CAA Douai, 06/04/2023, n°22DA00446

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Gondecourt a demandé au tribunal administratif de Lille, en réparation des désordres subis dans le cadre des aménagements paysagers du lieu-dit "Place Verte", de condamner la société Inovert à lui verser la somme de 53 012,91 euros hors taxes, au titre de la garantie décennale et du manquement à son obligation de conseil, de condamner sur les mêmes fondements la société Bocage à lui verser la somme de 14 675,04 euros hors taxes, de condamner solidairement les sociétés Inovert et Bocage à lui verser la somme de 15 255,60 euros toutes taxes comprises, au titre du défaut de conception et d'exécution et du manquement à leur obligation de conseil, de condamner solidairement les mêmes sociétés à lui verser la somme de 2 790 euros, au titre des frais de travaux occasionnés par la réalisation de l'expertise, de mettre à leur charge solidaire les entiers dépens ainsi qu'une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1810798 du 22 décembre 2021, le tribunal administratif de Lille a partiellement fait droit aux demandes de la commune de Gondecourt, d'une part, en condamnant la société Inovert à lui verser la somme de 35 201,03 euros TTC et la société Bocage à lui verser la somme de 1 116 euros TTC, d'autre part, en mettant pour un tiers à la charge définitive de la commune de Gondecourt, pour un tiers à celle de la société Inovert et pour un tiers à celle de la société Bocage, les frais et honoraires d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 4 655,35 euros TTC. Il a enfin mis à la charge de la société Inovert et de la société Bocage, chacune, une somme de 750 euros à verser à la commune de Gondecourt au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 25 février 2022 et le 6 octobre 2022, la société par actions simplifiée (SAS) Inovert, représentée par Me Pavot, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) à titre principal, de rejeter la requête présentée par la commune de Gondecourt ;

3°) à titre subsidiaire, de limiter les prétentions de la commune aux montants déterminés par l'expert, soit la somme de 1 674 euros TTC en ce qui concerne le système de drainage de l'amphithéâtre, celle de 1 519,74 euros TTC en ce qui concerne le revêtement du sol de l'aire de jeux et celle de 120 euros TTC en ce qui concerne les poteaux de soutènement de la cabane de l'aire de jeux ;

4°) à titre également subsidiaire, de rejeter le surplus de la requête de la commune de Gondecourt ;

5°) en tout état de cause, de rejeter l'ensemble des prétentions de la commune de Gondecourt et de la société Bocage, de mettre à la charge définitive de la commune de Gondecourt les frais et honoraires d'expertise ainsi que la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- dans sa requête de première instance, s'agissant des désordres affectant le revêtement du sol de l'aire de jeux et les pontons en bois, la commune de Gondecourt n'a pas précisé qu'elle fondait ses demandes sur la responsabilité décennale ; en l'absence d'une telle précision, le tribunal devait écarter ces demandes comme irrecevables ;

- les conclusions de la commune de Gondecourt tendant au versement de dommages et intérêts en réparation du préjudice de jouissance sont nouvelles en appel et sont par suite irrecevables ;

- les désordres affectant le système de drainage de l'amphithéâtre étaient apparents et n'ont fait l'objet d'aucune réserve lors de la réception, de sorte que la responsabilité décennale ne peut être engagée ;

- les désordres affectant le revêtement du sol de l'aire de jeux résultent de travaux de reprise effectués par la commune et d'une utilisation non conforme de l'ouvrage, ce qui exclut la mise en jeu de la responsabilité décennale ; comme l'a relevé l'expert, seule l'aire d'arrivée du toboggan présente des dégradations affectant l'usage de l'aire de jeux ; c'est donc à tort que le tribunal a retenu que les désordres s'étendaient à l'ensemble de l'aire de jeux et l'a condamnée au versement d'une indemnité s'élevant à la somme de 33 407,03 euros ; les prétentions de la commune, si elles sont fondées, doivent être limitées à la somme de 1 519,74 euros ;

