CAA Bordeaux, 26/03/2024, n°22BX00730


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B A a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner l'Etat à lui verser une somme de 16 000 euros en réparation des préjudices moral et financier subis du fait de la renonciation de l'Etat à louer sa villa située à Biarritz.

Par un jugement n° 1902640 du 16 décembre 2021, le tribunal administratif de Pau a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 28 février 2022, 28 mars 2022 et 24 avril 2023, M. A, représentée par Me Théobald, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement tribunal administratif de Pau du 16 décembre 2021 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 16 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué ne vise pas avec une précision suffisante les moyens et conclusions des parties ;

- les premiers juges ont estimé à tort qu'aucun contrat n'avait été conclu avec l'Etat ; le courriel en date du 11 mars 2019, qui comportait un accord sur la chose et le prix, constituait une décision de l'Etat de conclure le bail, créatrice de droits ; le contrat ne constituait qu'un acte d'exécution du cette décision créatrice de droits ; cette décision a été retirée plus de quatre mois après son édiction, en méconnaissance de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration ;

- le retrait illégal de cette décision créatrice de droits engage la responsabilité pour faute de l'Etat ;

- le litige ne porte pas sur l'exécution d'un contrat mais sur la décision prise par l'administration de revenir sur l'engagement de conclure un contrat ; cette décision ayant été prise puis confirmée par courriel du 26 mars 2019, le ministre se prévaut à tort du régime de la responsabilité en cas de rupture de pourparlers ;

- la conclusion de ce contrat procédait de la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique dès lors que la prise à bail du bien était destinée à permettre la constitution d'une zone sécurisée dans le cadre de l'organisation du G7 à Biarritz ; le contrat comporte en outre des clauses exorbitantes de droit commun, le preneur pouvant donner congé à tout moment moyennant le versement d'une indemnité fixée forfaitairement ; en outre, l'administration a mis en place une procédure de sélection des offres de location ;

- l'Etat a commis une faute en rompant son engagement de louer son bien et en l'informant tardivement de sa décision de ne plus louer son bien ; du fait de la non tenue de sa promesse par l'Etat, il s'est trouvé dans l'impossibilité de louer son bien et a ainsi subi une perte de loyers au titre de la période allant du 19 au 27 août 2019 ;

- il a subi une perte de loyers de 14 000 euros ainsi qu'un préjudice moral qui doit être évalué à 2 000 euros ;

- l'article 3.2 du contrat prévoyant une indemnité égale à 60 % du montant du loyer en cas de renonciation à louer le bien entre le 15 juin et le 15 août, l'Etat doit à tout le moins être condamné à lui verser une somme de 8 100 euros.

Par des mémoires, enregistrés les 1er mars et 13 juin 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé ; le tribunal a visé et analysé l'ensemble de ses conclusions et mémoires et répondu à l'ensemble des moyens soulevés ;

- la responsabilité contractuelle de l'Etat ne saurait être engagée dès lors qu'aucun contrat n'a été conclu ; le courriel dont se prévaut le requérant était accompagné d'un projet de contrat de bail, dont certaines mentions déterminantes restaient à remplir ; le bail n'a pas été signé par l'administration ; le requérant ne démontre pas, au demeurant, avoir renvoyé à l'administration le contrat complété et signé ;

- à supposer qu'un contrat ait été conclu, il n'a pas pour objet l'exécution d'un service public et ne comporte aucune clause exorbitante de droit commun et constitue ainsi un contrat de droit privé ; le projet de bail stipule que le contrat est régi par le code civil et la clause dont se prévaut le requérant n'implique pas que le contrat relève du régime exorbitant de droit commun ;

- il n'est nullement démontré que l'absence de suite donnée par l'administration à l'offre de location de M. A ait entraîné pour lui un quelconque préjudice ; un bien de cette nature pouvait, en pleine saison estivale, être loué sans difficulté à des estivants ; le loyer exorbitant de 14 000 euros revendiqué par le requérant ne ressort d'aucune pièce du dossier et ne saurait être retenu comme base d'indemnisation ; le requérant n'établit pas que ce bien faisait habituellement l'objet d'une location au tarif envisagé ;

