CAA Marseille, 21/03/2023, n°23MA00164

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le préfet des Alpes-Maritimes a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, sur le fondement de l'article L. 2131-6, alinéa 3, du code général des collectivités territoriales, de suspendre le contrat pour l'exploitation de l'établissement balnéaire lot n° 2 dit " B " conclu le 6 avril 2022 entre la société Andross 2 et la métropole Nice Côte d'Azur, transmis au contrôle de légalité le 7 avril 2022.

Par une ordonnance n° 2205763 du 12 janvier 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a suspendu l'exécution du contrat portant sur l'exploitation de l'établissement balnéaire lot n° 2 dit " B " situé à Eze conclu, le 6 avril 2022, entre la métropole Nice Côte d'Azur et la société par actions simplifiée Andross 2.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête, enregistrée le 19 janvier 2023 sous le n° 23MA00164, la métropole Nice Côte d'Azur, représentée par Me Letellier, de la SELARL d'avocats Symchowicz-Weissberg et Associés, demande à la Cour :

1°) d'annuler l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice du 12 janvier 2023 ;

2°) de rejeter les demandes du préfet des Alpes-Maritimes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat, la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Nice a écarté la fin de non-recevoir opposée en première instance, tirée de l'irrecevabilité du déféré du préfet des Alpes-Maritimes, au fond et en suspension ;

- au fond, le candidat retenu avait toute capacité pour soumissionner ;

- en l'absence de motif d'annulation, le contrat ne pouvait être suspendu ;

- des motifs d'intérêt général s'opposaient à toute mesure de suspension ;

- les autres moyens invoqués en première instance ne peuvent qu'être rejetés :

* il n'y a pas eu de modification tardive et substantielle du règlement de la consultation ;

* le préfet n'est pas fondé à soutenir que la société attributaire se serait engagée à réaliser des investissements supérieurs à sa capacité d'investissement ;

* l'argument tiré d'une non-crédibilité de l'offre retenue ne saurait prospérer.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 24 janvier 2023, la société par actions simplifiée Andross 2, représentée par Me Hourcabie, conclut :

1°) à l'annulation de l'ordonnance du 12 janvier 2023 ;

2°) au rejet de la demande de suspension du préfet des Alpes-Maritimes ;

3°) à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le déféré préfectoral en annulation est tardif et donc irrecevable ;

- la demande de suspension doit être rejetée car :

* la candidature de l'attributaire est régulière ;

* aucun des autres moyens d'annulation tirés de ce que le règlement de la consultation a été modifié tardivement et de manière substantielle ; la proposition de la société attributaire de réaliser des investissements supérieurs à sa capacité d'amortissement a été réalisée de manière illégale ; la crédibilité financière de l'offre présentée par la société attributaire est sujette à caution ; n'est fondé en droit ou en fait.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er mars 2023, le préfet des Alpes-Maritimes conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- sa demande de suspension est recevable ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

II. Par une requête, enregistrée le 24 janvier 2023 sous le n° 23MA00218, la société par actions simplifiée Andross 2, représentée par Me Hourcabie, demande à la Cour :

1°) d'annuler l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice du 12 janvier 2023 ;

2°) de rejeter les demandes du préfet des Alpes-Maritimes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat, la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande au fond et celle en suspension présentée devant le juge des référés du tribunal administratif de Nice sont irrecevables ;

- la demande de suspension doit être rejetée car :

* la candidature de l'attributaire est régulière ;

* aucun des autres moyens d'annulation tirés de ce que :

le règlement de la consultation a été modifié tardivement et de manière substantielle ; la proposition de la société attributaire de réaliser des investissements supérieurs à sa capacité d'amortissement a été réalisée de manière illégale ; la crédibilité financière de l'offre présentée par la société attributaire est sujette à caution ; n'est fondé en droit ou en fait.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er mars 2023, le préfet des Alpes-Maritimes conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- il était recevable à demander la suspension du refus litigieux ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu :

- les autres pièces des dossiers ;

- la décision de la présidente de la cour administrative d'appel de Marseille donnant délégation à M. Alexandre Badie, président de la 6ème chambre, pour juger les référés.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de la propriété des personnes publiques ;

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 14 mars 2023 :

- le rapport de M. Alexandre Badie, juge des référés,

- et les observations de Me Letellier, pour la métropole Nice Côte d'Azur, de Me Hourcabie, pour la société Andross 2, et de Mme A, pour le préfet des Alpes-Maritimes.

Considérant ce qui suit :

1. Le préfet des Alpes-Maritimes a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, sur le fondement de l'alinéa 3 de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, de suspendre le contrat pour l'exploitation de l'établissement balnéaire lot n° 2 dit " B " conclu le 6 avril 2022 entre la société Andross 2 et la métropole Nice Côte d'Azur, transmis au contrôle de légalité le 7 avril 2022. Par une ordonnance du 12 janvier 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a suspendu l'exécution de ce contrat. Par les deux requêtes susvisées, qu'il y a lieu de joindre, la métropole Nice Côte d'Azur et la société par actions simplifiée Andross 2 relèvent appel de cette ordonnance dont elles demandent l'annulation.