- la faible importance des désordres affectant les poteaux de soutènement de la cabane de l'aire de jeux fait obstacle à la mise en jeu de la responsabilité décennale ; il s'agit d'un élément d'équipement pour lequel seule une garantie de bon fonctionnement est due ; la somme de 120 euros ne pouvait ainsi être mise à sa charge au titre de la réparation de ces éléments ;

- comme l'a jugé le tribunal, les désordres constatés sur les bordures des pontons de bois ne rendent pas l'ouvrage impropre à sa destination ; la commune n'est ainsi pas fondée à en solliciter la réparation sur le fondement de la garantie décennale.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 27 avril 2022 et le 2 novembre 2022, la commune de Gondecourt, représentée par Me Duthoit, demande à la cour :

- de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Inovert à lui verser la somme de 33 407,33 euros au titre des désordres constatés sur l'aire de jeux, a liquidé les frais et honoraires d'expertise à la somme de 4 655,35 euros TTC, a mis les frais d'instance à la charge de la société Inovert et de la société Bocage sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté les conclusions de la société Inovert présentées à ce titre ;

- par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement, d'une part, en tant qu'il a rejeté ses demandes tendant à la condamnation de la société Inovert à lui verser une somme de 1 446,84 euros TTC au titre des désordres constatés sur les pontons en bois, d'autre part, en tant qu'il a limité les condamnations prononcées contre cette société à la somme de 1 674 euros TTC au titre des désordres constatés sur l'amphithéâtre et à la somme de 120 euros au titre des désordres constatés sur les poteaux de soutènement et par conséquent de condamner la société Inovert à lui verser la somme de 17 730,72 euros TTC et celle de 428,32 euros TTC au titre de ces désordres respectifs ;

- par la voie de l'appel incident également, d'une part, d'annuler le jugement en tant qu'il l'a condamnée à supporter un tiers des frais d'expertise et de condamner la société Inovert à lui verser la somme de 3 103,56 euros correspondant aux frais d'expertise avancés par la commune, d'autre part, d'annuler le jugement en tant qu'il a limité l'indemnité procédurale de première instance à la somme de 750 euros et de mettre à la charge de la société Inovert le versement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

- enfin, toujours par la voie de l'appel incident, de condamner la société Inovert à lui verser une indemnité de 5 000 euros en réparation du préjudice de jouissance ;

- dans tous les cas, de rejeter le surplus des conclusions présentées par la société Inovert et de mettre à la charge de cette société, la somme de 4 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais exposés en appel.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés dans la requête d'appel ne sont pas fondés ;

- sa requête initiale précisait expressément le fondement juridique de chacune de ses demandes ;

- les désordres affectant le système de drainage de l'amphithéâtre sont de nature décennale ; il n'y a pas eu de réception partielle le 14 mai 2014 mais une réception prononcée le 12 mars 2015 ; le poste " drainage " n'a pas fait l'objet de réserves dans la mesure où le procès-verbal de réception indique que ce désordre relève de la garantie de parfait achèvement ; il n'était pas apparent lors de la réception et ne s'est manifesté que postérieurement à celle-ci, en raison de malfaçons révélées par le rapport d'expertise ; si le jugement doit être confirmé sur ce point, en revanche, la somme allouée par le tribunal pour la réparation est insuffisante et doit être estimée sur la base de 29 551,20 euros TTC résultant du devis de la société ID VERDE ; dès lors que la société Inovert est responsable à hauteur de 40 %, il convient de porter sa condamnation à la somme de 17 730,72 euros ;

- les désordres touchant le revêtement de l'aire de jeux rendent son utilisation dangereuse de sorte qu'elle est impropre à sa destination ; ils s'étendent à l'ensemble de cet équipement et, selon le rapport d'expertise, ils trouvent leur origine dans la mauvaise exécution des travaux et non dans une utilisation non conforme par les usagers ou un mauvais entretien non conforme de la part de la commune ; le montant de 33 407,03 euros TTC retenu par le tribunal, correspondant à la réfection de la totalité du sol défectueux, doit être confirmé ;