- à supposer que le courriel du 23 juillet 2019 puisse être qualifié de résiliation du contrat, l'indemnité devrait être limitée à 60 % du montant pouvant être regardé comme le juste prix de la location d'un bien équivalent ;

- il n'existe aucun droit acquis, en phase précontractuelle, à la signature d'un contrat ; la renonciation à conclure le bail en raison du caractère élevé des loyers et de l'absence de localisation stratégique du bien constitue un motif d'intérêt général justifiant la décision prise par l'administration ; le requérant était parfaitement informé que la conclusion du contrat de bail était subordonnée à la signature d'un contrat entre les deux parties ; M. A n'était pas destinataire du courriel du 16 mai 2019 :

- à supposer même que l'administration ait commis une faute, la rupture unilatérale, par une personne publique, de négociations préalables à la signature d'un contrat ne peut jamais donner lieu à l'indemnisation des bénéfices escomptés de la signature dudit contrat, en raison de l'absence de droit à la signature du contrat et donc du caractère éventuel de des bénéfices attendus ; or, le requérant ne fait état d'aucun préjudice indemnisable distinct du gain manqué correspondant au montant des loyers escomptés ;

- la requérant n'établit pas avoir subi un préjudice moral ;

- les conclusions tendant à l'engagement de la responsabilité sans faute de l'Etat sont nouvelles en appel et, par suite, irrecevables ;

Par ordonnance du 24 avril 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 30 juin 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy ;

- et les conclusions de Mme Isabelle Le Bris.

Considérant ce qui suit :

1. M. A, propriétaire d'une villa située 3 rue de la Bastille à Biarritz, a proposé au préfet de Pyrénées-Atlantiques de louer ce bien à l'Etat, au prix de 1 500 euros par jour, en vue de l'hébergement des forces de l'ordre mobilisées dans le cadre du sommet du G7 devant se tenir à Biarritz du 24 au 26 août 2019. Par un courriel du 11 mars 2019, le préfet des Pyrénées-Atlantiques a indiqué à M. A que son offre de location pour la période du 19 au 27 août 2019 était retenue et lui a adressé un projet de bail à compléter et signer, en lui précisant qu'un exemplaire signé par un représentant de l'Etat lui serait ensuite retourné. Par un nouveau courriel du 26 mars 2019, le préfet des Pyrénées-Atlantiques a indiqué à M. A qu'un nouveau modèle de bail allait lui être adressé, en précisant que ce contretemps ne remettait pas en question la décision de l'Etat de louer son bien. Toutefois, par un courriel du 23 juillet 2019, le préfet des Pyrénées-Atlantiques lui a indiqué qu'il ne donnait pas suite à son offre de location aux motifs que son offre était trop élevée et que la maison ne bénéficiait pas d'un emplacement stratégique. Par un courrier du 24 juillet 2019, M. A a sollicité le versement de l'intégralité du montant de la location prévue, soit 14 000 euros, en exécution du contrat de location selon lui abusivement rompu. Une décision implicite de rejet est née du silence gardé par l'administration sur cette demande. M. A a alors demandé au tribunal administratif de Pau de condamner l'Etat à lui verser une somme de 16 000 euros en réparation des préjudices moral et financier subis du fait de la renonciation de l'Etat à louer sa villa. Il relève appel du jugement du 16 décembre 2021 par lequel le tribunal a rejeté cette demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision () contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application. () ".

3. Si M. A soutient que les moyens et conclusions des parties n'ont pas été analysés avec une précision suffisante par le tribunal, ce moyen n'est pas assorti de précisions permettant à la cour d'en apprécier le bien-fondé.