Sur la recevabilité de la requête de première instance :

S'agissant de la personne morale candidate à l'attribution de la sous-concession :

2. Il résulte de l'instruction et notamment du dossier de candidature établi lors du déroulement de la procédure d'attribution du contrat de sous-concession du lot n° 2, transmis par la métropole au contrôle de légalité, s'agissant des pièces avant ouverture des plis, que la lettre de candidature est signée au nom de la SAS Andross, que les comptes produits sont ceux de cette société, de la même façon que les documents fiscaux, que l'analyse des dossiers de candidature fait état de la même société dont le capital social et les bilans sont retracés, ainsi que la situation comptable des trois dernières années, qu'il y ait fait état des expériences professionnelles passées de la candidate. Le procès-verbal de négociation avec cette société, daté du 10 juin 2021, le rapport au président sur le choix du sous-concessionnaire du 24 novembre 2021 et la délibération précitée du 11 mars 2022 font ressortir que la SAS Andross a été retenue comme attributaire du contrat de délégation de service portant sur l'exploitation du lot n° 2 et que la SAS Andross 2 est la société dédiée en charge exclusive de la délégation de service public. Sont donc sans influence les circonstances que se trouvent au dossier une lettre de candidature ou un procès-verbal de visite signés par la société en cours de constitution Andross 2 dont le capital et l'adresse différent d'ailleurs de ceux de la SAS Andross, laquelle était bien la personne morale candidate à l'attribution de la sous-concession..

S'agissant de la recevabilité du déféré au fond :

3. Le préfet peut demander, pour exercer le contrôle de légalité, que des pièces complémentaires lui soient fournies. Lorsque la transmission d'un acte au représentant de l'Etat ne comporte pas le texte intégral de cet acte ou n'est pas accompagnée des documents annexes nécessaires pour apprécier la portée et la légalité de l'acte, il appartient au représentant de l'Etat de demander à l'autorité locale, dans le délai de deux mois à compter de la réception de l'acte transmis, de compléter cette transmission ou de lui apporter les précisions nécessaires pour apprécier la légalité de l'acte litigieux. Dans ce cas, le délai imparti au préfet par l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales pour déférer l'acte court, soit de la réception du texte intégral de l'acte ou des documents annexes nécessaires, soit de la décision explicite ou implicite par laquelle l'autorité locale refuse de compléter la transmission initiale.

4. D'une part, la métropole Nice Côte d'Azur a transmis, le 7 avril 2022, au préfet des Alpes-Maritimes le contrat de sous-concession du 6 avril 2022. Le préfet a alors adressé, le 30 mai 2022, une demande portant sur la communication de l'ensemble des documents concernant la société Andross, prévus à l'article R. 3123-18 du code de la commande publique selon lequel : " Pour justifier qu'il a satisfait aux obligations prévues à l'article L. 3123-2, le candidat produit un certificat délivré par les administrations et organismes compétents () " . Cette demande se rattache, ainsi qu'il résulte du point 2, au contrôle de l'acte en cause et porte sur des éléments nécessaires à ce contrôle. La métropole a fait droit à cette demande par courrier du 20 juillet 2022 suivie d'une lettre du préfet du 15 septembre 2020 lui demandant de résilier le contrat, ce qu'elle a refusé de faire par courrier du 30 septembre 2022, reçu en préfecture le 6 octobre 2022. D'autre part, ainsi qu'il a été dit au point 2, il résulte de l'instruction que la lettre de candidature motivée initiale avait été établie au nom de la société " Andross SAS ". Le procès-verbal d'ouverture des plis contenant les candidatures du 18 février 2021 mentionne la présence, dans le pli présenté par la société, de l'ensemble des certificats de déclarations fiscales et sociales. En outre, la délibération du 11 mars 2022 par laquelle le conseil métropolitain a approuvé le choix du délégataire désigne, comme attributaire, la " SAS Andross ". Au vu de ces éléments, il y a lieu, en l'état de l'instruction et compte tenu de l'office du juge des référés, de considérer que le délai de deux mois imparti au préfet pour déférer le contrat n'a commencé à courir qu'à compter de la réception des certificats demandés, alors même que ceux-ci ont été établis postérieurement à la signature du contrat. Ce délai ayant été interrompu par la lettre d'observations valant recours gracieux, la fin de non-recevoir opposée au recours au fond du préfet n'est pas de nature à entraîner le rejet de la demande de suspension présentée par ce dernier.