- l'arrachement du revêtement des poteaux de soutènement de la cabane de l'aire de jeux rend l'usage du jeu impropre à sa destination ; pour réparer intégralement ce préjudice, il convient toutefois de porter la condamnation de la société Inovert à la somme de 428,32 euros TTC estimée par l'expert ;

- selon le rapport d'expertise, les malfaçons constatées sur les pontons en bois rendent ces derniers impropres à leur usage ; leur réparation doit être mise à la charge de la société Inovert, à hauteur de 60 % du montant estimé par l'expert, soit une somme de 1 446,84 euros ;

- les désordres affectant l'aire de jeux ont conduit le maire à en interdire l'accès au public par un arrêté du 29 juillet 2021 ; il en est résulté un préjudice de jouissance pour la commune, qui justifie la condamnation de la société Inovert à lui verser une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 août 2022, la société à responsabilité limitée (SARL) Bocage, représentée par Me Grardel, conclut à la confirmation du jugement rendu le 22 décembre 2021 et à ce que la somme de 1 000 euros soit mise à la charge de la société Inovert au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que ni l'appelant principal, ni l'appelant incident ne formulent de demandes à son encontre.

Par une ordonnance du 7 octobre 2022, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 7 novembre 2022 à 12 heures.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- l'ordonnance du 5 juillet 2017, par laquelle le président du tribunal administratif de Lille a taxé les frais de l'expertise réalisée par M. A B à la somme de 4 655,35 euros toutes taxes comprises (TTC).

Vu :

- le code civil ;

- le code des marchés publics ;

- le décret n° 94-699 du 10 août 1994 ;

- le décret n° 96-1136 du 19 décembre 1996 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller,

- les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public,

- et les observations de Me Pavot pour la SAS Inovert, et de Me Lecat pour la Sarl Bocage.

Considérant ce qui suit :

1. Au cours de l'année 2013, la commune de Gondecourt a engagé des travaux de réaménagement de l'espace dénommé " place verte " en vue notamment de créer un amphithéâtre en gazon, une aire de jeux pour enfants et un " skate park ". Une mission de maîtrise d'œuvre complète a été confiée à la société à responsabilité limitée (SARL) Bocage. La société par actions simplifiée (SAS) Inovert s'est vue attribuer le marché de réalisation de ces travaux par un acte d'engagement signé le 31 juillet 2013. Les travaux ont été réceptionnés avec réserves le 12 mars 2015, puis la levée totale des réserves a été prononcée le 25 février 2016. En raison de désordres apparus sur certains ouvrages, la commune de Gondecourt a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lille aux fins de désignation d'un expert. L'expert judiciaire désigné par le tribunal a remis son rapport le 26 juin 2017 et à la suite, la commune de Gondecourt a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner la SAS Inovert et la SARL Bocage à lui verser une indemnisation au titre des différents désordres affectant l'espace aménagé de la " place verte ".

2. La SAS Inovert relève appel du jugement du 22 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Lille l'a condamnée à verser à la commune de Gondecourt la somme totale de 35 201,03 euros TTC et a mis à sa charge définitive le tiers des frais et honoraires d'expertise. La commune de Gondecourt présente des conclusions d'appel incident.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

