TA La Réunion, 10/08/2023, n°2300929
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 12 juillet et 6 août 2023, la SAS VNM Transports, mandataire du groupement de transports Moutoussamy, représentée par Me Nguyen, demande au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :
1°) d'annuler la procédure de passation du lot n°3 " Plaine des Cafres " du marché n° A23.014 " exécution des services publics routiers de transports scolaires pour les élèves domiciliés sur le territoire de la CASUD " ;
2°) de mettre à la charge de la CASUD une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la candidature de la société de transports l'Oiseau Bleu aurait dû être rejetée dès lors qu'elle n'a pas les capacités techniques et financières pour exécuter le marché ainsi qu'il en résulte notamment de ses multiples défaillances dans le cadre du précédent marché de transport scolaire et dans des marchés conclus avec d'autres collectivités ;
- le critère " prix " est défini avec insuffisamment de précision et la pondération des critères de choix des offres ne permet pas de retenir l'offre économiquement la plus avantageuse.
Par des mémoires en défense enregistrés les 31 juillet et 7 août 2023, la communauté d'agglomération du sud (CASUD), représentée par Me Gaspar, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société VNM Transports au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que tous les moyens de la requête doivent être écartés.
Par un mémoire en défense enregistré le 1er août 2023, la société de transports l'Oiseau Bleu, représentée par Me Rapady, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 7 000 euros soit mise à la charge de la société VNM Transports au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens invoqués par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative ;
Le président du tribunal a désigné M. Felsenheld, premier conseiller, en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 8 août 2023 :
- le rapport de M. Felsenheld, premier conseiller ;
- les observations de Me Nguyen représentant la SAS VNM Transports ;
- les observations de Me Gaspar représentant la CASUD ;
- et les observations de Me Tamil représentant la société l'Oiseau Bleu.
Des pièces couvertes par le secret des affaires ont été transmises au juge des référés le 8 août 2023 par la société l'Oiseau Bleu en application de l'article R. 412-2-1 du code de justice administrative. Ces pièces n'ont pas été communiquées aux autres parties et le juge des référés a statué sans en tenir compte.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié au BOAMP le 21 mars 2023 et au JOUE le 24 mars 2023, la CASUD a engagé une consultation en vue de la conclusion d'un marché de services ayant pour objet l'exécution des services publics routiers de transports scolaires pour les élèves domiciliés sur son territoire sur la période du 1er août 2023 au 31 juillet 2027. Le groupement de transports Moutoussamy, dont la SAS VNM Transports est le mandataire, s'est porté candidat pour l'attribution du lot n° 3 " Plaine des Cafres " mais a été informé, par un courrier du 5 juillet 2023 de la CASUD, que son offre, classée en deuxième position, n'était pas retenue et que la société de transports l'Oiseau Bleu était déclarée attributaire. Par la présente requête, la SAS VNM Transports demande au juge des référés l'annulation de la procédure de passation sur le fondement de l'article L. 551-1 code de justice administrative.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :
2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix () ". Selon l'article L. 551-10 du même code : " Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat () et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué () ". Il appartient au juge du référé précontractuel de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte, en avantageant une entreprise concurrente.
En ce qui concerne la candidature de l'Oiseau Bleu :
3. Aux termes de l'article L. 2142-1 du code de la commande publique : " L'acheteur ne peut imposer aux candidats des conditions de participation à la procédure de passation autres que celles propres à garantir qu'ils disposent de l'aptitude à exercer l'activité professionnelle, de la capacité économique et financière ou des capacités techniques et professionnelles nécessaires à l'exécution du marché. / Ces conditions sont liées et proportionnées à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution. " Le juge du référé précontractuel ne peut censurer l'appréciation portée par le pouvoir adjudicateur sur les garanties et capacités techniques et financières que présentent les candidats à un marché public, ainsi que sur leurs références professionnelles, que dans le cas où cette appréciation est entachée d'une erreur manifeste.
4. Il résulte du règlement de la consultation du marché que, pour être admis à candidater, chaque candidat doit produire son chiffre d'affaires global, ainsi que son chiffre d'affaires relatif aux prestations qui sont l'objet du marché, au cours des trois derniers exercices. En outre, chaque candidat doit justifier notamment de son effectif moyen annuel, de son personnel d'encadrement, ainsi que de la liste des prestations réalisées les trois dernières années. En l'espèce, il résulte des extraits du dossier de candidature de la société l'Oiseau Bleu produits en défense que cette société exerce une activité dans le domaine du transport scolaire depuis vingt-cinq ans, qu'elle a travaillé notamment pour le département de La Réunion, la communauté intercommunal Réunion Est (CIREST), le réseau " Car Jaune " et la société Air France, qu'elle justifie d'un chiffre d'affaires évoluant de 5,4 à 7,2 millions d'euros sur la période de 2019 à 2022, que l'activité de transport scolaire correspond à 30% de son chiffre d'affaires et qu'elle a employé entre 58 et 75 salariés au cours des trois dernières années dont cinq personnes au titre de l'encadrement administratif. Par suite, s'il résulte des éléments apportés par la société requérante que la société l'Oiseau Bleu s'est vue infligée une pénalité de 76 200 euros dans le cadre du précédent marché de transport scolaire conclu avec la CASUD et qu'elle connaît différents litiges avec d'autres collectivités publiques dans le cadre d'autres marchés publics, ces considérations ne peuvent suffire à conclure que la CASUD a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne rejetant pas la candidature de l'attributaire en raison de l'insuffisance de ses capacités techniques et financières.