4. En deuxième lieu, la demande présentée par M. A devant le tribunal administratif de Pau tendait notamment à l'engagement de la responsabilité contractuelle de l'Etat.

5. D'une part, il résulte de l'instruction que l'offre de location faite par M. A en février 2019 comportait les caractéristiques de la villa offerte à la location et le prix journalier de cette location. Par son courriel du 11 mars 2019, le préfet des Pyrénées-Atlantiques a indiqué que cette offre de location était retenue pour la période du 19 au 27 août 2019 et a joint à son courriel un contrat de bail. Si ce contrat de bail comportait des rubriques restant à compléter par le bailleur, celles-ci portaient uniquement sur la désignation des locaux loués et sur le montant de la location, éléments qui figuraient déjà dans l'offre de location de M. A. Par ailleurs, si le contrat de bail signé n'a pas été retourné à M. A, le préfet des Pyrénées-Atlantiques lui a toutefois confirmé, par courriel du 26 mars 2019, la décision de l'Etat de louer son bien. Dans ces conditions, eu égard à l'accord de volonté des parties que traduisent les échanges ci-dessus décrits, et malgré l'absence de bail signé, un contrat de location a été conclu entre l'Etat et M. A.

6. D'autre part, le contrat de location ainsi conclu entre l'Etat et M. A, dont le seul objet était de permettre le logement d'agents de police, visait à satisfaire les besoins du service public et n'avait ni pour objet, ni pour effet, de faire participer le propriétaire à l'exécution même du service public. Si l'article 3. 2 du projet de bail joint au courriel du 11 mars 2019 stipule que le preneur peut donner congé au bailleur à tout moment, cet article prévoit également une indemnisation forfaitaire du bailleur fixée entre 30 % et 100 % du loyer suivant la date à laquelle ce congé intervient. Contrairement à ce que soutient M. A, une telle clause ne saurait être regardée comme au nombre de celles qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l'exécution du contrat, impliquent, dans l'intérêt général, que le contrat relève du régime exorbitant des contrats administratifs. Enfin, aucune des autres clauses de ce bail ne saurait être regardée comme ayant cette nature.

7. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 et 7 que le contrat de location conclu entre l'Etat et M. A ne revêt pas le caractère d'un contrat administratif. L'action indemnitaire formée par M. A, en ce qu'elle trouve son fondement dans le contrat de location précité, relève, dès lors, de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire. Dès lors, il y a lieu d'annuler le jugement attaqué en ce que le tribunal s'est reconnu compétent pour connaître de la demande du requérant tendant à l'engagement de la responsabilité contractuelle de l'Etat et, statuant par voie d'évocation, de rejeter cette demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Sur la responsabilité extracontractuelle de l'Etat :

8. M. A sollicite, sur le fondement de la faute extracontractuelle qu'aurait commise l'Etat en renonçant à louer sa villa comme il s'y serait engagé, la réparation du préjudice de perte de revenus locatifs et du préjudice moral que cette renonciation lui aurait causés. Toutefois, le requérant, qui est lié à l'Etat par un contrat, ne peut exercer à l'encontre de celui-ci, en raison des préjudices dont il demande réparation, d'autre action que celle procédant de ce contrat.

9. Il résulte de ce qui précède que M. A n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté ses conclusions indemnitaires présentées sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle de l'Etat.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit au titre des frais exposés par M. A et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1902640 du 16 décembre 2021 du tribunal administratif de Pau est annulé en ce qu'il s'est reconnu compétent pour connaître de la demande de M. A tendant à l'engagement de la responsabilité contractuelle de l'Etat.

Article 2 : Les conclusions indemnitaires de la demande de première instance fondées sur la responsabilité contractuelle de l'Etat sont rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B A et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 5 mars 2024 à laquelle siégeaient :

M. Laurent Pouget, président,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,

M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 mars 2024.

La rapporteure,

Marie-Pierre Beuve-Dupuy

Le président,

Laurent Pouget La greffière,

Chirine Michallet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.