3. Il ressort de la requête initiale de la commune de Gondecourt, enregistrée le 27 novembre 2018 au greffe du tribunal, que celle-ci demandait la réparation des désordres affectant plusieurs ouvrages exécutés à l'occasion des travaux d'aménagement paysager de la " place verte ". Si, dans ses premières écritures, la commune n'indiquait pas expressément qu'elle entendait fonder sa demande sur les principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs, elle mentionnait toutefois les conclusions du rapport de l'expert désigné par le tribunal et s'y référait en ce qui concerne les désordres affectant divers ouvrages réalisés dans le cadre des travaux de réaménagement de la " place verte " exécutés par la SAS Inovert sous la maîtrise d'œuvre de la SARL Bocage. S'agissant notamment des pontons en pierre, la commune soutenait que la solidité de l'ouvrage était affectée et, s'agissant du revêtement synthétique de l'aire de jeux et des poteaux de soutènement, que les désordres rendaient dangereuse l'utilisation des jeux et leur usage impropre à leur destination. Les pièces jointes à sa demande initiale contenaient l'indication de l'ensemble des désordres et les circonstances de leur apparition. Dans ces conditions, la commune doit être regardée comme ayant fondé dès sa requête initiale, ses conclusions sur le fondement de la garantie décennale. Si la commune a explicitement indiqué qu'elle entendait se placer sur cette cause juridique par un mémoire enregistré le 5 août 2021, c'est sans incidence sur la recevabilité de sa demande, acquise dès le dépôt de sa requête initiale. C'est donc à bon droit que le tribunal a écarté la fin de non-recevoir opposée par la SAS Inovert.

Sur la garantie décennale des constructeurs :

4. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables. La responsabilité décennale des constructeurs ne peut néanmoins être engagée si les désordres étaient apparents lors de la réception.

5. Il incombe au juge administratif, lorsqu'est recherchée devant lui la garantie décennale des constructeurs, d'apprécier, au vu de l'argumentation que lui soumettent les parties sur ce point, si les conditions d'engagement de cette responsabilité sont ou non réunies et d'en tirer les conséquences, le cas échéant d'office, pour l'ensemble des constructeurs.

En ce qui concerne les désordres affectant le système de drainage de l'amphithéâtre :

6. Il résulte de l'instruction que les désordres, pour lesquels la commune de Gondecourt recherche la responsabilité des constructeurs, se manifestent notamment par la présence d'eau stagnante sur l'herbe en partie basse de l'amphithéâtre à ciel ouvert du parc paysager dit de la " place verte ". Selon le rapport d'expertise, ce phénomène s'explique par un mauvais fonctionnement du système d'écoulement des eaux allant de l'amphithéâtre jusqu'au bassin de décantation, dû à la fois à un défaut de conception et d'exécution. La conduite des eaux est assurée par un drain entouré d'une " chaussette " anti-contaminante, situé à environ 35 cm de profondeur dans une couche d'argile mais la glaise a peu à peu colmaté la chaussette posée en pleine terre empêchant l'eau d'y pénétrer et de s'évacuer. Selon l'expertise, le drain et sa chaussette auraient dû être posés dans une tranchée emplie de matériaux drainants destinés à laisser passer l'eau et éviter ainsi le colmatage.

7. Pour retenir que ce désordre n'était pas apparent au moment de la réception, le tribunal a estimé qu'aucune réserve n'avait été prononcée sur la réalisation du drainage des eaux avant la date du 14 mai 2014, correspondant à la date de réception partielle de l'ouvrage. Il résulte de l'instruction, et en particulier du procès-verbal des opérations préalables à la réception, proposé par le maitre d'œuvre et uniquement signé par celui-ci le 14 mai 2014, que la réception partielle des travaux ne portait que sur la réalisation de huit prestations consistant à poser des éléments d'équipements tels notamment que des mâts d'éclairage, des corbeilles, des bancs ou des bornes à vélos. Il ne ressort d'aucune pièce qu'à cette même date, le maître d'ouvrage aurait accepté la réception partielle des travaux relatifs à la réalisation des ouvrages d'écoulement des eaux. Il résulte au contraire de l'instruction, en l'occurrence du procès-verbal faisant suite à la proposition du maître d'œuvre au représentant du pouvoir adjudicateur de réceptionner les travaux dans leur totalité, que le maitre d'ouvrage n'a donné son accord à leur réception que le 12 mars 2015. Si le procès-verbal des opérations préalables à la réception en date du 19 décembre 2014 comportait une série de réserves concernant certains ouvrages ou équipements, il était simplement indiqué, s'agissant du système d'évacuation des eaux, la mention " Parfait achèvement : confirmation d'efficacité du système de drainage ". Il est constant que les mêmes réserves ainsi que cette dernière mention figuraient sur le procès-verbal précité du 12 mars 2015. Ce faisant, comme le fait au demeurant valoir la commune de Gondecourt dans ses écritures devant la cour, le poste " drainage " ne saurait être regardé comme ayant fait l'objet d'une réserve. Toutefois, il ressort du rapport d'expertise, que dans une réponse à un dire du conseil de la société Bocage, l'expert a relevé qu'au cours du chantier une demande de chiffrage d'un puits de perte apparaissait déjà sur un compte-rendu du 13 mars 2014 mais que la commune de Gondecourt n'avait pas donné suite au devis de la société Inovert pour la réalisation de cet ouvrage. Cette circonstance révèle la connaissance par le maître d'ouvrage, dès cette date, d'un problème d'efficacité du système de drainage destiné à l'écoulement des eaux en lien avec les désordres qui se sont manifestés ensuite. Dans ces conditions, lorsque la commune de Gondecourt a, le 12 mars 2015, signé le procès-verbal de réception définitive sans réserve en ce qui concerne le drainage, les désordres affectant le système d'écoulement des eaux présentaient déjà un caractère apparent.

