n'a droit à aucune indemnité. Dans la négative, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. Il convient, d'autre part, de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Dans un tel cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre, lesquels n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique. En revanche, le candidat ne peut prétendre à une indemnisation de ce manque à gagner si la personne publique renonce à conclure le contrat pour un motif d'intérêt général.
9. Il résulte de ce qui précède sur la légalité de la décision de déclaration sans suite de l'appel d'offres que l'éviction du cabinet MCH avocats n'était pas irrégulière. Par suite, le cabinet Admys avocats n'est pas fondé à demander réparation de son manque à gagner à raison de cette éviction.
10. Il résulte de ce qui précède que le cabinet Admys avocats n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande. Sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions. Il y a lieu en revanche, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à sa charge la somme de 2 000 euros à verser à la chambre départementale d'agriculture de l'Isère.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du cabinet Admys avocats est rejetée.
Article 2 : Le cabinet Admys avocats versera à la chambre d'agriculture de l'Isère une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au cabinet Admys avocats et à la chambre départementale d'agriculture de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 17 mai 2023, à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président,
Mme Evrard, présidente assesseure,
Mme Duguit-Larcher, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 juin 2023.
La rapporteure,
A. Duguit-LarcherLe président,
Ph. Arbarétaz
La greffière,
M. -Th. Pillet
La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,