En ce qui concerne le critère " prix " :
5. Aux termes de l'article R. 2152-7 du code de la commande publique : " Pour attribuer le marché au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, l'acheteur se fonde : / 1° Soit sur un critère unique qui peut être : / a) Le prix, à condition que le marché ait pour seul objet l'achat de services ou de fournitures standardisés dont la qualité est insusceptible de variation d'un opérateur économique à l'autre ; / b) Le coût, déterminé selon une approche globale qui peut être fondée sur le coût du cycle de vie défini à l'article R. 2152-9 ; / 2° Soit sur une pluralité de critères non-discriminatoires et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution, parmi lesquels figure le critère du prix ou du coût et un ou plusieurs autres critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux. Il peut s'agir des critères suivants : / a) La qualité, y compris la valeur technique et les caractéristiques esthétiques ou fonctionnelles, l'accessibilité, l'apprentissage, la diversité, les conditions de production et de commercialisation, la garantie de la rémunération équitable des producteurs, le caractère innovant, les performances en matière de protection de l'environnement, de développement des approvisionnements directs de produits de l'agriculture, d'insertion professionnelle des publics en difficulté, la biodiversité, le bien-être animal ; / b) Les délais d'exécution, les conditions de livraison, le service après-vente et l'assistance technique, la sécurité des approvisionnements, l'interopérabilité et les caractéristiques opérationnelles ; / c) L'organisation, les qualifications et l'expérience du personnel assigné à l'exécution du marché lorsque la qualité du personnel assigné peut avoir une influence significative sur le niveau d'exécution du marché. / D'autres critères peuvent être pris en compte s'ils sont justifiés par l'objet du marché ou ses conditions d'exécution. / () ". Il appartient au pouvoir adjudicateur de déterminer l'offre économiquement la plus avantageuse en se fondant sur des critères permettant d'apprécier la performance globale des offres au regard de ses besoins. Ces critères doivent être liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution, être définis avec suffisamment de précision pour ne pas laisser une marge de choix indéterminée et ne pas créer de rupture d'égalité entre les candidats. Le pouvoir adjudicateur détermine librement la pondération des critères de choix des offres. Toutefois, il ne peut légalement retenir une pondération, en particulier pour le critère du prix ou du coût, qui ne permettrait manifestement pas, eu égard aux caractéristiques du marché, de retenir l'offre économiquement la plus avantageuse.
6. Il résulte du règlement de la consultation que le jugement des offres est apprécié au regard de deux critères, d'une part, le critère du prix, lequel compte pour 70% de la note totale, et, d'autre part, le critère de la valeur technique, lequel correspond à 30% de cette note. Il ressort de ce même règlement que " le prix des prestations est déterminé par référence au prix journalier forfaitaire proposé pour le transport des élèves du lot correspondant, au vu des moyens mis en œuvre pour assurer la prestation ". Le règlement précise que le prix journalier forfaitaire doit être cohérent avec la décomposition du prix journalier forfaitaire qui fait l'objet d'un document renseigné par chaque candidat dans le cadre de son offre. Il ressort du document intitulé " Décomposition du prix journalier forfaitaire " que le prix est fixé à partir des marges et frais généraux, du coût de la mise à disposition de conducteurs professionnels, des véhicules, ainsi que de l'exploitation. En l'espèce, il ne peut être déduit de ces éléments que le prix est fixé en fonction du " coût du cycle de vie " défini à l'article R. 2152-9 du code de la commande publique. En outre, l'expression " au vu des moyens mis en œuvre pour assurer la prestation " n'a ni pour objet ni pour effet d'inclure une dimension qualitative au critère du prix. Il ressort en effet du document de décomposition du prix journalier forfaitaire que le prix varie en fonction de la capacité des véhicules selon qu'ils comportent plus ou moins cinquante places assises. Par suite, l'expression litigieuse a seulement pour objet de permettre au soumissionnaire de distinguer les prix proposés en fonction de la capacité des véhicules. Au demeurant, il résulte de l'instruction que la société requérante a également soumissionné au lot n° 2 " Saint-Philippe ", qu'elle s'est vue attribuer, sur le fondement du même règlement de consultation. Il s'en déduit que la société requérante a été en mesure de comprendre la portée du règlement en ce qui concerne la définition du prix laquelle est dépourvue d'imprécision. Enfin, en fixant une pondération à 70% pour le prix et à 30% pour le critère technique, pour l'analyse des offres du présent marché, le pouvoir adjudicateur n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation dès lors que le marché en cause porte sur des prestations relativement standardisées. Il s'en suit que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la pondération des critères, en particulier pour le critère du prix, ne permettrait manifestement pas, eu égard aux caractéristiques du marché, de retenir l'offre économiquement la plus avantageuse.
7. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions présentées par la société requérante tendant à l'annulation de la procédure de passation du lot n° 3 " Plaine des Cafres " du marché n° A23.014 " exécution des services publics routiers de transports scolaires pour les élèves domiciliés sur le territoire de la CASUD " doivent être rejetées.
Sur les frais de l'instance :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la CASUD, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société requérante réclame au titre des frais liés au litige. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société requérante le versement d'une somme de 1 000 euros à la CASUD et d'une somme de 1 000 euros à la société l'Oiseau Bleu, au titre des mêmes frais.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SAS VNM Transports, mandataire du groupement de transports Moutoussamy, est rejetée.
Article 2 : La SAS VNM Transports, mandataire du groupement de transports Moutoussamy, versera une somme de 1 000 euros à la CASUD et une somme de 1 000 euros à la société l'Oiseau Bleu au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la SAS VNM Transports, mandataire du groupement de transports Moutoussamy, à la communauté d'agglomération du sud (CASUD) et à la société l'Oiseau Bleu.
Fait à Saint-Denis le 10 août 2023.
Le juge des référés La greffière,
R. FELSENHELD J. BELENFANT
La République mande et ordonne au préfet de La Réunion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
P/la greffière en chef
La greffière,
J. BELENFANT
jb