8. Il en résulte que les désordres invoqués par la commune de Gondecourt ayant présenté un caractère apparent lors de la réception, ils ne sont, dès lors, pas de nature à engager la responsabilité décennale des constructeurs.

9. Par suite, la société Inovert est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a retenu ce fondement de responsabilité pour la condamner à réparer les désordres affectant le système de drainage de l'amphithéâtre à hauteur de la somme de 1 674 euros.

10. Par ailleurs, ainsi qu'il vient d'être dit, la responsabilité décennale des constructeurs n'étant pas susceptible d'être engagée en ce qui concerne les désordres affectant le système de drainage de l'amphithéâtre, la commune de Gondecourt n'est pas fondée à demander le versement d'une somme 29 551,20 euros TTC au titre de leur réparation. Ses conclusions d'appel incident présentées à ce titre doivent, par suite, être rejetées.

En ce qui concerne les désordres affectant le revêtement du sol de l'aire de jeux :

11. Il résulte de l'instruction, et notamment des constatations effectuées par l'expert dans le cadre de sa mission, que l'arrachement du revêtement synthétique amortissant situé au pied du toboggan a pour origine une insuffisante densité de la sous-couche et que des fissurations ont été observées en divers endroits à la jonction entre la partie pentue et la partie plane du tertre. L'expert a considéré que le manque de densité de la sous-couche expliquait la dégradation du revêtement provoquant un creux à l'arrivée du toboggan présentant de ce fait un danger de chute pour les utilisateurs du jeu. Il a en revanche estimé que les autres désordres apparus sur le revêtement synthétique de l'aire de jeu, consistant en des fissures, n'en affectaient pas l'usage. S'il ne ressort pas du rapport d'expertise que les fissures apparues en de nombreux endroits des parties permettant l'évolution des utilisateurs des différents jeux, présentaient une ampleur telle qu'elles auraient présenté un risque pour la sécurité, il résulte toutefois du rapport de vérification périodique de l'aire de jeux établi le 26 juillet 2021 par le bureau Veritas, qu'une demande de mise à l'arrêt de l'aire de jeux a été formulée du fait de la gravité des risques générés par les anomalies détectées. A cet égard, ce contrôleur technique a réitéré ses observations concernant la nécessité de remettre en l'état le sol amortissant, faites lors de ses précédentes visites d'inspection effectuées les 14 février 2018 et 30 avril 2019. Les photographies illustrant les points de non-conformité du sol font apparaître des fissures et des arrachages provoquant des trous dans le revêtement souple de même aspect que ceux précédemment décrits dans le rapport d'expertise. Il ressort par ailleurs d'un procès-verbal de constat d'huissier établi le 25 mars 2022 produit par la commune, que ces fissures se sont généralisées à toutes les parties de l'aire de jeux, hautes ou basses, et notamment aux tertres permettant d'accéder ou de cheminer entre les jeux. Ces importantes dégradations en de multiples points de l'aire de jeux qui affectent les conditions de son utilisation et le respect des exigences réglementaires de sécurité, compromettent un usage conforme à sa destination. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le tribunal a estimé que ces désordres sont susceptibles d'engager la responsabilité décennale des constructeurs.

