TA Amiens, 02/08/2023, n°2102207
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 25 juin 2021, la société NTI Solutions, représentée par
Me Lafay, demande au tribunal :
1°) d'annuler la décision par laquelle la commune de Villers Saint-Sépulcre a implicitement refusé de l'indemniser pour les préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de la divulgation d'informations couvertes par le secret des affaires ;
2°) de condamner la commune de Villers Saint-Sépulcre à lui verser une somme de 135 000 euros au titre de l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de la divulgation d'informations couvertes par le secret des affaires ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Villers Saint-Sépulcre une somme de
5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la divulgation par la commune du mémoire technique de la société NTI Solutions à son concurrent direct est une violation du secret des affaires et constitue une faute ;
- ses préjudices s'élèvent à 120 000 euros au titre de la perte de chance d'emporter des marchés, 5 000 euros au titre du préjudice financier pour réadapter son offre commerciale et
10 000 euros au titre du préjudice moral ;
- le lien de causalité résulte de la divulgation sans occultation des éléments couverts par le secret des affaires.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 janvier 2022, la commune de Villers Saint-Sépulcre, représentée par Me Andrieu, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société NTI Solutions, sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est tardive ;
- elle était tenue de communiquer le mémoire technique de la société NTI Solutions ;
- les informations contenues dans ce mémoire, qui ne comporte pas d'information financière ni de stratégie commerciale, étaient accessibles sur le site internet de la société ;
- ni le préjudice, ni le lien de causalité ne sont établis.
La clôture d'instruction a été fixée au 8 novembre 2022, par ordonnance du même jour.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code du commerce ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Rondepierre, rapporteure,
- les conclusions de Mme Minet, rapporteure publique,
- et les observations de Me Lafay, représentant la société NTI Solutions, ainsi que celles de Me Andrieu, représentant la commune.
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Villiers Saint-Sépulcre a lancé, le 23 juin 2020, une procédure adaptée pour installer sur son territoire un dispositif de vidéosurveillance, dont la société NTI Solutions a été évincée. Cette dernière a introduit une requête en référé précontractuel le 1er décembre 2020, dont elle s'est désistée le 16 décembre suivant, à raison de la signature du contrat litigieux le
30 novembre 2020. A l'appui de ses écritures en défense produite au cours de cette instance, la commune a produit un mémoire, accompagné notamment de l'offre technique déposée par la société NTI Solutions, qui a été communiquée dans le cadre de la procédure contradictoire à la société attributaire du contrat. La société NTI Solutions demande au tribunal de condamner la commune à l'indemniser à hauteur de 135 000 euros, au titre des préjudices qu'elle estime subir en raison de la violation du secret des affaires résultant de la transmission de l'intégralité de son mémoire technique à sa concurrente.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. La décision implicite par laquelle la commune de Villiers Saint-Sépulcre a rejeté les demandes de la société NTI Solutions a eu pour effet de lier le contentieux à l'égard de l'objet de la demande de l'intéressée qui, en formulant des conclusions indemnitaires, a donné à l'ensemble de sa requête le caractère d'un recours de plein contentieux. Par suite, et dès lors que les vices propres dont elle serait entachée, ce qui n'est au demeurant pas soutenu par la requérante, seraient sans incidence sur la solution du litige, les conclusions présentées à fin d'annulation sont irrecevables et doivent être rejetées.
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne l'existence d'une faute de la commune de Villers Saint-Sépulcre :
3. D'une part, aux termes de l'article L. 151-1 du code de commerce : " Est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants : / 1° Elle n'est pas, en elle-même ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité ; / 2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ; / 3° Elle fait l'objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret ". Selon l'article L. 2132-1 du code de la commande publique : " Est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants : / 1° Elle n'est pas, en elle-même ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité ; / 2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ; / 3° Elle fait l'objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret () ".
4. D'autre part, aux termes de l'article 311-6 du code des relations entre le public et l'administration : " Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l'administration mentionnée au premier alinéa de l'article L. 300-2 est soumise à la concurrence () ". Selon l'article L. 300-2 du même code : " Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions () ".
5. Les documents et informations échangés entre l'administration et un candidat lors de la phase de négociation d'un contrat de la commande publique, dès lors qu'ils révèlent par nature la stratégie commerciale du candidat, entrent dans le champ du 1° de l'article L. 311-6 et ne sont, par suite, pas communicables.
6. Il résulte de l'instruction que dans l'instance de référé précontractuel introduite par la société NTI Solutions à fin d'annuler la procédure d'attribution du marché public de fourniture, d'installation et de maintenance d'un système de vidéo protection engagée par la commune de Villers Saint-Sépulcre, cette dernière a communiqué au tribunal l'intégralité du mémoire par lequel la société NTI Solutions avait présenté son offre technique, sans en occulter aucun passage. Dans ces conditions, et alors qu'elle pouvait se borner à produire, à l'appui de sa défense, le seul extrait de l'offre technique non conforme aux prescriptions des cahiers des charges et que, par ailleurs, le mémoire technique de la société NTI Solutions ne se limitait pas à reprendre des informations publiées sur son site internet, la commune a méconnu les dispositions des articles cités précédemment.
7. Il résulte de ce qui précède que la société NTI Solutions est fondée à soutenir que la commune de Villers Saint-Sépulcre a commis une faute en divulguant des informations protégées par le secret des affaires.
En ce qui concerne l'existence d'un préjudice imputable à cette faute :
8. Si, d'une part, la société NTI Solutions soutient que la transmission de son mémoire technique à sa principale concurrente l'aurait privée de chances de signer de nouveaux contrats, elle ne se prévaut d'aucun élément de nature à démontrer une diminution de son activité ni, d'ailleurs, le manque à gagner moyen par marché qu'elle avance. Au surplus, s'il est constant que la communication par la commune de l'intégralité du mémoire technique de la société
NTI Solutions a eu pour effet de mettre la société attributaire du marché en mesure d'en connaitre la teneur, il résulte néanmoins de l'instruction que le 2 mars 2020, ces deux sociétés ont, en groupement, remporté un appel d'offres lancé par la commune de Creil pour des prestations similaires. Dans ces conditions, la société NTI Solutions n'est pas fondée à soutenir qu'elle subit un préjudice résultant de la perte de chances de signer de nouveaux contrats.
9. D'autre part, si la société NTI Solutions soutient devoir mobiliser des moyens pour réadapter ses offres techniques et commerciales à hauteur de 5 000 euros, représentant cinq jours de travail, elle ne le justifie pas davantage.
10. Enfin, le préjudice moral dont elle se prévaut, résultant de l'atteinte à son image et à sa réputation professionnelle, n'est établi ni dans son principe, ni dans son montant.
11. Il résulte de ce tout qui précède que les conclusions à fin d'indemnisation présentées par la société NTI Solutions, qui ne justifie aucun des préjudices allégués, doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
12. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société NTI Solutions est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Villers saint-Sépulcre au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société NTI Solutions et à la commune de Villiers Saint-Sépulcre.
Délibéré après l'audience du 7 juin 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Thérain, président,
- Mme Rondepierre, première conseillère,
- M. Richard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 août 2023.
La rapporteure,
signé
A. Rondepierre
Le président,
signé
S. Thérain
La greffière,
signé
S. Chatellain
La République mande et ordonne à la préfète de l'Oise en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.
No 2102207