CE, 22/11/2022, n°456554

Vu la procédure suivante :

La société par actions simplifiée Shipping Audit Survey a demandé au tribunal administratif de Toulon, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de refus née du silence gardé par le directeur du service de soutien de la flotte de Toulon sur sa demande de communication des documents concernant les titres d'études professionnelles, notamment le diplôme de chimie, les qualifications dans l'expertise et l'agrément portuaire produits par la société Wics Naval dans le cadre de l'attribution du marché public portant sur l'encadrement et le suivi des travaux de dégazage/nettoyage des soutes à combustible des bâtiments de la marine nationale basés à Toulon, et, d'autre part, d'enjoindre à la ministre des armées de lui communiquer les documents sollicités.

Par un jugement n° 2002345 du 1er juillet 2021, le tribunal administratif Toulon a prononcé un non-lieu à statuer sur la demande de communication de l'agrément portuaire, a annulé la décision implicite de refus de communication du diplôme de chimie et des qualifications dans l'expertise de la société Wics Naval et a enjoint à la ministre des armées de communiquer à la société Shipping Audit Survey ces documents, après occultation du nom du titulaire du diplôme.

Par une ordonnance n° 21MA03682 du 9 septembre 2021, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 10 septembre 2022, la présidente de la cour administrative d'appel de Marseille a transmis le pouvoir formé par la ministre des armées au Conseil d'Etat en application des articles R. 811-1 et R. 351-2 du code de justice administrative.

Par ce pourvoi, enregistré le 27 août 2021 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, et un nouveau mémoire, enregistré le 1er juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre des armées demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulon en tant qu'il a annulé la décision de refus de communication du diplôme de chimie et des qualifications dans l'expertise de la société Wics Naval et lui a enjoint de communiquer à la société Shipping Audit Survey ces documents, après occultation du nom du titulaire du diplôme ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter, dans cette mesure, les conclusions de première instance de la société Shipping Audit Survey ;

3°) de rejeter le pourvoi incident de la société Shipping Audit Survey.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Moreau, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gaschignard, avocat de la société Shipping Audit Survey ;

Considérant ce qui suit :

1. Par une lettre du 8 janvier 2020, la société Shipping Audit Survey, candidate évincée du marché public relatif à la préparation et à l'exécution de travaux de nettoyage et de dégazage dans les soutes à hydrocarbures des bâtiments de la Marine nationale situés à Toulon, a en vain demandé au service de soutien de la flotte de Toulon de lui communiquer les titres d'études professionnelles, notamment le diplôme de chimie, les qualifications dans l'expertise et l'agrément portuaire produits par la société Wics Naval, attributaire du marché public, à l'appui de sa candidature. Par un jugement en date du 1er juillet 2021, le tribunal administratif de Toulon a prononcé un non-lieu à statuer sur la demande de communication de l'agrément portuaire, a annulé la décision de refus de communication du diplôme de chimie et des qualifications dans l'expertise de la société Wics Naval et a enjoint à la ministre des armées de communiquer à la société Shipping Audit Survey le diplôme de chimie, après occultation du nom de son titulaire, et les qualifications dans l'expertise de la société Wics Naval. La ministre se pourvoit en cassation contre ce jugement en tant qu'il a annulé la décision de refus de communication du diplôme de chimie et des qualifications dans l'expertise de la société Wics naval et lui a enjoint de communiquer ces documents à la société Shipping Audit Survey. Par la voie du pourvoi incident, la société Shipping Audit Survey demande l'annulation du jugement en tant qu'il a ordonné l'occultation du nom du titulaire du diplôme de chimie avant sa communication.

2. L'article L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration dispose que " Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 sont tenues de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ". Aux termes de l'article L. 311-6 du même code, " Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée () et au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l'administration mentionnée au premier alinéa de l'article L. 300-2 est soumise à la concurrence ".

Sur le jugement attaqué en tant qu'il a statué sur la demande de communication des titres d'études professionnelles de la société attributaire du marché :

3. Il ressort de l'article 3 du dispositif du jugement attaqué que le tribunal administratif de Toulon a enjoint à la ministre des armées de communiquer à la société Shipping Audit Survey le diplôme de chimie fourni par la société Wics Naval, après occultation du nom de son titulaire. En statuant ainsi, alors que la ministre avait indiqué sans être contredite ne pas disposer d'un tel document et alors qu'aucune pièce du dossier n'en attestait l'existence et que, en particulier, l'avis d'appel public à la concurrence exigeait seulement la communication des titres d'études professionnelles permettant d'attester de la capacité technique et professionnelle du candidat dans le domaine du marché public, et non nécessairement d'un diplôme d'études supérieures de chimie, le tribunal a dénaturé les pièces du dossier.

Sur le jugement attaqué en tant qu'il a statué sur la demande de communication des qualifications dans l'expertise de la société attributaire du marché :

4. Il ressort des énonciations du jugement attaqué qu'après avoir rappelé le caractère de documents administratifs, au sens et pour l'application de l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration, des documents se rapportant à un marché public, le tribunal administratif de Toulon a jugé que, par nature, les qualifications dans l'expertise de la société Wics Naval n'entraient pas dans le champ du secret des affaires protégé par les dispositions de l'article L. 311-6 du même code, cité au point 2, au motif qu'elles ne concernaient ni le secret des procédés techniques de fabrication, ni le secret des informations financières de l'entreprise, ni le secret des stratégies commerciales de l'entreprise. Toutefois, dès lors que l'avis d'appel à la concurrence n'exigeait pas des entreprises candidates au marché en cause la production d'une certification en particulier mais demandait de fournir "des certificats établis par des instituts ou services officiels chargés du contrôle de la qualité et habilités à attester la conformité des fournitures par des références à certaines spécifications techniques, ou toutes autres preuves de mesures équivalentes de garantie de la qualité" et "les certificats de qualification professionnelle établis par des organismes indépendants ou tout moyen de preuve équivalent", le tribunal, en ne recherchant pas si les certificats produits par la société Wics Naval à l'appui de sa candidature ne comportaient pas des éléments relatifs aux moyens humains de l'entreprise de nature à révéler des choix stratégiques couverts par le secret des affaires, a commis une erreur de droit.

5. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident de la société Shipping Audit Survey, que la ministre des armées est fondée à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : Les articles 2 à 5 du jugement du tribunal administratif de Toulon du 1er juillet 2021 sont annulés.

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, au tribunal administratif de Toulon.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur le pourvoi incident de la société Shipping Audit Survey.

Article 4 : Les conclusions présentées par la société Shipping Audit Survey au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre des armées et à la société par actions simplifiée Shipping Audit Survey.

Délibéré à l'issue de la séance du 27 octobre 2022 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; M. Alexandre Lallet, conseiller d'Etat et M. David Moreau, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 22 novembre 2022.

Le président :

Signé : M. Bertrand Dacosta

Le rapporteur :

Signé : M. David Moreau

La secrétaire :

Signé : Mme Naouel AdouaneVOC5KI8L

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