TA Strasbourg, 25/08/2023, n°2305545
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 2 et 17 août 2023, l'Académie des leaders publics, représentée par Me Bizzarri, demande au juge des référés :
1°) d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, la suspension de la procédure de passation du marché portant sur l'animation d'ateliers relatifs à la transition écologique à destination de cadres supérieurs, ainsi que la formation d'animateurs et de formateurs d'animateurs en vue de l'internalisation de ces ateliers à la fonction publique d'Etat et d'annuler les décisions en ayant découlé, notamment les décisions d'attribution des deux lots ;
2°) d'ordonner la reprise de la procédure de passation au stade des offres après négociation et avant invitation via Place à déposer les offres finales conformément à l'article 8-2 du règlement de consultation en respectant les obligations de mise en concurrence ;
3°) de mettre à la charge de l'Institut National du Service Public (INSP) une somme de 2 500 € en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la procédure d'évaluation des offres n'a pas été respectée ; elle n'a pas reçu d'invitation à déposer une offre finale incluant les modifications apportées à sa proposition initiale suite à son audition, en méconnaissance de l'article 8-2 du règlement de consultation ; elle a bien pris soin de demander à l'INSP à quel moment l'offre finale devait être transmise et n'a pas reçu de réponse avant la décision de rejet de son offre ; la concurrence a ainsi été faussée ; dans la mesure où son offre était la moins-disante en termes de prix, la possibilité de modifier le volet technique aurait pu lui permettre de remporter le marché ;
- il ressort des informations parues dans la presse et sur les réseaux sociaux que certains soumissionnaires, ceux ayant déjà effectué une mission préalable à ce marché public ou ayant des liens avec les membres de la commission d'attribution, étaient avantagés et que les prestataires étaient déjà choisis en amont de la procédure d'appel d'offres.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 11 août 2023 et le 16 août 2023, l'Institut national du service public conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la requérante une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la requête doit être rejetée dès lors que la requérante n'adresse aucune demande précise au tribunal ;
- il y a lieu de procéder à une substitution de motifs, l'offre de la requérante devait en tout état de cause être rejetée comme irrégulière, de sorte que l'ensemble des moyens soulevés sont inopérants, cette dernière ne pouvant justifier d'un intérêt lésé ; en l'espèce, l'article 4-2 du règlement de consultation exigeait la production par les candidats à l'appui de leur offre d'échantillons relatifs aux supports pédagogiques utilisés et au déroulement des ateliers, et indiquait que la production d'échantillons non conformes entraîneraient automatiquement le rejet de l'offre ; or la requérante a produits les mêmes échantillons pour les deux lots du marché qui correspondaient portant à des prestations différentes, de sorte qu'ils ne sont pas adaptés à l'objet du marché ; par ailleurs ces échantillons ne proviennent pas du candidat et leurs sources ne sont pas mentionnées, et la requérante ne justifie pas de son droit à les exploiter ; une telle irrégularité n'est pas régularisable car elle fait obstacle à ce que soit appréciée la conformité de l'offre aux exigences du cahier des charges et est susceptible d'exercer une influence sur la comparaison entre les offres, l'essentiel de la valeur technique de l'offre dépendait de l'appréciation des échantillons ;
- à titre subsidiaire, les moyens soulevés ne sont pas fondés ; l'INSP a transmis deux courriers à l'ensemble des candidats postérieurement à la négociation de leur offre respective leur précisant les modalités de présentation d'une réponse complémentaire et le délai ; les autres candidats ne s'y sont pas trompés et ont bien déposé une offre finale ; la requérante n'a au demeurant posé aucune question sur les conditions de dépôt d'une offre finale ; s'agissant de la prétendue inégalité de traitement entre les candidats, elle ne produit aucun élément probant.
L'INSP a produit une note en délibéré enregistrée le 18 août 2023, qui n'a pas été communiquée.
L'Académie des leaders publics a produit une note en délibéré enregistrée le 22 août 2023, qui n'a pas été communiquée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné Mme A pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique tenue en présence de M. Bohn, greffier d'audience, Mme A a lu son rapport et entendu :
- les observations de Me Bizzari, représentant l'Académie des leaders publics, qui indique que la requérante peaufinait son offre dans l'attente de l'invitation à présenter son offre finale, invitation qu'elle n'a pas reçue ; le caractère irrégulier de son offre n'est pas établi, les échantillons produits dans le cadre d'une offre finale auraient en tout état de cause été conformes ;
- les observations de Me Cabanes, représentant l'INSP, qui soutient que les termes du règlement de consultation impliquaient la production par les candidats d'échantillons pédagogiques de leur propre production, dans la mesure où ces derniers constituaient le support de l'appréciation du critère de la valeur technique des candidats ; la possibilité de déposer une offre finale n'a pas vocation à permettre la régularisation d'une offre initiale ; s'agissant de l'invitation à déposer une offre finale, l'INSP a posé à l'ensemble des candidats des questions ayant pour but de leur permettre de préciser leur offre, concernant tous ses aspects, et tous les autres candidats y ont répondu en transmettant une offre finale ; les règles de concurrence n'ont ainsi pas été méconnues, l'ensemble des candidats ayant eu la possibilité d'améliorer leur offre ; aucun candidat n'a par ailleurs été avantagé, étant entendu que le principe d'égalité de traitement doit néanmoins supporter les inégalités propres aux candidats en termes d'expérience et de connaissances.
