CAA de Bordeaux, 21 décembre 2023, n°22BX00924
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SARL Martiniquaise de l'art du granit a demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner la commune du Carbet à lui verser la somme de 36 000 euros au titre des préjudices subis du fait de son éviction, assortie des intérêts de retard au taux légal à compter de sa demande préalable du 6 novembre 2019 et capitalisation de ces intérêts.
Par un jugement n° 2000628 du 23 décembre 2021, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 22 mars 2022, la SARL Martiniquaise de l'art du granit (SMAG), représentée par Les Avocats Réunis AARPI, agissant par la SELAS JurisCarib et Me Nicolas, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Martinique du 23 décembre 2021 précité ;
2°) de condamner la commune du Carbet à lui verser la somme de 36 000 euros au titre des préjudices subis du fait de son éviction, assortie des intérêts de retard au taux légal à compter de sa demande préalable du 6 novembre 2019 et capitalisation de ces intérêts ;
3°) de mettre à la charge de la commune du Carbet les entiers dépens ainsi qu'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- contrairement à ce qu'indique le tribunal, elle n'a pas été informée des motifs du rejet de son offre ni n'a eu communication des caractéristiques et avantages de l'offre retenue en violation de l'article 99 du décret du 25 mars 2016 ;
- cette illégalité ne lui a pas permis de démontrer l'illégalité de la procédure de passation du marché alors qu'elle disposait de chances sérieuses de remporter le marché ainsi que d'établir le lien de causalité entre la faute et ses préjudices ;
- elle subit un manque à gagner d'un montant de 26 000 euros ;
- elle a droit au versement de dommages et intérêts d'un montant de 10 000 euros en réparation de la résistance abusive commise par la commune du Carbet.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 décembre 2022, la commune du Carbet, représentée par Me Catol, conclut au rejet de la requête, et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la requérante sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 19 décembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 20 janvier 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;
- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique, ont été entendus :
- le rapport de Mme A,
- et les conclusions de M. Duplan, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La commune du Carbet a lancé le 25 mai 2018 un avis d'appel public à la concurrence pour la passation d'un marché à procédure adaptée, en application de l'article 27 du décret du 25 mars 2016, portant sur l'aménagement et la construction d'enfeus au cimetière communal. La société martiniquaise de l'art du granit (SMAG) a été informée, par courrier du 1er avril 2019, du rejet de sa candidature. Elle a présenté plusieurs demandes d'indemnisation auprès de la commune du Carbet adressées le 6 novembre 2019, le 9 avril 2020 et le 4 janvier 2021, rejetées implicitement par la commune. La société martiniquaise de l'art du granit a demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner la commune du Carbet à l'indemniser des préjudices résultant de son éviction irrégulière à hauteur de 36 000 euros. Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Lorsqu'une entreprise candidate à l'attribution d'un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce dernier, il appartient au juge de vérifier d'abord si l'entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le marché. Dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité. Dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre. Il convient ensuite de rechercher si l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le marché. Dans un tel cas, l'entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.
3. La société martiniquaise de l'art du granit soutient que la commune du Carbet a commis des fautes dans la mise en œuvre de la procédure de passation du marché précité qui sont de nature à engager sa responsabilité. Elle ajoute qu'en l'absence de communication des motifs de rejet de sa candidature et des caractéristiques et avantages de l'offre retenue, elle n'a pas été mise à même d'établir les illégalités commises, d'apprécier les chances sérieuses qu'elle avait de remporter le marché et le lien de causalité entre les fautes commises et son préjudice.
4. Aux termes de l'article 99 du décret du 25 mars 2016 alors en vigueur : " I. - Pour les marchés publics passés selon une procédure adaptée, l'acheteur, dès qu'il décide de rejeter une candidature ou une offre, notifie à chaque candidat ou soumissionnaire concerné le rejet de sa candidature ou de son offre. / Il communique aux candidats et aux soumissionnaires qui en font la demande écrite les motifs du rejet de leur candidature ou de leur offre dans un délai de quinze jours à compter de la réception de cette demande. Si le soumissionnaire a vu son offre écartée alors qu'elle n'était ni inappropriée ni irrégulière ni inacceptable l'acheteur lui communique, en outre, les caractéristiques et avantages de l'offre retenue ainsi que le nom de l'attributaire du marché public ".
5. Les dispositions de l'article 99 du décret du 25 mars 2016 imposant, pour les marchés passés selon une procédure adaptée, à l'acheteur, lorsqu'il a décidé de rejeter une offre, de notifier ce rejet au soumissionnaire concerné, et si ce dernier en fait la demande, de lui communiquer les motifs du rejet de son offre, n'interdisent pas à l'acheteur, après avoir satisfait à cette exigence, de procéder ultérieurement à une nouvelle communication pour compléter ou préciser ces motifs, voire pour procéder à une substitution de motifs.
6. La société martiniquaise de l'art du granit soutient que la commune du Carbet ne lui a pas communiqué les motifs du rejet de son offre, ni les caractéristiques et avantages de l'offre retenue dans les délais requis par l'article 99 précité. Il résulte de l'instruction que ce n'est qu'en réponse à la demande écrite adressée par le conseil de la requérante le 23 mars 2019 que la commune du Carbet, par un courrier du 1er avril 2019, lui a indiqué que son offre avait été rejetée en lui adressant, en pièce jointe, la lettre de notification du rejet de son offre en date du 26 juin 2018. Ce faisant, la commune du Carbet, qui ne justifie pas lui avoir régulièrement notifié le rejet de son offre dès le 26 juin 2018 a commis une faute dans la procédure de passation du marché. Cette lettre du 26 juin 2018 indique que le marché a été attribué à la société Granimond et précise le motif du choix dans les termes suivants " offre était économiquement la plus avantageuse financièrement, au vu des critères des valeurs techniques ", par application des articles 91, 101 et 103 du décret du 25 mars 2016. Alors que le conseil de la requérante sollicitait également dans son courrier du 23 mars 2019 les caractéristiques et avantages de l'offre retenue, le courrier du maire du Carbet du 1er avril 2019, ne précise pas le classement ou encore les notes obtenues par la requérante et celles de l'attributaire et aucune mention n'est apportée sur les caractéristiques et avantages de l'offre retenue. La commune du Carbet, qui ne justifie pas avoir transmis ces éléments ultérieurement, a en conséquence commis une seconde faute au regard des obligations lui incombant. Toutefois, aucun lien de causalité direct et certain n'est établi entre les irrégularités précitées et le préjudice invoqué, dès lors qu'il résulte de l'instruction que l'offre de la société requérante a été écartée au motif qu'elle n'était pas la plus avantageuse économiquement et qu'elle était ainsi dépourvue de toute chance d'emporter le marché.
7. Il résulte de tout ce qui précède, que la société martiniquaise de l'art et du granit n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande indemnitaire.
Sur les frais de l'instance :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de la commune du Carbet, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la société martiniquaise de l'art du granit au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la société martiniquaise de l'art du granit une somme à verser à la commune du Carbet en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En l'absence de dépens, les conclusions de la société tendant à leur versement ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société martiniquaise de l'art du granit (SMAG) est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société martiniquaise de l'art du granit en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société martiniquaise de l'art du granit et à la commune du Carbet.
Délibéré après l'audience du 27 novembre 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Ghislaine Markarian, présidente,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
Mme Caroline Gaillard, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 décembre 2023.
La rapporteure,
Caroline A
La présidente,
Ghislaine Markarian
La greffière,
Catherine Jussy
La République mande et ordonne au préfet de la Martinique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.