12. Si la société Inovert soutient que la commune a commis une faute en laissant perdurer un usage anormal de l'ouvrage par l'absence d'interdiction de l'usage des trottinettes ou d'engins à moteur, elle ne l'établit pas. Au demeurant, si l'expert a pu émettre une telle hypothèse en ce qui concerne les désordres apparus aux abord du toboggan, aucun élément ne permet de relier les désordres apparus en d'autres points de l'aire de jeux à ces mêmes pratiques non autorisées. Une telle explication ne saurait être déduite du rapport de contrôle du bureau Veritas, lequel a uniquement relevé des insuffisances dans la signalisation, sur site, des coordonnées de l'exploitant, l'absence de plan permettant de repérer les accès et l'emplacement des équipements ou encore celle de panneaux rappelant l'interdiction de fumer ou d'indication de la conformité de l'équipement de jeu. Si l'appelante reproche également un défaut d'entretien de cet équipement, il ne saurait découler des seules observations consignées dans le rapport précité du contrôleur technique, qui n'a relevé aucune omission majeure et a simplement rappelé l'obligation pour l'exploitant de s'assurer de la présence au dossier de base, des notices regroupant les opérations d'installation, de montage, d'emploi et d'entretien pour chacun des jeux. Enfin, la circonstance que la commune ait fait procéder à des interventions ponctuelles pour réparer certaines zones de l'aire de jeux n'est pas de nature à favoriser la survenue des désordres ou leur aggravation.

13. Dans ces conditions, la société Inovert n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges l'ont condamnée à verser à la commune de Gondecourt la somme de 33 407,03 euros TTC au titre des travaux de reprise des désordres affectant le revêtement du sol de l'aire de jeux.

En ce qui concerne les désordres affectant les poteaux de soutènement de la cabane de l'aire de jeux :

14. La responsabilité décennale du constructeur peut être recherchée pour des dommages survenus sur des éléments d'équipement dissociables de l'ouvrage s'ils rendent celui-ci impropre à sa destination. La circonstance que les désordres affectant un élément d'équipement fassent obstacle au fonctionnement normal de cet élément n'est pas de nature à engager la responsabilité décennale du constructeur si ces désordres ne rendent pas l'ouvrage lui-même impropre à sa destination.

15. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expert, que le revêtement souple habillant des poteaux à bords vifs de la cabane de l'aire de jeux s'effrite ou a été gratté, qu'il apparait peu durable et peut être facilement arraché et que l'absence de protection des angles rend l'ouvrage non-conforme aux prescriptions du contrôleur technique dictées par la sécurisation des angles vifs et affecte l'usage du jeu. Si l'arrachage partiel du revêtement de protection ne compromet pas la solidité de la cabane de l'aire de jeu, il en résulte cependant un risque pour la sécurité des usagers dès lors, comme l'a relevé à bon droit le tribunal, qu'au cours d'une utilisation raisonnablement prévisible de ce jeu, les angles vifs laissés sur les poteaux de soutènement ne respectent pas les dispositions du décret du 10 août 1994 fixant les exigences de sécurité relatives aux équipements d'aires collectives de jeux et du décret du 19 décembre 1996 fixant les prescriptions de sécurité relatives aux aires collectives de jeux. Ce défaut de conformité étant de nature à rendre l'aire de jeux impropre à sa destination, les désordres affectant cet élément dissociable de la cabane de l'aire de jeux sont ainsi de nature à engager la responsabilité décennale du constructeur et ne relèvent pas de la garantie de bon fonctionnement.