La clôture de l'instruction est intervenue à l'issue de l'audience.
Considérant ce qui suit :
1. L'Institut national du service public (INSP) a engagé une procédure adaptée en vue de la passation d'un accord cadre relatif à l'animation d'ateliers portant sur la transition écologique à destination notamment de cadres supérieurs et à la formation d'animateurs et de formateurs d'animateurs en vue de l'internalisation desdits ateliers à la fonction publique d'Etat, divisé en deux lots. Le 27 juillet 2023, il a informé l'Académie des leaders publics du rejet de son offre et de l'attribution du lot n°1 à la société Inventons nos vies bas carbone et du lot n°2 à la société 2Tonnes compagnie. Sur le fondement des articles L. 551-1 et suivants du code de justice administrative, l'Académie des leaders publics demande au juge des référés d'annuler ces décisions ainsi que la procédure de passation.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :
2. Aux termes de L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique () / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". Aux termes de l'article L. 551-2 de ce même code : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations ".
3. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.
Sur la procédure d'évaluation des offres :
4. Aux termes de l'article L. 2152-7 du code de la commande publique : " Le marché est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base d'un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution. Les modalités d'application du présent alinéa sont prévues par voie réglementaire. () ". L'article 8-2 du règlement de la consultation disposait que : " A l'issue de la dernière phase de négociation, le coordonnateur invite les soumissionnaires ayant participé à celles-ci, à remettre une offre finale via PLACE dans un délai raisonnable et identique pour tous. Ce délai ainsi que les modalités de réponse sont déterminés dans l'invitation. L'offre finale reprendra les modifications apportées à sa proposition initiale et/ou intermédiaire. () A défaut de réponse ou de confirmation écrite dans le délai imparti par un candidat admis à négocier, l'analyse définitive est effectuée sur la base de la proposition initiale. A l'issue de la négociation, le coordonnateur attribue le marché au candidat ayant proposé l'offre économiquement la plus avantageuse, sur la base des critères annoncés ci-dessus. "
5. Il résulte de l'instruction que par courriers des 30 juin et 3 juillet 2023, la requérante, de même que l'ensemble des autres candidats, a été invitée à répondre à une série de questions, par le biais de la plate-forme Place, portant sur l'ensemble des aspects du marché, afin de lui permettre de préciser et d'améliorer son offre. Pour regrettable que soit le manque de précision terminologique et de référence expresse à la notion " d'offre finale " prévue par les dispositions précitées du règlement de la consultation, il doit cependant être considéré que ces courriers tenaient lieu de l'invitation à présenter une offre finale prévue par l'article 8-2 précité. Il n'est d'ailleurs pas contesté que tous les autres candidats ont compris ainsi ces courriers et effectivement déposé une offre finale, tel n'ayant pas été le cas de la requérante. Cette dernière n'est par suite pas fondée à se prévaloir d'une méconnaissance des règles de la concurrence dans la procédure d'évaluation des offres.
Sur l'atteinte au principe d'égalité de traitement :
6. Si la requérante soutient que certains soumissionnaires auraient été avantagés lors de l'examen des offres, cette seule affirmation non étayée d'éléments probants ne saurait suffire à caractériser une atteinte au principe de l'égalité de traitement.
7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir soulevée par l'INSP quant au caractère irrégulier de l'offre présentée par la requérante, que les conclusions à fin d'annulation présentées par l'Académie des leaders publics ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais de l'instance :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'INSP, qui n'est pas la partie perdante à la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu en revanche de mettre à la charge de l'Académie des leaders publics une somme de 1 500 € en application de ces dispositions.
O R D O N N E :
Article 1er : La requête de l'Académie des leaders publics est rejetée.
Article 2 : L'Académie des leaders publics versera à l'Institut national du service public, la somme de 1 500 (mille cinq cents) euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l'Académie des leaders publics, à l'Institut national du service public, à la Société Inventons nos vies bas carbone et à la Société 2 tonnes compagnie.
Fait à Strasbourg, le 25 août 2023.
La juge des référés,
S. A
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.