Sur le bien-fondé de la suspension :

5. Aux termes de l'article L. 554-1 du code de justice administrative : " Les demandes de suspension assortissant les requêtes du représentant de l'Etat dirigées contre les actes des communes sont régies par le 3e alinéa de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales ci-après reproduit : " Art. L. 2131-6, alinéa 3. - Le représentant de l'Etat peut assortir son recours d'une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si l'un des moyens invoqués paraît, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'acte attaqué. " ()(). Les demandes de suspension assortissant les requêtes du représentant de l'Etat dirigées contre les actes d'autres collectivités ou établissements suivent, de même, les règles fixées par les articles () L. 3132-1, () L. 5421-2 () du code général des collectivités territoriales () ". Selon l'article L. 3132-1 du code général des collectivités territoriales : " Le représentant de l'Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 3131-2 qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission. () Le représentant de l'Etat peut assortir son recours d'une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si l'un des moyens invoqués paraît, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'acte attaqué. Il est statué dans un délai d'un mois (). ".

6. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité. Les requérants peuvent éventuellement assortir leur recours d'une demande tendant, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de l'exécution du contrat. Le représentant de l'Etat dans le département peut assortir son recours d'une demande de suspension sur le fondement des dispositions citées ci-dessus du quatrième alinéa de l'article L. 3132-1 du code général des collectivités territoriales, auquel renvoie l'article L. 554-1 du code de justice administrative.

7. Le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini. Les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office.

8. Aux termes de l'article L. 3123-2 du code de la commande publique : " Sont exclues de la procédure de passation des contrats de concession les personnes qui n'ont pas souscrit les déclarations leur incombant en matière fiscale ou sociale ou n'ont pas acquitté les impôts, taxes, contributions ou cotisations sociales exigibles. La liste de ces impôts, taxes, contributions ou cotisations sociales est fixée par un arrêté du ministre chargé de l'économie qui figure en annexe au présent code () ". Aux termes de l'article L. 3123-20 du même code : " Est irrecevable une candidature présentée par un candidat qui ne peut participer à la procédure de passation en application des articles L. 3123-1 à L. 3123-14, L. 3123-16 et L. 3123-17 ou qui ne possède pas les capacités ou les aptitudes exigées en application de la présente section ". Aux termes de l'article R. 3123-17 dudit code : " Le candidat produit, au plus tard avant l'attribution du contrat, tout document attestant qu'il ne fait l'objet d'aucune exclusion de la participation à la procédure de passation des contrats de concession prévue aux articles L. 3123-1 à L. 3123-14 ". Il résulte de ces dispositions ainsi que de celles précitées de l'article R. 3123-18, que le candidat auquel il est envisagé d'attribuer le contrat de concession doit produire des documents attestant notamment qu'il est à jour de ses obligations fiscales et sociales avant la signature du contrat et, qu'à défaut, son offre doit être rejetée, le candidat dont l'offre a été classée immédiatement après la sienne pouvant se voir attribuer le marché.

9. Ainsi qu'il a été dit plus haut si le contrat a été directement signé par la métropole avec une société dédiée à l'exécution du marché, la société Andross 2, la véritable société attributaire du marché était au terme de la procédure de passation la SAS Andross. Cette dernière, ainsi que l'a relevé le premier juge, n'était pas à jour de ses obligations fiscales lorsqu'elle a candidaté et sa situation n'était toujours pas régularisée à la date de la signature du contrat du 6 avril 2022.

10. C'est donc à bon droit que le premier juge a estimé qu'en l'état de l'instruction de l'affaire, le vice résultant de l'irrégularité de la procédure d'attribution du contrat, la candidature de la SAS Andross encourant l'exclusion de plein droit de ladite procédure en application des dispositions de l'article L. 3123-2 du code de la commande publique, était d'une particulière gravité. Ce vice grave entachant la validité de la convention du 6 avril 2022 ne peut être régularisé, et justifie l'annulation du contrat dès lors qu'une telle mesure n'est pas de nature à porter une atteinte excessive à l'intérêt général. Par suite, ce moyen invoqué par le préfet des Alpes-Maritimes, est de nature à créer un doute sérieux sur la validité même de la convention du 6 avril 2022. La métropole Nice Côte d'Azur et la société par actions simplifiée Andross 2 ne sont donc pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a suspendu l'exécution de ladite convention.

Sur les frais liés au litige :

11. L'Etat n'étant pas la partie perdante à l'instance, les conclusions de la métropole Nice Côte d'Azur et de la société par actions simplifiée Andross 2 présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

O R D O N N E :

Article 1er : Les requêtes n° 23MA00164 et n° 23MA00218, de la métropole Nice Côte d'Azur et de la société par actions simplifiée Andross 2, sont rejetées.

Article 2 : Les conclusions de la société Andross 2 tendant, dans l'instance n° 23MA00164, à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la métropole Nice Côte d'Azur, à la société par actions simplifiée Andross 2, et au préfet des Alpes-Maritimes.

Copie en sera transmise au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Fait à Marseille, le 21 mars 2023.

N°s 23MA00164 - 23MA002180