16. Si la société Inovert soutient que la commune a commis une faute en laissant perdurer un usage anormal de l'ouvrage et en s'abstenant d'entretenir cet équipement, pour les mêmes motifs que ceux exposés précédemment au point 12, elle n'est pas fondée à invoquer une quelconque faute exonératoire de la commune de Gondecourt.

17. La commune de Gondecourt sollicite la majoration de la somme de 120 euros TTC que le tribunal a mise à la charge de la société Inovert au titre des travaux de reprise des désordres affectant les poteaux de soutènement de la cabane de l'aire de jeux.

18. Il ressort du rapport de l'expert, que ce montant de 120 euros a été estimé sur la base d'une solution technique consistant à procéder à un simple chanfreinage arrondi des arêtes des poteaux ou autre solution préconisée par le contrôleur technique. Si l'expert, dans son rapport, a mentionné un poste supplémentaire de 308,32 euros TTC correspondant à la somme de 256,94 euros HT à laquelle la commune fait référence, il s'agit d'un poste de réparation afférent à une reprise en haut de butte, mentionnée par l'expert à titre d'information dans la mesure où il a précisé que cette dégradation n'affectait pas l'usage de l'équipement en cause. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le tribunal a limité à 120 euros TTC le montant de la réparation des poteaux de soutènement. Les conclusions d'appel incident présentées par la commune de Gondecourt à ce titre doivent, par suite, être rejetées.

Sur les autres conclusions d'appel incident présentées par la commune de Gondecourt :

En ce qui concerne les désordres affectant les pontons en bois :

19. L'expert désigné par le tribunal administratif de Lille a constaté que les bordures des pontons en bois destinés au cheminement des usagers, présentent, à chacune de leurs extrémités, un porte à faux de 16 cm créant une fragilité qui provoque la rupture du bois en cas de choc, même involontaire, rupture facilitée par le percement opéré sur le bois pour le fixer. Si l'expert a estimé que l'état de fragilité des bordures affectait la solidité de l'ouvrage et compromettait son usage, comme l'a jugé à bon droit le tribunal, ils ne constituent qu'un élément dissociable des pontons en bois et s'ils rendent plus difficile l'usage normal des cheminements, ils ne rendent pas l'ouvrage lui-même impropre à sa destination.

20. La commune de Gondecourt n'est dès lors pas fondée à soutenir que ce serait à tort que les premiers juges ont, pour ce motif, écarté sa demande tendant à la réparation des désordres affectant les bordures des pontons en bois au titre de la responsabilité décennale.

En ce qui concerne la demande de réparation du préjudice de jouissance :

21. La commune de Gondecourt demande, pour la première fois en appel, la condamnation de la SAS Inovert au versement d'une indemnité de 5 000 euros pour réparer le préjudice de jouissance résultant de ce que les désordres affectant l'aire de jeux ont conduit le maire à en interdire l'accès au public. Toutefois, il est constant que l'arrêté d'interdiction de l'usage de l'aire de jeux a été pris par le maire dès le 29 juillet 2021, de sorte qu'il ne s'agit pas d'un préjudice né ou s'étant aggravé ou qui aurait été révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement de première instance. Dans ces conditions, de telles conclusions qui n'ont pas été présentées devant le juge de première instance sont nouvelles en appel et par suite irrecevables. Pour ce motif, elles doivent dès lors être rejetées.

22. Il résulte de tout ce qui précède que la société Inovert est seulement fondée à solliciter que la condamnation prononcée à son encontre par le tribunal administratif de Lille à raison des seuls désordres engageant la responsabilité décennale des constructeurs soit ramenée à la somme de 33 527,03 euros toutes taxes comprises. En revanche, il y a lieu de rejeter les conclusions d'appel incident présentées par la commune de Gondecourt en ce qui concerne la réparation des désordres affectant son ouvrage.

En ce qui concerne les frais d'instance mis à la charge de la commune par le jugement attaqué :

23. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

24. La commune de Gondecourt a demandé au tribunal la mise à la charge solidaire des sociétés Inovert et Bocage des frais qu'elle a exposés. Les premiers juges n'ont, dans les circonstances de l'espèce, pas méconnu les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative en condamnant la société Inovert et la SARL Bocage, à verser, chacune, à la commune la somme de 750 euros sur le fondement de ces dispositions. Par suite, les conclusions d'appel incident présentées par la commune de Gondecourt tendant à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la société Inovert aux titres des frais exposés en première instance doivent être rejetées.

Sur les dépens :

25. Aux termes de l'article R. 621-13 du code de justice administrative : " Lorsque l'expertise a été ordonnée sur le fondement du titre III du livre V, le président du tribunal ou de la cour, après consultation, le cas échéant, du magistrat délégué, () en fixe les frais et honoraires par une ordonnance prise conformément aux dispositions des articles R. 621 11 et R. 761-4. Cette ordonnance désigne la ou les parties qui assumeront la charge de ces frais et honoraires. Elle est exécutoire dès son prononcé, et peut être recouvrée contre les personnes privées ou publiques par les voies de droit commun. Elle peut faire l'objet, dans le délai d'un mois à compter de sa notification, du recours prévu à l'article R. 761-5. / Dans le cas où les frais d'expertise mentionnés à l'alinéa précédent sont compris dans les dépens d'une instance principale, la formation de jugement statuant sur cette instance peut décider que la charge définitive de ces frais incombe à une partie autre que celle qui a été désignée par l'ordonnance mentionnée à l'alinéa précédent ou par le jugement rendu sur un recours dirigé contre cette ordonnance () ". Aux termes de l'article R. 761-1 du même code : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. / L'Etat peut être condamné aux dépens ".

26. Pour mettre à la charge de la commune de Gondecourt les frais de l'expertise ordonnée par le tribunal administratif alors même que la collectivité n'avait pas la qualité de partie perdante dans l'instance, les premiers juges ont estimé que les " circonstances particulières de l'affaire " le justifiaient. Toutefois, dès lors que le tribunal a retenu que la responsabilité décennale des constructeurs est engagée vis-à-vis de la commune de Gondecourt, c'est à tort qu'il a décidé de laisser à sa charge un tiers des frais et honoraires d'expertise taxés à la somme totale de 4 655,35 euros TTC.

27. Par suite, il y a lieu de modifier la répartition opérée par le jugement. Dans les circonstances de l'espèce, compte tenu de ce que les désordres sont principalement imputables à un défaut d'exécution, il y a lieu de porter à deux tiers la part de la charge définitive des frais d'expertise devant être supportés par la société Inovert et de maintenir à un tiers, celle devant être supportée par la SARL Bocage.

Sur les frais de l'instance :

28. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la commune de Gondecourt verse à la société Inovert, partie tenue aux dépens, la somme que cette dernière réclame au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société Inovert, la somme réclamée par la SARL Bocage sur ce même fondement. Il n'y a pas plus lieu de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société Inovert, la somme réclamée par la commune de Gondecourt.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 35 201,03 euros TTC que la SAS Inovert a été condamnée à verser à la commune de Gondecourt par l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Lille du 22 décembre 2021 est ramenée à la somme de 33 527,03 euros TTC.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la SAS Inovert est rejeté.

Article 3 : Les frais et honoraires d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 4 655,35 euros TTC sont mis pour deux tiers à la charge définitive de la SAS Inovert et pour un tiers à celle de la SARL Bocage.

Article 4 : Le surplus des conclusions d'appel incident présentées par la commune de Gondecourt est rejeté.

Article 5 : Les conclusions présentées par la Sarl Bocage sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Les articles 1er et 3 du jugement du tribunal administratif de Lille sont réformés en ce qu'ils ont de contraire au présent arrêt.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Inovert, à la commune de Gondecourt ainsi qu'à la SARL Bocage.

Délibéré après l'audience publique du 21 mars 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 avril 2023.

Le rapporteur,

Signé : F. MalfoyLa présidente de chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

C. Huls-Carlier